L'Algérie hésite entre le gaz de schiste et le soleil

Face à la perspective de l'épuisement de ses ressources, le pays prépare un nouveau modèle énergétique. Hervé Kempf; le Monde 16 mai 2012.

Le gaz de schiste sera-t-il l'avenir de l'Algérie ? Le débat agite les cercles du pouvoir et de l'énergie - ce qui revient presque au même dans un pays qui dépend des hydrocarbures pour 95 % de ses exportations et pour 30 % de son produit intérieur brut. Le 3 mai, à Paris, lors du sommet international du pétrole, le président de Sonatrach, Abdelhamid Zerguine, a ainsi annoncé que la compagnie nationale investirait 12 milliards de dollars (9,5 milliards d'euros) dans les cinq prochaines années pour rechercher le gaz de schiste, dont la production pourrait commencer dans les trois ans. Les premiers puits " pilotes " seraient forés dès 2012. La compagnie s'intéresse aussi au pétrole qui pourrait être trouvé en profondeur sous la Méditerranée.

C'est que, comme l'a montré un colloque qui a réuni à Oran, en février, tous les experts intéressés, le pays recèle un potentiel important de gaz de schiste. " Les estimations les plus prudentes tablent sur un minimum de 2 500 milliards de m3, ce qui est presque autant que la réserve récupérable de gaz conventionnel en Algérie ", explique Abdelmadjid Attar, vice-président de l'Association algérienne de l'industrie du gaz (AIG).

L'intérêt pour les gaz de schiste est très vif depuis quelques années. D'abord parce que son succès aux Etats-Unis déséquilibre le marché mondial du gaz, et a notamment fait perdre un débouché à l'Algérie : celle-ci ne vend plus de gaz naturel liquéfié (GNL) outre-Atlantique, alors qu'elle en expédiait avant 2008 plus de 2 milliards de m3 par an.

Surtout, le gaz de schiste représente une solution au problème du " pic " pétrolier et gazier - le moment où la production commence à décliner - qui se profile en Algérie. Si l'on en croit la " BP Statistical Review ", une référence dans les milieux énergétiques, le pays dispose de dix-huit années de réserves pétrolières au taux actuel de production et de cinquante années en ce qui concerne le gaz. En fait, nombre d'experts s'attendent à voir intervenir le pic bien avant : pour le pétrole, dès 2020, pour le gaz, vers 2030. Il est peu probable que l'on découvre de fortes réserves d'hydrocarbures conventionnels. Bien qu'on ait foré " nettement plus " dans le pays durant la décennie 2000 que durant la précédente, observe le consultant Mohamed Said Beghoul dans le quotidien El Watan du 25 mars, " on a découvert nettement moins d'hydrocarbures ".

Un autre facteur inquiète les analystes : l'augmentation rapide de la consommation intérieure de gaz, qui réduit d'autant les possibilités d'exportation. Le prix du m3 de gaz n'est que de 0,20 euro, comme celui du litre d'essence. " Le prix de l'énergie est trop bas et conduit au gaspillage, dit Tewfik Hasni, un ancien dirigeant de la Sonatrach. La consommation nationale de gaz a quasiment doublé en dix ans. On ne pourra jamais satisfaire les objectifs d'exportation si cette tendance se poursuit. "

Accidents possibles

Le gaz de schiste prendra-t-il le relais d'une rente énergétique qui va s'épuiser ? C'est loin d'être acquis. Premier problème : on estime que produire un milliard de m3 de gaz de schiste par an requiert un million de m3 d'eau. Certes, le " système aquifère du Sahara septentrional " constitue une réserve de plus de 40 000 milliards de m3 d'eau. Mais, observe Mounir Bencharif, de l'association écologiste Area-Ed, " les villes du Sahara se peuplent et l'on veut y développer l'agriculture. Il va falloir faire des choix ". Une conduite achemine ainsi de l'eau de la nappe d'En Salah vers Tamanrasset.

Pour Rachid Taibi, directeur de l'Agence nationale des ressources hydrauliques, " si jamais il y a exploitation, il faut qu'elle soit éloignée des zones d'alimentation des populations ". Il faudrait aussi s'assurer de l'accord des pays partageant les nappes, Maroc, Libye et Tunisie.

Un autre souci est la maîtrise technique. La technique de fracturation multiple mise en oeuvre aux Etats-Unis pour exploiter le gaz de schiste est sophistiquée. Or, l'Algérie ne voudrait pas se trouver en situation de dépendance technologique. D'autant plus que les accidents sont possibles, comme en atteste le cas du puits de pétrole OKN 32 : un forage mal cimenté a conduit en 1986 à un affaissement de terrain et à la création d'un cratère de plusieurs centaines de mètres de diamètre. La nappe phréatique alimentant la ville voisine d'Ouargla est polluée et le problème n'est pas réglé.

Autre obstacle : les coûts d'exploitation seront beaucoup plus élevés que pour le gaz conventionnel, en raison tant du nombre d'opérations à mener pour fracturer la roche que de l'éloignement des zones exploitées qui entraîneront des coûts logistiques importants. " Il y a eu un boom aux Etats-Unis parce que la fiscalité y est très favorable, explique Abdelmadjid Attar. Chez nous, la fiscalité représente 80 % des hydrocarbures produits. Le gaz de schiste ne pourra être rentable que si l'on abaisse la fiscalité. " Une réforme de la loi sur l'énergie est engagée, afin d'alléger les redevances sur la recherche et l'exploitation du gaz non conventionnel. Cela signifie que, même si les promesses de production de gaz de schiste se réalisent, les recettes pour l'Etat seront bien inférieures à ce qu'elles sont pour le gaz conventionnel.

Mais n'y a-t-il pas une autre issue au dilemme algérien ? Si, bien sûr : le solaire. " Pourquoi aller vers le gaz quand on a tant de soleil ?, s'exclame Tewfik Hasni. Le solaire thermique ne peut pas se développer en Europe, en raison de l'espace qu'il exige. C'est notre point fort : la disponibilité de l'espace. " L'option est sérieusement prise en compte par le gouvernement, qui a adopté en mars 2011 un programme des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique. Il vise à disposer d'une capacité électrique de 22 000 mégawatts en énergies renouvelables d'ici à 2030, dont 10 000 seraient consacrées à l'export. Une centrale solaire hybride gaz-solaire a déjà été construite, à Hassi R'Mel, en collaboration avec la firme espagnole Abengoa. Une usine de panneaux solaires, à Rouiba, près d'Alger, devrait commencer à produire en 2013.

Mais pour développer le solaire, dit Maiouf Belhamel, directeur du Centre de développement des énergies renouvelables, " il faut maîtriser la technologie et nous en sommes loin ". Et puis, l'Algérie peut-elle investir à la fois dans le solaire et dans les gaz de schiste ? Des choix financiers devront être faits. Sans oublier la question des économies d'énergie : " Il faut augmenter les tarifs de l'énergie, dit Tewfik Hasni, la véritable solution est dans le modèle de consommation. " Le sujet est délicat : le prix de l'énergie est un des éléments du fragile compromis social algérien.

Hervé Kempf Le Monde


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Mis en ligne le 16/05/2012