UberPOP est arrivé depuis lundi 8 juin dans trois nouvelles villes : Marseille, Strasbourg et Nantes. [liens]

Source : Atlantico. Uber un nouveau produit et service pour nous grâce au smartphone et ses applications. Mais refusé par les corporations établies qui n'en veulent pas. Comme les canuts de Lyon, les luddites en Angleterre; ou les conducteurs de diligences.

Atlantico : En quoi ces plateformes de mise en relation entre particuliers bousculent-elles l’économie actuelle ?

Bruno Teboul : Je pense que c’est une véritable révolution qui s’opère avec l’avènement de ces acteurs car ce sont des plateformes de désintermédiation de la relation entre consommateurs. Ce sont des plateformes digitales mobiles pour certaines d’entre elles mais pas seulement puisqu’elles peuvent être à la fois efficientes sur le web et sur smartphone. Et ce qu’elles ont de particulier c’est qu’elles permettent à la fois un gain de temps, une certaine efficacité dans la mise en relation entre consommateurs que ce soit pour louer un logement (Airbnb) ou pour commander une course (UberPOP).

Il y a cette dimension de traitement de l’information en temps réel qui peut être géolocalisé, le tout sur fond de désintermédiation. C’est souvent plus pratique plus facile et ça donne accès à des services qui sont perçus plus simple par le consommateur. On est dans de l’innovation continue d’ordre incrémentale qui n’est pas forcément une innovation de rupture. Et celle-ci apporte une vraie plus-value perçue par le consommateur en matière de prix et en matière d’accès à l’information et à l’offre grâce à la numérisation de la relation qui s’opère. L’avantage en termes de coût est certain car pour UberPop vous ne payez plus les frais d’approche que vous devez régler lorsque vous payez un taxi par exemple. Pour le consommateur la valeur ajoutée s’exprime donc aussi en euros sonnant et trébuchant. Autre exemple, sur Airbnb les coûts sont beaucoup plus accessibles. Ils sont négociés et négociables. Les prix sont plus compétitifs. Il y a bien par conséquent de la création de valeurs pour les particuliers.

Peut-on dire que ces plateformes d’échanges de services et de mise en relation de consommateurs créent de la valeur en termes d’économie ?

Ce qu’il faut comprendre c‘est que ces entreprises de mise en relation de consommateurs ont une très faible intensité capitalistique. En clair, la création de valeurs pour ces start-up se fait parce que, à titre d’exemple, Airbnb n’a pas d’hôtels et donc pas d’actifs immobilisés. De même, UberPop n’a pas de flotte de taxis ni de coûts de licences à supporter. Si l’on prend à contrario le groupe hôtelier Accor ou Taxi G7, les actifs immobilisés sont importants. Pour les start-up de mise en relation de consommateur, l’intensité capitalistique est très faible car elles nécessitent peu de ressources pour produire et dégager un chiffre d’affaires.

Les autres points communs de ces plateformes, c‘est qu’elles ont bien souvent eu la capacité à lever des fonds de manière astronomique, surtout pour les entreprises américaines, malheureusement pour nous. On utilise le terme de « Licornes » pour ces start up qui sont valorisées à des milliards de dollars et leur particularité indépendamment d’avoir peu d’intensité capitalistique c’est aussi d’avoir levé des dizaines voire des centaines de millions d’euros. Ce facteur clé explique comment elles-mêmes sont à la source d’une nouvelle création de valeurs. Enfin, troisième point déterminant, elles ont un niveau de masse salariale extrêmement faible. Ce sont des entreprises qui emploient quelques centaines voire quelques milliers de collaborateurs alors qu’elles font des centaines voire des milliards de chiffre d’affaires. La différence est de taille avec nos entreprises du CAC 40 qui elles, doivent supporter, malgré leur position hégémonique sur certains secteurs, une intensité capitalistique assez importante et une masse salariale qui se compte en plusieurs dizaines voire centaines de collaborateurs. Donc la bataille est très inégale entre les acteurs traditionnels et ces fameuses start-up que l’on nomme « Licornes ». Il y a encore peu de temps ces dernières étaient au nombre de 100-150 aux Etats-Unis et toutes étaient valorisées à plus de deux milliards de dollars. Donc il y a bien une création de valeurs pour ces start-up et c’est bien un première dans l’histoire. Souvenez-vous en 2000, ces mêmes entreprises innovantes de la première vague internet étaient survalorisées et elles perdaient de l’argent. Donc, les gens se sont dit qu’il s’agissait de coquilles vides. Ce n’est pas le cas des entreprises actuelles qui arrivent à générer du chiffre d’affaires et qui ont une valorisation astronomique.
Dans votre ouvrage « Ubérisation = économie déchiffrée » vous parler de « disruption destructive ». En quoi ce concept montre que ces activités vont avoir des conséquences radicales pour notre économie ?

J’ai développé ce concept à partir de l’analyse de Schumpeter que j’ai pu étudier en tant qu’étudiant. Je pense que désormais on n’est plus en mesure d’utiliser sa thèse de « destruction créatrice » pour comprendre les innovations de rupture auxquelles on assiste. Selon lui, on avait de façon cyclique des vagues d’innovation qui entrainent tant bien que mal la disparition d’activités traditionnelles supplantées par de nouvelles activités. On avait en conséquence des vagues régulières de créations et de destructions d’emplois. L’innovation était donc une forme de destruction à la base mais qui créait ensuite de nouveaux emplois plus qualifiés. Cette analyse était encore vraie il y a peu de temps. Malheureusement ce que l’on perçoit aujourd’hui, en tout cas ce que l’on anticipe, c’est que le phénomène d’ « ubérisation » que je décris dans mon ouvrage va balayer tous les secteurs de l’économie. Il n’y aura pas une industrie qui ne sera pas touchée par l’« ubérisation », à savoir la numérisation de son économie. Cela va entrainer la destruction de gisements d’emplois peu qualifiés et peu diplômés à court et moyen termes. Et ceux-ci ne seront pas remplacés. Aujourd’hui de nombreuses études sérieuses, qui viennent notamment du département du travail américain, expliquent qu’à l’horizon 2025, il y aura entre 42% et 47% des jobs qui seront détruits par cette automatisation ou « computerisation » de l’économie. Il y a néanmoins création de valeurs car s’il y a destruction d’emplois salariés, on assiste à la création de microentreprises, de boulots ou petits boulots tenus par des freelance. Il s’agit d’une « freelancisation » et d’une précarisation du travail mais pour autant ces mêmes jobs détruits par l’automatisation seront perdus définitivement.

Mais ces plateformes qui réinventent d’une certaine façon le troc peuvent-elles à termes générer des emplois ?

Pour ce qui est de l’emploi lié au phénomène de création de ces nouvelles plateformes, je ne peux pas considérer que ce soit de véritables emplois. Quand vous louer votre appartement même tous les mois, il s’agit plus de sources de revenu que d’emplois. Donc ça ne crée pas des emplois mais des sources de revenus additionnels. Ce que l’on voit avec cette économie numérique c’est que beaucoup d’activités deviennent des tâches mécaniques et de commodité. On peut citer l’exemple du site de « mircotasking » Amazon Mechanical Turk qui s’explique par l’« uberisation ».

Il y a beaucoup d’offres d’emploi sur ce site mais ce sont des jobs faiblement rémunérés, d’ailleurs le site fait scandale. De ce point de vue là on ne peut pas dire que cela ne crée pas de la précarisation. Quand vous êtes payés quelques dollars pour effectuer une tâche de retouche d’image sur des dizaines voire des centaines de photos, je ne pense pas que ça crée vraiment de la valeur. C’est dans ce cas une nouvelle forme de taylorisme qui finalement nous montre l’envers du décor et révèle que beaucoup de ces prestations de travail intellectuel sont déjà des commodités. Et comme les prix sont évalués sur une marché mondial, les prix sont tirés vers le bas. Donc je ne pense pas que ce type de plateformes crée de nouveaux jobs mais plutôt des revenus complémentaires à certaines personnes dans le monde.
Avant l’économie, c’était une entreprise qui fournissait un service ou un produit à un particulier. Ces interfaces permettant la mise en relation directe entre des particuliers va-t-elle changer la place de l’entreprise ? Qu’est-ce que ça va impliquer comme conséquences pour notre économie ?

L’entreprise, on la retrouve dans l’organisation de cette plateforme de mise en relation de consommateurs à consommateurs. Mais c’est vrai que l’entreprise n’est plus l’entreprise traditionnelle avec une volonté d’investir dans des machines ou des outils de production. Là, on parle de « softwarisation » des entreprises et de la relation entre consommateurs. C’est-à-dire que l’on n’est plus dans l’industrie lourde mais on est dans le serviciel, dans une tertiarisation. On est même dans ce que je qualifie être le quatrième secteur de l‘économie. On crée des acteurs digitaux qui sont des plateformes d’intermédiation entre consommateurs. Donc ce sont des entreprises d’un nouveau type avec peu d’intensité capitalistique ave peu d’actifs immobilisés. Elles sont dans l’investissement en recherche et développement, dans l’hyper-financement car elles parviennent à lever des fonds considérables et surtout elles sont dans la mise en place d’une relation directe entre consommateurs et c’est pour cela que l’on parle de désintermédiation. Il s’agit bien d’un nouveau type d’entreprises qui pullulent actuellement. Et celle-ci pose la question même du renouvellement des entreprises et de la forme d’entreprise qui se crée actuellement, à savoir des start-up, des microentreprises, de travailleurs indépendants couplés à peu de création d’emplois salariés. C’est ce changement économique qui s’opère sous nos yeux et qui produit la naissance d’un nouveau secteur de l’économie qui viendrait après le primaire, le secondaire et le tertiaire avec l’avènement du digital car toutes les secteurs traditionnels sont et seront solubles dans l’économie numérique.

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Mis en ligne le 14/06/2015 pratclif.com