Edgar Morin: la planète en danger


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L'ère planétaire commence à la fin du XVe siècle avec la découverte, par les Européens, d'un continent peuplé de cultures inconnues et de dieux inconnus. L'unité microbienne du monde se réalise aussitôt. Le tréponème pâle traverse l'Atlantique, se répand en Europe, et en sept ans atteint la Chine par la route des caravanes tandis que notre bacille de Koch se rue sur les populations indiennes d'Amérique. Le tabagisme se répand en Europe et l'alcoolisme frappe l'Amérique. Les pommes de terre, tomates, maïs se répandent dans l'Ancien Monde, le cheval, le blé, le café dans le Nouveau. Un réseau de plus en plus serré d'échanges et de communications se tisse sur la planète. La mondialisation s'amplifie au xixe siècle, avec le déferlement de l'Europe colonialiste sur l'ensemble du globe. Elle se déchaîne au XXe siècle dans et par deux guerres mondiales. L'économie est mondialisée. Le marché est mondial. Le capitalisme est international. L'écologie est devenue un problème planétaire. La Terre dans sa globalité a été filmée et l'« orange bleue » est projetée sans cesse sur les écrans de télévision aux regards de tous les humains.

Aujourd'hui, chacun d'entre nous est comme le point singulier d'un hologramme et il contient, dans une certaine mesure, le tout planétaire qui le contient. Ainsi, chaque matin, je prends mon thé qui vient du Yunnan ou mon moka qui vient d'Éthiopie, j'écoute ma radio japonaise qui m'offre les événements du monde entier, je mets mon slip et ma chemise de coton égyptien ou indien confectionnés à Taiwan ou en Corée, je prends mon journal dont le papier est fait avec du bois de Norvège ou du Brésil, j'écoute un disque où une chanteuse noire interprète la Japonaise Butterfly de l'Italien Puccini. Au déjeuner et au dîner les pomelos de Californie ou d'Israël, les ananas et mangues d'Afrique, les bananes de Martinique, les haricots verts du Kenya, le riz du Pakistan se retrouvent à ma table. L'Africain dans sa brousse ou dans son bidonville n'est pas non plus isolé : l'Occident est en lui ; il subit les effets de la monoculture, de l'urbanisation, du système économique occidental, et il peut de moins en moins échapper aux modèles d'habitat, de consommation du monde blanc. Pourtant l'unité planétaire est déchirée, convulsive. Les solidarités sont conflictuelles et les conflits sont solidaires les uns des autres. Le conflit du Golfe révèle la dépendance du monde à l'égard des gisements de pétrole du Koweït. Il nous révèle également que les interactions entre religions, ethnies, races, nations sont plus que jamais mortifères. Dans ces conditions, les guerres de l'ère planétaire sont des guerres intestines. Comme dans une maladie auto-immune où les cellules d'un même organisme n'aiTivent pas à se reconnaître comme soeurs et se font la guerre en ennemies, les composantes de l'organisme planétaire continuent à vouloir s'entre-détruire. Nous planétaire. Une conscience planétaire planétairre est certesnon rsuffisante, mais elle est cie nécessaire pour sortir de cet âge de fer.

La conscience planétaire ne doit pas être seulement la conscience de l'ère planétaire. Elle doit porter en elle la convergence de plusieurs prises de conscience : la conscience anthropologique, la conscience écologique, la conscience tellurique, la conscience cosmique.

  1. La conscience anthropologique s'est renouvelée depuis que la préhistoire a reconnu l'unité originelle d'Homo sapiens, d'où se sont différenciées races et ethnies, et depuis que la biologie révèle l'unité fondamentale, génétique, cérébrale, psychique, du genre humain. C'est il y a plusieurs dizaines de milliers d'années qu'a commencé la diaspora planétaire de l'humanité, chaque fragment s'enfermant en lui-même dans son langage, ses mythes, ses rites et monopolisant pour lui-même la qualité d'homme. Il nous faut donc abandonner l'idée que les races et les cultures séparent originellement les hommes et il faut reconnaître le cordon ombilical commun. I1 faut savoir que l'ère planétaire met fin à la diaspora humaine, et qu'elle nous permet de retrouver et d'accomplir l'unité humaine, à travers justement la diversité des cultures.
  2. La conscience écologique, elle, nous fait abandonner l'idée que notre environnement est fait d'éléments, de choses, d'espèces végétales et animales, manipulables asservissables impunément par le génie humain. Elle nous révèle que l'ensemble des interactions entre êtres vivants au sein d'un site géophysique constitue une organisation spontanée ayant ses régulations propres, l'écosystème, et que les écosystèmes sont globés dans une entité d'ensemble, auto-organisée autorégulée, qui forme la biosphère. Elle nous indique que la croissance industrielle, technique et urbaine incontrôlée tend non seulement à détruire toute vie dans des écosystèmes locaux, mais aussi et surtout à dégrader la biosphère et à menacer finalement la vie elle-même, y compris humaine, laquelle fait partie de la biosphère. Elle nous enseigne du même coup que la menace mortifère est de nature planétaire et, dans ce sens, la conscience écologique est une composante de nouvelle conscience planétaire.
  3. La conscience tellurique complète la conscience écologique. Depuis que, dans les années soixante, les sciences de la Terre ont pu s'entre-articuler les unes aux autres, nous pouvons savoir que la Terre n'est pas une boule de billard cosmique, c'est un système complexe auto-organisateur et autorégulateur ayant sa vie propre, son histoire singulière, son devenir évolutif.

Ainsi, l'humanité est dans la biosphère, dont elle fait partie. La biosphère enveloppe la planète Terre dont le fait partie. La planète Terre avec sa biosphère et son humanité constitue un ensemble complexe. Nous ne sommes pas des êtres surnaturels, nous sommes des enfants de la vie. Nous nous en sommes différenciés jusqu'à nous en croire étrangers, mais nous ne pouvons ni ne devons nous en séparer, si nous voulons continuer l'aventure humaine.

Enfin, la conscience cosmologique nous permet de situer notre planète dans le cosmos. Nous ne sommes plus dans l'univers de Copernic ni de Laplace. Le monde n'est plus cette machine déterministe parfaire animée par un mouvement perpétuel. Une révolution beaucoup plus considérable que la révolution copernicienne s'est accomplie il y a environ vingt-cinq ans. Après Copernic, la Terre rétrogradée au troisième rang cosmique demeurait toutefois proche du centre de l'univers, son Soleil. Aujourd'hui, le Soleil est un petit astre de banlieue, aux frontières d'une galaxie périphérique, dans un cosmos dépourvu de centre et où les galaxies s'éloignent vertigineusement les unes des autres. Notre Terre n'est plus qu'une minuscule planète perdue dans un gigantesque cosmos où grouillent par milliards étoiles et galaxies. C'est une petite planète tiédasse dans des espaces sans fin où règne un froid de glace, sauf en la fournaise des étoiles où règne un feu désintégrant. Ce cosmos s'est, paraît-il, formé dans une déflagration initiale à partir de quoi il a commencé à la fois à se désintégrer et à s'organiser. Va-t-il vers la dispersion ? Vers la recontraction ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? Y a-t-il quelque finalité dans l'univers? Notre venue au monde a-t-elle un sens ? Sommes-nous seuls dans l'immensité de milliards d'années-lumière? Pourquoi


Mis en ligne le 24/01/2009 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://paysdefayence.blogspot.com et http://pratclif.com