La politique de civilisation selon son auteur Edgar Morin.
Var Matin 12/01/2008 Jacques Gantié

Lors de sa conférence de presse du 8 janvier 2008, Nicolas Sarkozy a placé ses réformes sous le signe de la politique de civilisation, parlant de réhumaniser la société et de nouvelle renaissance de la France.

Le concept est d'Edgar Morin, qu'il venait de rencontrer quelques heures plus tôt. Le sociologue et philosophe est l'auteur, notamment, de "La violence du monde", "Culture et barbarie européennes", "Pour une politique de civilisation" (1997) qu'Arlea réédite, "L'humanité de l'humanité", écrit en partie dans sa maison de La Bollène-Vésubie (Alpes-Maritimes) et "La Méthode", ouvrage majeur que le Seuil rééditera en mars. Et "l'an I de l'ère écologique".

Homme de gauche, adepte de la pluridisciplinarité, à quatre-vingt-sept ans il n'est pas devenu penseur officiel ou rallié de la République mais se satisfait d'être officiellement reconnu. Car ses idées, qu'on se dispute à l'étranger, sont au coeur des grands débats de société. Et comme deux Nobel d'économie, Joseph Stiglitz et Amartya Sen, qui plancheront sur le thème de la croissance il apporte du "fond".

Il explique comment il a été entendu par l'Elysée et résume sa politique de civilisation.


Que signifie pour vous. une « politique de civilisation » et êtes-vous sûr que Nicolas Sarkozy parte de la même chose que vous ?

Mon livre écrit il y a dix ans avec Sami Naïr a été accueilli dans l'indifférence générale. Je me réjouis qu'on l'ait relu avec intérêt car cette politique est indispensable si l'on veut restaurer les solidarités. Sarkozy l'avait-il compris ainsi? Je ne crois pas. Lorsqu'il m'a reçu lundi matin, à l'Elysée, une quarantaine de minutes, en compagnie d'Henri Guaino qui m'avait contacté - il a parlé de valeurs culturelles, d'identité... Je lui ai remis mon livre et exposé mon point de vue sur la crise de notre civilisation occidentale sous l'hégémonie du quantitatif, du chiffré, du toujours plus. Je lui ai dit qu'il fallait sortir du culte de la croissance et passer à la civilisation du qualitatif. Cette politique s'inscrit dans un temps long, de « l'essentiel » par opposition à celui de l'urgence et de la « gestion ».

N'y a-t-il pas eu confusion entre civilisation et culture?

Dans l'esprit du président, sans doute. La culture, c'est ce qui est spécifique à un peuple. Ses rites, ses mythes, l'ensemble des croyances et des valeurs propres à une communauté. La civilisation est plus transmissible, universalisable. Notre civilisation occidentale, née au XVIe siècle, se définit par un ensemble de développements : économie, techniques, savoirs, science, nation, droits de l'homme, démocratie... C'est elle, aux effets aujourd'hui plus négatifs que positifs, qui nécessite une réforme. Donc une politique.

Que préconisez-vous pour « civiliser » et améliorer les relations entre les humains, à commencer par les Français?

Il faut, entre autres, réhumaniser les villes, casser les banlieues-ghettos, régénérer la solidarité. A ce sujet, l'attitude du président est inhumaine en ce qui concerne les adolescents délinquants ou le sort réservé aux immigrés. Je préconise des « maisons de la solidarité », j'instituerais un service civil de solidarité qui permettrait aux jeunes de venir en aide aux plus malheureux. Une politique de civilisation, de civilisation, notamment par une réforme de l'enseignement, doit permettre de restituer solidarité et responsabilité. Enseigner la compréhension d'autrui est vital dans un monde où l'incivilité gagne du terrain et nie l'autre.

Dans « La Méthode », il est notamment question du devenir de la Méditerranée. Encore un thème cher à Nicolas Sarkozy. Que lui conseilleriez-vous sur ce plan?

Il faut d'abord redonner au mot Méditerranée un sens riche, profond, remythifier cette Méditerranée maternelle qui a été le centre de la civilisation romaine. Puis repacifier, forger dans cette zone laboratoire une communauté de destins, dépasser les conflits historique entre le monde chrétien et islamique.

Nicolas Sarkozy vous simplement demandé une réflexion ou vous a-t-il chargé d'une mission?

Une réflexion, ce n'est pas mal et puis je refuse tout poste officiel! J'espère qu'on va vraiment aborder le débat de fond. J'aimerai aussi que les hommes politiques de gauche soient impliqués dans ce débat car mon inspiration est de gauche. Mais ils sont défaillants et stériles. Seule Ségolène Royal a demandé à me rencontrer. Je dois la voir lundi à dîner.

Avez-vous l'impression d'avoir été entendu, compris, ou au contrait instrumentalisé?

Ni l'un ni l'autre. Et pu instrumentalisé, à mon âge, je ne le pense pas ! Sarkozy sent qu'il y a un vide dans la politique et veut imprimer sa marque, apporter uni vraie rupture. Le fera-t-il? Dans sa conférence de presse il y avait le Sarkozy de la "civilisation" et celui qui continue à parler en termes de de plus de croissance et de travail et n'a pas pris conscience de l'urgence d'une politique plus radicale encore qui prenne en compte nos problèmes de vie.

Que vous inspirent le slogan "Travailler plus pour gagner plus" et le nouvel assaut contre les 35 heures?

Les 35 heures constituent un acte de politique de civilisation qui touche juste. - la vraie vie est en dehors du travail - mais a été traité maladroitement, unilatéralement et bureaucratiquement. On est dans une époque où la logique patronale domine et je crois qu'il faut rééduquer et désintoxiquer l'opinion. Montrer la voie vers le bien vivre, une espérance, des relations plus harmonieuses entre les gens, hors de la dictature de l'argent.


Mis en ligne le 12/01/2008 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://paysdefayence.blogspot.com et http://pierreratcliffe.blogspot.com