tout développer | tout réduire

Gaz de schistes; mon point de vue sur la démarche "lanceur d'alerte"

Il n'y a pas de commune mesure entre le danger nucléaire et le danger des gaz de schistes. La catastrophe du Japon le démontre en ce qui concerne le nucléaire. Danger du nucléaire: une probabilité infime qu'un réacteur ait un problème majeur; mais des dégâts infinis et des conséquences léthales pour des millions d'habitants. Ce danger n'est donc pas quantifiable et c'est pourquoi le nucléaire relève du choix de société et du politique.

En France on a fait le choix du nucléaire depuis 40 ans et on ne tient pas compte du danger, espérant que la probablité infime qu'une catastrophe majeure ne se réalisera pas. Mais par le jeu des probabilités composées dont je vous passe les calculs, pour 450 réacteurs dans le monde la probabilité de survenance d'un accident majeur est de 8.5% en une année; il y a donc 1 chance sur 12.5 qu'un réacteur dans le monde ait un problème qui peut être majeur voire catastrophique comme au Japon en 2011.

Rien de cela dans le gaz de schiste. En France on se focalise dans l'opposition au gaz de schiste mais il y a beaucoup plus que cela dans cette affaire. C'est un vieux rêve que d'exploiter le charbon in situ en extrayant le gaz contenu (méthane) ou en gazéifiant le charbon. Dans la mine très grisouteuse - donc dangereuse - où j'étais ingénieur, on captait le grisou (méthane), on l'amenait au jour par une conduite en acier galvanisé, et on le brûlait au jour dans un moteur à gaz (*). Les couches de charbon se sont formées par une concentration de matières organiques au fond de marécages ou de lagunes alimentés par les végétaux des reliefs voisins; avant et après le processus de concentration il y avait aussi une alimentation en matières organiques dans les sédiments qui alimentaient ces bassins et qui en se décomposant ont donné des éléments solides et gazeux qu'il n'a jamais été question d'exploiter jusqu'à présent - car teneurs trop faibles, faute de technologie et coûts trop élevés, comparés aux ressources plus faciles à exploiter, mais aujourd'hui en cours de raréfaction.

(*)le grisou, mélange de méthane et d'air est explosif à une teneur en méthane comprise entre 6 et 16%; dans les mines grisouteuses en France, on évacuait le personnel si la teneur atteignait 1.5%; et dans les installations de captage on arrêtait si la teneur descendait en dessous de 30%. Le danger dans la station de pompage ce sont des entrées d'air accidentelles qui rendraient le gaz explosif.

Le mouvement vers la récupération de ressources en gaz naturel non conventionnelles a commencé aux États-Unis durant les années 2000 pour relancer la production de champs pétroliers déclinants. L'exploitation a vraiment commencé à partir de 2007 (*). Vu la taille des 48 États contigus (lower 48 states) 7.8 millions de km2, l'abondance des formations sédimentaires, et l'existence d'un réseau de distribution de gaz (*), on a pu développer la captation de gaz dans des gisements de caractéristiques diverses, au point d'assurer l'indépendance des États-Unis en gaz naturel. Ils ont ainsi cessé les importations de GNL. Produisant plus de 1 milliard de tonnes charbon pour alimenter leurs centrales électriques - plus 104 réacteurs nucléaires - les États-Unis ont voulu réduire leur dépendance à l'égard du pétrole et du gaz importé, du charbon et du nucléaire. Le gaz naturel est l'énergie fossile la plus propre, la plus souple et la plus efficace en rendement énergétique car on peut faire facilement du cycle combiné (récupérer la chaleur) et avoir des centrales près des villes; une centrale à gaz démarre quasi instantanément ce qui permet de fonctionner en complément de l'éolien et du photovoltaïque. Aucune technique n'est sans danger! Se focaliser comme on le fait en France sur le "gaz de schiste", en "lanceur d'alerte" ou "whistleblower", est selon moi prématuré. Sans compter le retard que l'on prendra dans la compréhension de ces techniques nouvelles et le risque de perdre pendant des années l'opportunité d'une ressource d'énergie fossile (**).

Marcellus shales: 27 forages en 200è, 161 en 2008, 785 en 2009, 1386 en 2010; une véritable explosion. Nous sommes sans doute face à la découverte la plus importante depuis la fin de la 2è guerre mondiale.

(*) L'exploitation de gaz nécessite un réseau de pipelines des points de production aux points d'utilisation. Vu la dispersion des forages à travers un immense territoire, le fait que les forages sont effectués sur les propriétés privées au termes de contrats de partage de la rente minière générée, entre propriétaire du sol et l'exploitant du sous-sol, il n'existe pas encore de réseau de pipelines partout. Les exploitants et les propriétaires du sol doivent donc attendre la réalisation de ce réseau pour profiter de la rente; cela fait l'objet d'une clause du contrat. Le contrat prévoit une somme fixe et une royalty calculée sur la valeur produite. La somme fixe était au début de l'ordre de 100$/acre (2.5 acres/hectare) mais avec l'explosion de l'intérêt c'est maintenant plus de 1000$/acre; la royalty est de 12.5% de la valeur produite voire plus; au prix actuel de 8$/pied cube de gaz, soit environ 80$/m3, un propriétaire de terrain de 1 hectare peut bénéficier d'une rente de plusieurs centaines de milliers de dollars par an.

(**) Une fois le forage terminé, équipé à sa tête et raccordé au réseau de pipelines de distribution de gaz enterré, on pense que le forage pourrait débiter du gaz pendant des décennies; comme le forage est en dépression il n'exerce aucun impact sur les roches environnantes sauf à capter leur gaz contenu. On a donc une méthode de production d'énergie fossile sans aucun impact sur l'environnement. L'impact est dans le réseau de pipelines. C'est au moment du forage, éventuellement stimulé par fracturation hydraulique accompagné de produits chimiques, qu'un tel impact négatif peut se produire. Le forage est effectué comme tous les forages pétroliers, avec de la boue (bentonite) qui sert au refroidissement de la tête de forage et du train de tiges, ainsi qu'à l'évacuation sur la plateforme, des chippings (coupes). C'est lors de la fracturation hydraulique eau plus 2% d'un cocktail de produits chimiques - qui servent à empêcher le développement de bactéries qui reboucheraient les fissures - que le risque de contamination de roches voisines existe à travers des grosses fissures naturelles ou des failles; c'est sans doute comme cela que les eaux des puits des propriétaires du sol ont été contaminées par de la boue de forage avec du gaz dissous. Il s'agit de propriétaires qui ne sont pas connectés à un réseau de distribution d'eau potable et qui s'alimentent par un puits ou un forage profond. Mais dans le cadre du contrat de partage de la rente minière, le propriétaire n'a rien à dire car il doit accepter les avantages et les déconvenues de l'exploitation du sous sol sous sa propriété. Il faut donc attendre que le désordre cesse.

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a doublé ses estimations de réserves possibles de gaz naturel dans le monde, en extrapolant l'expérience et les résultats des États-Unis au vu de la carte mondiales des réserves de charbon (lien).. Le leader de la technologie en la matière est le groupe Schlumberger qui offre sa technologie aux sociétés qui ont développé l'exploitation aux États-Unis, telles Schuepach. Ces sociétés ne sont pas venues en France de leur seule initiative. Elles ont très probablement été sollicitées par notre Conseil Général des Mines CGM (devenu en 2009 Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies CGIET), les ministères de l'Industrie et de l'Écologie, pour nous dire quel serait le potentiel d'extraction de gaz naturel sur notre territoire dans les grandes régions sédimentaires ex- régions productrices de houille; c'est pourquoi on a commencé par les régions des Cevennes (Alès) et de Provence (Gardanne).

Pour toutes ces raisons je refuse de m'inscrire dans une démarche "lanceur d'alerte" qui me paraît prématurée; laissons le processus de "Recherche et Développement" se dérouler en même temps que les études d'information et d'impact pour répondre aux oppositions actuelles (*). Tout développement nouveau qui pourrait accroître la diversité de notre mix energétique, réduire notre dépendance à l'égard du pétrole importé, du nucléaire et faciliter la transition vers les énergies nouvelles, me paraît positive.

(*)L'agence américaine pour la protection de l'environnement EPA a lancé une étude pour comprendre tous les aspects de cette technologie nouvelle; les résultats seraient disponibles en 2012. En attendant je recommande le site de geology.com où l'on trouve l'état de la technique connu à ce jour, sur les gaz de schistes aux États-Unis, les gisement de Marcellus et d'Utica dans les Appalaches et de Bakken en Dakota du Nord, (lien)..

Mis en ligne le 08/12/2010