NIGER - Désastre humanitaire annoncé

Courrier International 22/7/2005

Depuis presque un an, les ONG ont averti de l'imminence d'une crise alimentaire majeure au Niger, pays ravagé par la sécheresse et les invasions d'insectes. En dépit d'une bonne volonté affichée, les décideurs politiques et les médias n'ont pas réalisé l'urgence de la situation. Une partie de la population serait déjà condamnée.
"Les événements qui ont entouré le G8 auront réchauffé le cœur de tous les humanitaires – les nations les plus puissantes s'engageant à venir en aide à l'Afrique, des milliers de manifestants marchant sur Edimbourg afin de faire de la pauvreté une histoire ancienne, et plusieurs millions de voix répondant aux appels de Bono et de Bob Geldof", rappelle The Herald, le quotidien de Glasgow. Et de citer le constat désabusé de Natasha Quist, employée par l'ONG britannique Oxfam : "Tout cela aurait aussi bien pu se passer sur une autre planète."

Le Niger, deuxième pays le plus pauvre de la planète, "fait partie des 18 nations qui devraient bénéficier de l'annulation de la dette décidée au sommet de Gleneagles", indique The Herald. "Mais, dans l'immédiat, cela ne va pas permettre à la population de se nourrir", relève le quotidien. Or plus de 3 millions de personnes, dont 800 000 enfants, sont aujourd'hui menacées par la famine. Selon Natasha Quist, "plusieurs milliers d'entre eux sont au stade final de la malnutrition, probablement condamnés".

"L'an passé, le Niger a souffert d'une sécheresse exceptionnelle et d'une invasion de criquets qui ont dévasté les récoltes. A présent, les greniers sont vides et les prix des vivres sur les marchés inabordables", relate le quotidien camerounais Mutations. D'après The Scotsman, "une nouvelle sécheresse, qui a duré jusqu'au mois dernier, a laissé les populations rurales dans une situation désespérée avant la prochaine récolte de mil, qui n'aura lieu qu'en octobre".

"Depuis le mois d'octobre dernier, nous savions que la nourriture allait manquer en Afrique de l'Ouest, mais la réponse est désespérément lente", déplore un responsable de l'association humanitaire britannique Oxfam, cité par The Guardian de Londres. "Les Nations unies ont lancé un appel à l'aide pour le Niger en novembre 2004, mais n'ont pas obtenu de réponse. En mars, l'ONU a demandé une aide évaluée à 16 millions de dollars, et n'a obtenu que 1 million. Un autre appel, en mai dernier, a rapporté 10 millions de dollars, au lieu des 25 millions nécessaires", ajoute encore le quotidien londonien, citant un responsable de l'ONU.

Le journal Mutations rappelle que "la dernière crise alimentaire au Niger remonte à 2001". Avant de regretter que, cette fois-ci, "la catastrophe était pourtant annoncée". Et la catastrophe a bien eu lieu. Revenant de la région, le rapporteur spécial de l'ONU, Jean Ziegler, juge que "les groupes les plus vulnérables, comme les enfants, les malades et les personnes âgées, sont en voie de liquidation".

Mercredi 20 juillet, "le plus important responsable des programmes humanitaires de l'ONU a accusé la communauté internationale d'avoir poussé le pays du Sahel au bord de la famine en ignorant les appels à l'aide répétés", indique The Scotsman. Coordinateur des Nations unies pour les secours d'urgence, Jan Egeland a déclaré lors d'une conférence de presse : "Nous faisons face actuellement à une grave crise humanitaire au Niger, où des enfants meurent au moment même où je vous parle."

Selon le quotidien écossais, "la réponse tardive à la famine qui sévit dans ce pays illustre une fois encore la tendance des pays riches à n'intervenir que lorsque la situation atteint des proportions désespérées". Le responsable du programme alimentaire mondial pour le Niger, Gian Carlo Cirri, cité par The Guardian, a d'ailleurs lancé un avertissement : "Le Niger a besoin d'aide aujourd'hui, pas demain." Mardi 19 juillet, Jan Egeland a lancé un ultime appel à l'aide internationale, à hauteur de 30 millions de dollars. Un premier avion français a décollé de Marseille au soir du mercredi 20 juillet, afin d'acheminer des secours.

"Les Nations unies ont également mis en cause le rôle des médias dans la gestion de la catastrophe", note Mutations. Selon Elisabeth Byrs, responsable de la communication du Bureau pour la coordination des affaires humanitaires à Genève, "le relais des médias est capital. Ce sont eux qui font pression sur les bailleurs de fonds. Or, le message ne passe pas dans les rédactions. Les dépêches d'agence tombent, mais jusqu'à la semaine dernière, il n'y avait pas une ligne dans les journaux, pas un mot à la radio, pas une image à la télé." Seule la chaîne France 2 a consacré un reportage à la menace de famine au Niger, à l'occasion de l'ouverture du sommet du G8, début juillet.