Les sociaux-démocrates veulent "changer les mentalités" face à la rigueur

Le Monde 26 juin 2014 Claire Gatinois

APRÈS DES ANNÉES d'efforts sans résultats convaincants, les sociaux-démocrates d'Europe voient la victoire à portée de main. Celle qui leur permettra de prendre le dessus sur les "austériens" , ces avocats de la rigueur phobiques de la dette et du déficit. Avant même le sommet européen des 26 et 27 juin, Matteo Renzi, le président du conseil italien, François Hollande, chef de l'Etat français, et Sigmar Gabriel, le vice-chancelier allemand, ont lancé l'offensive pour "réorienter" l'Europe vers plus de croissance et moins d'austérité.

Voilà pour les mots. Reste les actes. Les plus audacieux imaginent réécrire les règles du pacte de stabilité qui oblige les Etats membres à afficher un déficit inférieur à 3 % du produit intérieur brut (PIB) et une dette en deçà de 60 %. Une discipline qui fixe aussi, depuis la crise de l'euro, une cible de déficit structurel (hors effet de conjoncture) à 0,5 % et un rythme de réduction de la dette.

Mais briser ce dogme est peu probable. En dépit du manque de popularité de la Commission européenne, vue comme un Père Fouettard, "il y a une sanctuarisation" de cette règle, explique un responsable bruxellois. "On dépensera beaucoup de capital politique pour un résultat nul ou non significatif" , pense aussi Guntram Wolff, président du think tank bruxellois Bruegel.

L'option privilégiée, y compris par MM. Renzi, Hollande et Gabriel, est donc de jouer sur l'interprétation des lois. "Changer les mentalités" , explique le président du conseil italien. A écouter la Commission, les opportunités sont vastes. Pour preuve, à ce jour, "nous n'avons fouetté personne" : aucune sanction n'a été appliquée en dépit des multiples infractions aux règles.

A court terme, les pays peuvent obtenir un délai supplémentaire pour atteindre les 3 % fatidiques. Pour gagner l'indulgence de la Commission, il s'agit de faire valoir les efforts en cours. La France, qui a déjà bénéficié de cette mansuétude, pourrait jouer cette carte, arguant de la réforme du marché du travail et des économies entreprises. Sans ce sursis, "il faudrait un plan d'austérité massif de 1,5 point de PIB en France, soit l'équivalent de 30 milliards d'euros pour atteindre les 3 %" , alerte Xavier Timbeau, économiste à l'OFCE.

Gages aux pays "durs"

Mais les anti-austérité, conscients de l'exaspération populaire, inquiets de l'atonie de la croissance, veulent plus. Ils exigent de repenser la méthode de calcul de la dépense publique pour ne pas devoir choisir entre croissance, réduction du chômage et discipline budgétaire. Ici, l'affaire est plus délicate. Il est d'ores et déjà possible de déduire du calcul du déficit des dépenses dites "intelligentes" , qui permettent de réduire à long terme le déficit structurel. Mais cette possibilité n'est offerte – à ce jour – qu'aux Etats qui ne sont pas en déficit excessif. L'Italie peut y prétendre, même si l'ampleur de sa dette effraie. Pas la France. Et encore, il faut calculer l'impact positif des réformes. "Et personne n'est jamais d'accord sur les chiffres" , souligne une source bruxelloise.

Une autre option consiste à déduire du déficit des dépenses d'investissement jugées pertinentes. L'astuce : les faire cofinancer par des fonds européens. Une participation aux frais vue comme un label "UE" . Le gouvernement italien s'est engouffré dans cette brèche. Mais la question fait débat. Pour trancher, Sigmar Gabriel suggère de faire financer intégralement ces dépenses par l'Europe, évitant ainsi de gonfler le déficit national.

Utopique ? Pour plus de souplesse, les pays "tendres" (France, Italie…) devront donner des gages aux pays "durs" (Allemagne, Finlande…) qui n'ont pas encore baissé les armes. Toutes ces idées alimenteront sans doute les discussions des prochains mois, notamment en décembre, lorsque la nouvelle Commission fera le bilan. Les plus impatients, eux, pourront toujours opter pour ce que M. Timbeau appelle la "troisième voie: enfreindre les règles. Ça évite d'aller quémander", résume-t-il.


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Mis en ligne le 27/06/2014