Les grandes lâchetés énergétiques

LEMONDE 20.04.11; point de vue de Jean-Marie Chevalier, directeur du centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières CGEMP.


Breugel l'ancien, la parabole des aveugles (lien).

Le monde de l'énergie est dramatiquement agité. Depuis deux ans, les événements se succèdent : la révolution des gaz non conventionnels aux Etats-Unis, l'accident de la plate-forme BP en Louisiane, le vent de révolte dans le monde arabe et enfin la catastrophe de Fukushima dont on a encore du mal à mesurer l'impact sur l'économie japonaise et sur les choix énergétiques dans le monde entier.

Pendant ce temps, en France, la réflexion énergétique est asphyxiée par des considérations politiques dans lesquelles se mêlent l'absence de courage, un nationalisme frileux et des préoccupations électoralistes.

L'exemple le plus affligeant est celui des prix de l'électricité. Entre 1994 et la mi-2010, ils n'ont pas bougé en valeur nominale. Ils sont plus bas que la plupart des prix européens, mais ce niveau est artificiellement bas car la classe politique a bloqué les prix, indépendamment des coûts et des besoins de financement. Pierre Gadonneix, dans les derniers mois de son mandat à la présidence d'EDF, avait suggéré une augmentation étalée de 20 %. Rien n'a été fait et, depuis, entre autres exemples, les salaires d'EDF ont augmenté de 8 %.

Les économistes n'aiment pas les blocages des prix, car ils donnent aux consommateurs des faux signaux et entretiennent des illusions. Après l'élection présidentielle, le réveil sera douloureux car la situation financière de l'entreprise EDF sera difficile et il faudra bien augmenter les tarifs.

Sur le même sujet, le prix auquel les concurrents d'EDF vont lui acheter de l'électricité dans le cadre de la loi NOME (nouvelle organisation du marché de l'électricité), a été fixé à un niveau proche de celui demandé par EDF : 40€ puis 42€/mWh (4cts€ puis 4.2cts€/kWh). A ce niveau, la concurrence ne se développera pas, ce qui va exacerber la colère des nouveaux entrants et de la Commission européenne. Les contentieux ouverts contre la France ne sont pas fermés et des décisions pourraient se traduire par des pénalités de plusieurs dizaines de milliards d'euros.

On retrouve la même attitude sur le prix du gaz naturel : l'augmentation prévue pour juillet ne sera pas appliquée et aucune augmentation ne sera autorisée avant la présidentielle. Le prix auquel on achète le gaz à nos fournisseurs est partiellement indexé sur le prix du pétrole et, du côté du pétrole, on ne peut que s'attendre à de nouvelles hausses, sauf crise économique.

Un autre exemple de lâcheté collective est fourni par la question du gaz de schiste. Des permis d'exploration avaient été accordés quand Jean-Louis Borloo était ministre de l'énergie et de l'environnement. Une tempête d'opposition a éclaté, fin 2010, dans l'Ardèche, l'Aveyron et la Drôme pour gagner ensuite l'Ile-de-France.

Les partis politiques ont fait de la surenchère en se bousculant pour faire passer une loi qui interdit l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste. Le pays de Descartes bascule dans l'émotionnel pur. La sagesse et la rationalité économique voudraient que l'on examine soigneusement la question : de quelles quantités de gaz dispose-t-on ? A quel coût ? Quelles peuvent être les conséquences sur l'environnement et quels standards de sécurité faut-il établir ? Quelles retombées économiques pour les entreprises et les régions ?

Ces questions relèvent d'un principe de précaution intelligemment appliqué, pas d'un principe aveugle qui fait obstacle au progrès technique. Deux rapports sont en cours de rédaction. Attendons les conclusions.

Le gaz de schiste a été une formidable opportunité pour les Etats-Unis : les réserves américaines de gaz naturel ont été augmentées ; le pays que l'on voyait devenir un importateur massif de gaz naturel liquéfié pourrait devenir exportateur de gaz et, enfin, le prix du gaz a été divisé par deux.

Certes, il est important de faire un bilan précis des effets sur l'environnement. Le film Gasland relate des fautes mais il ne reflète pas la situation générale aux Etats-Unis. En France, on interdit sans argumentation solide et, en même temps, on se révolte contre l'augmentation du prix du gaz.

Reste le nucléaire post-Fukushima. Pour l'instant l'émotionnel reste contenu. L'inspection systématique des sites demandée par le premier ministre est une bonne chose. Il faudra appliquer les recommandations... et les financer.

Sur les questions liées au couple infernal énergie-climat, il faut que les Français soient informés et prennent leurs responsabilités politiques et citoyennes.

Flash info ce 22/4/2011; pré-rapport du CGIET-CGEDD est favorable à l'exploration (lien).

Mis en ligne le 08/12/2010