Le témoignage d'Harold Adam un de mes cousins de Belgique sur l'exode de Belges lors de l'invasion allemande le 10 mai 1940

Odyssée du 10 mai 1940
Depuis quelques jours je suis dans ma 17è année. J'habite en Belgique dans un petit village, Dampicourt situé à 13 km de Montmédy (Meuse, France) où se termine la ligne Maginot. J'ai d'abord assisté, ensuite participé à l'exode massif des populations devant l'invasion allemande. Vers la fin de la matinée, le flot des réfugiés ne cesse de croître. Ce flot se transforme rapidement en fleuve. Alors commence une errance sans destination précise.

Le 11 mai, vers 2 heures, le génie français fait sauter deux ponts ferroviaires situés en bordure du village. Toute la population se joint au mouvement d'exode. Nous aussi, nous rejoignons la route de Montmédy.

Spectacle hallucinant. Un flot humain occupe toute la largeur de la chaussée en rags serrés. Piétons munis de sacs, brouettes chargées d'objets, voire de la grand-mère en personne, vélos, motos, attelages agricoles, voitures (notre cas), camions... Tout ce monde se presse tranquillement sans trop de soucis pour les maisons et les biens abandonnés. Sauve qui peut général. Trois personnes sont restées au village: l'aïeule étant intransportable.

Impossible de faire passer une unité militaire tant la densité et la pression du mouvement étaient fortes. La nuit n'a pas interrompu la marche de cette foule. Clair de lune sans doute. Des zones inondées bordent la route probablement par l'eau de la Chiers affluent de la Meuse. Le 11 mai notre première étape se termine à Verdun. Nous avons parcouru 60 km en 18 heures, les voitures étant incorporées à la foule.

Le 12 mai, nous avons repris la route. Ma mère voulait remonter vers Calais dont sa famille était originaire. Des officiers français l'en ont dissuadée; on se trouverait pris dans des colonnes blindées allemandes. Curieuse intuition. Nous avons pris la direction de Troyes et nous nous sommes arrêtés dans un faubourg de cette ville, la Chapelle Saint-Luc où nous sommes restés 15 jours. MOn père avait trouvé un travail (les réfugiés devaient se nourrir et se loger, il leur fallait de l'argent donc travailler pour en acquérir ndlr). Je passais mon temps chez un garagiste. Je serrais les joints de culasse, trop for, et je gonflais les pneus des voitures de réfugiés aussi pressés de partir que nous l'étions quelques jours plus tôt.

J'ai vu passer un groupe d'une cinquantaine de soldats, image de la déroute, sans armes, débraillés, silencieux, insensibles aux quolibets et aux coups de pied d'un capitaine de gendarmerie. L'inexorable avance des panzer divisions nous a contraints a reprendre le mouvement. Après une étape à Perigueux (je n'en suis pas sûr), nous sommes arrivés à Caudecoste près d'Agen où notre séjour a duré 3 mois.

Devant la brutale réalité du désastre, les autorités françaises ont invité les réfugiés à rentrer chez eux, ce que nous avons fait. Retour via Saumur où nous avons franchi la Loire sur un pont de bateaux. A cette époque personne n'évoquait le bien fondé de notre choix: le retour signifiait que l'on se mette sous la botte de l'occupant. Un soldat allemand nous a fourni de l'essence pour terminer notre parcours, en échange de quelques billets.

Le village que nous avions quitté quelques mois avant offrait un triste spectacle: maisons détruites, pillages, bétail en divagation, moissons en retard, herbes folles. Nous n'avons subi aucune attaque de la part de la Luftwaffe.

NB: à lire absolument "l'Exode" de l'historien Pierre Miquel (lien). L'oncle Ernest est cité à plusieurs reprises dans ce livre pour son rôle dans l'organisation de l'exode.


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Mis en ligne le 24/01/2013