La tragédie des biens communs

(The Tragedy of Commons)

Le démographe William Foster Loyd avait présenté en 1833, dans un livre intitulé « Two Lectures on the Checks to Population », l'exemple suivant, pour illustrer la tendance naturelle de l'homme à consommer entièrement les ressources communes.

Tous les bergers ont accès à une prairie commune. Vont-ils garder leur troupeau stationnaire? Vont-ils l'accroître? Une chose est certaine : ils veulent maximiser leurs gains. Chacun d'entre eux raisonne donc de la manière suivante : que se passera-t-il si j'ajoute un animal à mon troupeau? Cet accroissement a deux effets, l'un positif, l'autre négatif. Le résultat positif, prix de vente de l'animal, me reviendra entièrement, tandis que le résultat négatif, c'est-à-dire l'exploitation accrue du pâturage, pèsera sur tous les éleveurs. Chacun des individus en arrive à la conclusion que l'idéal serait d'ajouter un animal au troupeau, puis un deuxième, puis un troisième, etc.

Cette vision des choses conduit inévitablement à la ruine collective. Elle existe depuis toujours, mais la science et la technique l'ont généralisée à tous les types de consommations. Croissance économique et démographique sont forcément exponentielles jusqu'à un certain degré d'épuisement des ressources limitantes. Ensuite, on observe une décélération. C'est la courbe dite « logistique » (ou en S, ou de pénétration des marchés, pour les économistes).

L'un des membres du Club de Rome, Maurice Lamontagne (économiste, homme politique canadien) a déclaré en 1974 :

« Cette constatation devrait préparer l'opinion publique à recevoir un nouveau message plus positif de la part des gouvernements, mais aussi de tous ceux qui ont un rôle de direction. Il ne s'agit pas en effet d'apprendre seulement à freiner l'expansion quantitative et à réaliser concrètement que l'argent ne fait pas nécessairement le bonheur. Il faut aussi provoquer un élan de croissance qualitative, ce qui exigera sans doute un immense sursaut culturel. Tel est le grand défi qui en définitive se pose à tous les dirigeants de notre société et à chacun d'entre nous. »

« Comment des hommes sérieux peuvent-ils dire, à la fin d'un exercice financier, que la croissance du PNB a été de 7%, alors qu'ils n'ont aucune idée du coût des hypothèques humaines et écologiques de toutes sortes qui ont rendu ce taux possible ? Un pays comme le Kénya pourrait avoir le taux de croissance le plus élevé du monde. Il suffirait qu'il accepte d'envoyer ses buffles chez le boucher et ses girafes chez le tanneur, quitte à perdre dans l'avenir les revenus considérables qu'il tire du tourisme. N'est-ce pas là la vérité du PNB et l'histoire de toutes les croissances sauvages ? »

« Borné dans sa nature, infini dans ses voeux, disait Lamartine en parlant de l'homme. Les avantages du progrès nous ont fait oublier la première partie de cet alexandrin. Ses inconvénients nous la font redécouvrir. »