L'Histoire d'Hélène Vagliano
par Maureen Emerson

De grands yeux sombres vous regardent, sous les sourcils arqués, du haut d'un visage ovale. Le regard est grave, mais le sujet sur la photo ne pouvait pas savoir ce que la vie avait en réserve pour elle. Elle, c'est Hélène Vagliano et son histoire ne doit pas être oubliée.

Les parents d'Hélène étaient issus d'un milieu franco-grecque de banquiers et propriétaires de navires marchands, ayant des liens étroits avec l'Angleterre. Il y a un tombeau Vagliano dans le cimetière de West Norwood à Londres. Hélène est née à Paris en 1909, mais la famille, son père Marino, sa mère Danaé, Hélène et ses deux frères, s'installent en Angleterre dans la maison nommée La Grange, à Ascot près de Windsor, où ils avaient l'une de leurs demeures élégantes et un jardin reputé pour sa beauté. Beaucoup plus tard, dans des circonstances très différentes, Danaë Vagliano se souviendrait de ce jardin avec son lac,'où flottaient des cygnes, blancs comme la neige'.

En 1924, les parents d'Hélène déménagèrent à Cannes, dans le sud de la France, et Hélène (toujours Elaine pour ses amis anglais) est devenue pensionnaire à l'école St. George, à Ascot. Dans cette école privée pour jeunes filles elle était heureuse et populaire. Son visage grave dans la photo dément sa vicacité et son sens de l'humour espiègle. C'était une élève modèle, nommée préfet en terminale, une pianiste douée, et gardienne de but dans la première équipe de lacrosse. Elle parlait couramment le français mais, résultat du lieu de son éducation, garda un accent anglais prononcé. Un fait qui jouerait contre elle dans l'avenir.

Une fois à Cannes, les Vaglianos achetèrent un terrain dans le quartier Californie, et y construisirent l'impressionnante Villa Champfleuri où Danaé créa un jardin d'une telle importance qu'il est maintenant sous une ordonnance de conservation. Là, il y avait des flamants rose sur les petits lacs, plutôt que des cygnes.

En 1927, Hélène quitta son école à Ascot et rejoignit sa famille à Cannes, où ses parents s'étaient déjà installés confortablement. Marino, le père d'Hélène, était champion de golf et le président du prestigieux club de golf de Cannes-La Napoule. Pendant l'occupation allemande dans les derniers mois de la seconde guerre mondiale, ce parcours fut planté d'environ 2000 mines. Danaé devint capitaine de l'équipe de golf des dames françaises, et le Trophée International Vagliano existe toujours en son nom.

De là, vivant la vie typique d'une jeune fille privilégiée de la Riviera des années '30, Hélène envoyait régulièrement des nouvelles de ses frasques à la revue des anciennes élèves de son école en Angleterre. Elle s'acheta un hors-bord :'c'est extrêmement excitant, surtout dans les virements de bord' écrivit-elle. Elle faisait du ski, et de l'alpinisme avec son frère,'nous avons causé beaucoup de frayeurs au guide'. Elle entrainait les tortues à la course: 'on devient presque hors d'haleine à leur poursuite', et s'est généralement bien amusée. Au milieu de cette gaieté, elle a également traduit des articles en Braille pour des revues pour aveugles.

Tout cela allait changer avec la déclaration de guerre en Septembre 1939, suivie par les mois mornes de la drôle de guerre. La communauté des expatriés le long de la côte, notamment à Cannes, entrèrent en action. De nombreux programmes d'aide furent lancés et les noms sur les entêtes de leurs lettres étaient ceux de la grande bourgeoisie de la Côte d'Azur de l'époque. Hélène et sa mère faisaient partie du comité de la cantine militaire à la gare de Cannes, mise en place pour fournir des rafraîchissements aux troupes en route pour défendre la frontière avec l'Italie. Mais quand, quelques mois plus tard, l'armée allemande fit une brêche dans la frontière belge et entra en France, la grande majorité de ces expatriés ont fui la Côte d'Azur.

En Juillet 1940, la France était envahie, faisant de l'un des frères d'Hélène un prisonnier de guerre, et le sud était tombé sous le régime du gouvernement de Vichy. Résolument anti-Vichy et anti-nazie, les Vaglianos restèrent sur place, sagement discrets. En 1941, Hélène devint l'organisatrice locale pour le département des services sociaux de la Maison des Prisonniers de Cannes - une organisation d'aide qui s'occupait des familles et des orphelins des soldats perdus et prisonniers de guerre. Alors que la guerre progressait, et pratiquement tout le monde souffrait de la faim, Hélène, chaque semaine, emmenait des groupes d'enfants au restaurant où elle leur offrait un bon repas, rare à l'époque. Elle a été reconnue comme étant aussi généreuse avec son argent, qu'avec sa compassion et était connue aussi pour ne jamais mettre en doute la victoire finale des Alliés.

En 1943, l'oppression dans le Sud augmentait alors que les Alliés envahissaient l'Afrique du Nord, l'Italie capitulait et l'armée allemande occupait complètement la Zone Libre de la France. Pour Hélène le bénévolat ne suffit plus et, à l'insu de ses parents, elle adhéra à la Résistance. Toute son énergie physique et intellectuelle avait trouvé à présent une cause à servir. Bien que sa mère dira plus tard: 'elle a travaillé avec les Anglais', Hélène n'est pas sur la liste des agents de la Special Operations Executive créé par Winston Churchill. Toutefois, elle semble avoir été impliquée dans plus d'un système visant à aider les Alliés. Elle est devenue un agent pour le Bureau Central de Renseignments et Action (BCRA) opérant à partir de Londres. Il s'agissait d'une organisation créée, à la demande de Winston Churchill, par le gouvernement de la France Libre du Général de Gaulle, dont le but était d'informer les Alliés des mouvements de l'ennemi et se préparer à la libération. Le réseau d'Hélène, dirigé par le Dr Paul Schmierer, nommé Tartane-Masséna, travaillait sur la Côte d'Azur, et son nom de code était Veilleuse. Elle est aussi devenue une 'boîte aux lettres' pour les Alliés et, équipée d'une radio, envoyait et recevait des messages et informait son contrôle sur les activités de l'armée allemande, car celle-ci anticipait une invasion quelque part le long de la côte. Elle a travaillé aussi avec un réseau locale, créé pour aider les poursuivis à s'échapper de la France vers l'Espagne et l'Afrique du Nord. Dans Ils Furent des Hommes C.L. Flavian constate qu'Hélène deviendra très vite l'unique représentante de ce groupe à Cannes. On pouvait voir fréquemment sa silhouette, délicatement bâtie, sur son vélo dans les rues de la ville. Souvent cachés dans ce vélo étaient des messages dans le guidon et, parfois, peut-être imprudemment, sa radio camouflée dans le panier à l'arrière.

Le 28 Juillet 1944, à un moment où l'espoir en une invasion alliée commençait à se transformer en certitude, une voiture s'arrêta devant l'immeuble où Hélène travaillait. A l'intérieur étaient des membres de la Légion Volontaires Jacques Doriot des Français Contre le Bolchevisme avec, en tête, un officier allemand. Dénoncée par une femme arrêtée, dont elle avait aidé le fils à s'échapper, Hélène fut arrêtée. Le même jour plus tard, à la Villa Champfleury, ses parents furent arrêtés comme otages, dans un mouvement destiné à faire pression sur Hélène pour la contraindre à trahir ses camarades résistants.

La torture d'Hélène commença immédiatement à la villa Montfleury, le triste siège de la Gestapo de Cannes, et elle se poursuivit au cours des prochains dix-sept jours, dans des lieux différents,. Dans la prison de Grasse, dans le Villa Trianon à Cimiez à Nice, puis dans une prison militaire dans la même ville, ses parents étant toujours déplacés près d'elle dans le même bâtiment, afin de s'assurer qu'ils étaient tenus au courant de sa souffrance. Les prisonniers étaient logés dans des cellules mal éclairées et pouilleuses, où souvent ils n'y avait pas d'eau pour se laver ou pour boire. Hélène fût brûlée sur le corps avec un fer à repasser et, à maintes reprises, rouée de coups de pied, sa seule réponse étant toujours: 'Je ne sais pas'. Ce régime continua jusqu'au jour où, incapable de supporter les terribles conditions de réclusion de ses parents et afin de les libérer, Hélène signa une confession pleine de noms et d'adresses fictives. Au moment où sa mère fut libérée, elle eut le temps de lui dire qu'elle: 'allait les envoyer partout en France, à la recherche de personnes qui n'existent pas'.

Le 15 août, à partir de sa cellule, Hélène entendit une voix crier dans la rue que les alliés avaient débarqué sur la côte à Fréjus. Folle de joie, elle s'est exclamée à son compagnon de cellule qui, plus tard, le relaya à la mère d'Hélène, que rien ne comptait maintenant que la France avait été libérée et que son travail était accompli: 'mon petit morceau est fini'. Au cours de l'après-midi même, sur une Riviera bombardée jour et nuit par les avions alliés, Hélène et vingt-trois autres prisonniers ont été rassemblés et entraînés dans le direction du quartier d'Ariane, derrière Nice. La route vers leur destination finale s'appelait le Chemin de la Croix.


Sur un morceau de terrain en face d'un rocher à pic, bordé par une petite rivière, le groupe fut aligné face à l'eau. Sous les regards horrifiés derrière les volets clos d'un agriculteur et de sa fille, les Allemands mirent en place leurs mitrailleuses sur le côté de la rivière opposée aux prisonniers. Vingt-quatre sont morts ce jour-là. A la droite d'Hélène est tombé un prêtre qui avait été arrêté pour avoir enterrés deux résistants fusillés par la Gestapo. Sur sa gauche, une jeune fille blonde qui avait servi comme infirmière pour le maquis. Plus bas, était le commandant de Lattre de Tassigny, un cousin retraité du Général de Lattre qui, à partir des plages de la Riviera, conduirait les Forces Françaises à la victoire à Berlin. Le fils du commandant avait rejoint la Résistance et son père avait été pris comme otage. Le fils avait déjà été capturé et tué deux jours auparavant. Hélène était couché à côté d'un petit panier, que sa mère avait réussi à lui donner, contenant un morceau de pain et une poire. C'était son déjeuner, car elle avait cru qu'elle était entrainée vers une autre prison pour être interrogée.

Six semaines après sa mort, son corps a été ramené à l'Hôtel de Ville dans une Cannes libérée où une rue, plus tard, porterait son nom. Le cercueil, couvert par le drapeau français, le Tricolore, a été mis sur un affût de canon drapé de blanc. Toute la nuit, une garde d'honneur formée d'hommes et de femmes de la Résistance a veillé sur elle. La foule le lendemain aux funérailles à l'église orthodoxe russe était énorme, chaque groupe de la Résistance dans le Sud étaient représenté, les hommes marchant avec leurs fusils inversés. Un chanteur chanta l'Ave Maria, car Hélène est morte le jour de l'Assomption, suivi de son morceau favori de Bach, Viens Douce Mort.

Sources: Hôtes de la Gestapo par Danaë Vagliano
Archives de Cannes, France
Musée de la Résistance, Nice, France
The Dragon. Le Magazine des anciens de l'école St. George's, Ascot.
Traduction en Français: Caroline Gentry Babois

Site web de Maureen Emerson


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Mis en ligne le 31/01/2013