Augmenter les salaires, c'est l'intérêt du capitalisme productif
Olivier Passet sur Xerfi canal [video]

Peut-on échapper à un scénario de stagnation séculaire sans augmenter les salaires? Les intérêts des capitalistes et des travailleurs, pour reprendre une terminologie un peu surannée, seraient-ils convergents?

Alors non, que chacun se rassure, je ne vais pas préconiser ici un plan de relance par la consommation pour sortir l’économie française de l’ornière. Mon propos dépasse largement nos frontières et consiste plutôt à sortir de la boîte aux souvenirs le fameux concept un peu éculé de « partage des fruits de la croissance » qui prévalait durant les 30 glorieuses. Et c’est précisément ce qu’a fait Barack Obama lors de son dernier discours sur l’état de l’union de janvier 2015. Je partirai ici de deux constats lourds. D’abord, le fait que la mutation industrielle qui caractérise nos économies développées tend à polariser l’emploi entre des secteurs hyper-productifs, à forte intensité intellectuelle et des secteurs de déversement à faible productivité et aux conditions d’emploi dégradées. Ensuite le fait que la rente technologique tend à être captée par un petit nombre. D’abord par les grandes entreprises qui disposent d’un pouvoir de marché et de réseau supérieur aux autres. Et au sein de ces dernières, par ceux qui disposent d’un pouvoir de négociation supérieur aux autres: les actionnaires majoritaires et les managers de très haut niveau. Je ne reviens pas ici sur les golden hello (Google) qui viennent de défrayer la chronique ou sur l’étude Equilar selon laquelle 22 patrons du secteur high-tech américains avaient touché plus de 20 millions de dollars en 2013, alors qu'ils n'étaient que quatre six ans plus tôt.

Tout cela participe au dynamitage de ce que l’on appelait le compromis fordiste. Et enracine une crise larvée de la demande dans nos économies. Face à cela, le Quantitative Easing demeure une réponse partielle et aux effets ambigus. D’abord parce qu’il soumet les fluctuations de l’économie à des effets de richesse de plus en plus déstabilisants. Et passé la phase de montée de financiarisation qui avait dopé la dette des agents privés et publics, la demande et le potentiel de croissance, ces effets de richesse ont maintenant épuisé leurs effets sur le niveau de la production. On le voit très clairement dans le cas américain lorsque l’on observe l’amplification du cycle de richesse des managers. Une amplification qui conduit la croissance à régulièrement se fracasser sur l’explosion récurrente des bulles. Ensuite, parce que le régime durable de taux zéro et même négatif maintient en survie artificielle les secteurs zombie et participe au final à la dualisation de nos économies entre un pôle hyper-productif et un pôle sous-productif. Ces taux artificiellement bas participent à la formation de surcapacités mondiales et donc à la diffusion mondiale des tendances déflationnistes.

Bref, nos économies doivent réinventer un compromis redistributif des fruits de la croissance. Un compromis d’autant plus nécessaire que les effets de réseau et les externalités de productivité sont telles aujourd’hui, qu’il devient de plus en plus difficile d’attacher à chaque individu une performance qui lui serait propre. Cette difficulté fait le lit de la prédation des fruits de la croissance par quelques-uns. Résultat, les gains de productivité demeurent hyper-concentrés et se diluent dans une moyenne nationale qui ne veut plus rien dire. Or cette panne de productivité moyenne, sur laquelle s’enracinent tous les pessimismes sur notre potentiel de croissance à long terme, est le reflet d’une crise structurelle de la demande et non d’une panne du progrès technique.


On trouvera les idées avancées par Olivier Passet, largement développées dans l'ouvrage collectif1 d'économistes éminents "Secular stagnation, facts causes and cures". Les pays développés USA, Europe comme le Japon sont confrontés à une situation nouvelle: après la crise commencée en 2007 et dont le point bas se situe en 2009, les économies ne retrouvent pas leurs taux de croissance d'avant la crise; malgré les injections massives de liquidités, les taux d'intérêt zéro et négatifs, les économies stagnent et les taux d'emploi sont faibles avec une proportion élevée de sans emplois parmi les actifs 24-65 ans.
Je me suis penché sur la signification de la stagnation séculaire, une explication des problèmes de l'avant et de l'après crise économique actuelle dans ce billet [lien].

  1. Secular stagnation facts causes and cures | Coen Teulings and Richard Baldwin
  2. Stagnation séculaire et basse inflation | Michel Aglietta
    "Secular stagnation facts causes and cures" expliqué par cette synthèse de Michel Aglietta.
  3. Secular stagnation liens google
  4. Transcript of Larry Summers speech at the IMF Economic Forum, Nov. 8, 2013
  5. Larry Summers speech at the IMF Economic Forum, Nov. 8, 2013 (You Tube)
  6. OCDE: Etude économique de la France 2015
  7. Etudes OCDE sur la France
  8. OCDE étude France 2013
  9. Zero lower bound ZLB | taux d'intérêt zéro quesaco?
  10. The Full-Employment Model Stiglitz et Walsh
  11. Secular stagnation and capital flows | Jérémie Cohen-Setton Breughel Institute
  12. Breughel policy report 2015: EURO-AREA Governance: what to reform and how to do it
  13. Germany's trade surplus is a problem | Ben Bernanke


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Mis en ligne le 01/08/2014 pratclif.com