FAÏENCE DE CALAIS: LA MANUFACTURE PAIN, BAYLEY, SHIRLEY ET CIE À SAINT-PIERRE-LES-CALAIS (1823-1828)

Ce texte est extrait de "La Manche, lien dans l'histoire du Kent et du Pas de Calais" Actes du Colloque de Wimille 30 mai 2008 (*) auteur Xavier Morillon pages 67-70.

Fondée en 1807 lors du blocus continental instauré par Napoleon, la première fabrique de faïences de Saint Pierre-lès-Calais n'allait vivre que quelques années. Installée sur un vaste terrain concédé par décret impérial du 10 septembre 1807, entre la route de Saint-Omer et le canal reliant Calais à Guînes, elle connaîtra un développement important, employant 35 personnes et réalisant des articles de ménage. Malheureusement, son fondateur, natif de Calais, Antoine Brouttin de Ferque, ancien capitaine de cavalerie, allait cesser son activité en 1815 pour rejoindre Louis XVIII lors de l'épisode des Cent Jours, et devenir prévôt de la Marne.

Les bâtiments étaient abandonnés depuis plusieurs années quand, vers 1821, arrive d'Angleterre John Pain, sujet anglais, natif de Deal dans le Kent, qui s'intéresse au commerce et à la fabrication du tulle.

Dès 1822, il figure sur la liste des fabricants de tulle et crée une société pour sa fabrication avec James Dowers et Noriss Adams, tous deux de Deal, et Richard Dangerfield de Folkestone, sous la dénomination «Pain et Cie». C'est l'un des premiers dentelliers anglais installé à Saint-Pierre-lès-Calais qui ne soit pas originaire de Nottingham.

Par ailleurs, il prend en location les bâtiments de l'ancienne fabrique de faïences de Brouttin de Ferque, qui appartenait à la famille Hugon, un négociant calaisien. Grâce à l'appui du maire de Saint-Pierre-lès-Calais, Jean-Louis-Noël Debette, qui l'aidera dans les nombreuses formalités, il obtient l'autorisation préfectorale de réouverture le 28 juin 1823.

Il crée, à cet effet, une deuxième société avec Georges Bayley, un dénommé Shirley, et peut-être Robert Webster, sous la dénomination « Pain, Bayley, Shirley et Cie ». Le redémarrage se fera très rapidement. Les fours sont remis en l'état, la terre importée d'Angleterre, le personnel recruté en France et en Angleterre. Selon l'annuaire statistique du Pas-de-Calais (1824), l'entreprise emploie 60 personnes dont 35 Français. Dans un autre document trouvé à la chambre de commerce de Calais, il est fait mention de 78 personnes, classées par nationalité.

Français : 24 hommes et 15 femmes
Anglais: 33 hommes et 6 femmes.

La quantité des produits est de 300 000 pièces par an. Les pièces sont vendues par Paris, Rouen, Le Havre et Calais, pour le marché intérieur et les colonies françaises. Il est observé que la faïence qui sort de cet établissement est semblable à celle qui se fabrique en Angleterre.

John Pain avait recruté Outre-Manche plusieurs faïenciers dont Guillaume Spiette, venu avec son épouse et ses quatre enfants, ainsi que Charles Jepet et James Birks.

Ce sont certainement ceux-ci qui créèrent plusieurs modèles de dessins originaux, entre autres celui de « willow pattern » ou « saule pleureur » qui, copié d'Angleterre, fut le plus répandu en France à travers les autres manufactures telles que Creil, Bordeaux, Sarreguemines ou Saint-Amand.

On peut citer
1. le décor style chinois dit « à la pagode » (exemple)
2. le décor romantique avec deux personnages dans un parc avec un château
3. le décor aux trois moutons sous un arbre; (exemple)
4. le décor familial avec le père, la mère et 12 enfants;
5. le décor à la fermière faisant l'aumône à un mendiant;
6. le décor de la fermière trayant une vache sous un arbre avec dans le fond une église.

Les pièces étaient variées, tant pour le ménage (assiettes, pots, théières, cafetières, pots à lait, saucières ovales, soupières rondes, saladiers, compotiers, plats à jus ovales, plats à poissons) que pour la toilette (boîtes à savon, bassins à barbe), ainsi que le précise un catalogue du 1« décembre 1823. Les principales pièces, telles que les assiettes ou plats, avaient leur taille indiquée en mesure anglaise et variaient de 6 à 19 pouces ; ce qui est une aide précieuse pour leur identification quand elle ne sont pas marquées. La couleur était le bleu, dans une grande majorité, mais l'on trouvait aussi des objets en vert, brun ou pourpre. À la marque du départ « Saint-Pierre-lès-Calais », surmontée d'une couronne et de deux feuillages sur les côtés imprimés en bleu, succède la marque « Calais » marquée en creux. L'hypothèse de ce changement est que le nom de Calais était plus commercial et aussi plus facile à indiquer. Plus tard, figurera une signature par une ancre de marine.

1825 restera l'année de l'apogée pour les fondateurs: la duchesse de Berry, venue d'Angleterre et de passage à Calais le 27 août, visite deux entreprises locales: d'une part la fabrique de tulle et de dentelle de Robert Webster, sujet anglais, d'autre part la manufacture de faïence de MM. Pain, Bayley et Shirley. Ces deux entreprises étrangères sont les plus importantes de Saint-Pierre-lès-Calais.

En 1826, John Pain cède ses parts dans six mécaniques à faire du tulle et se retire de la société de tulle « Pain et Cie », vraisemblablement pour alléger les dettes qu'il avait dû contracter lors de la création.

En 1828, pour des raisons mal connues, l'usine arrête son activité ; selon la tradition orale, la principale cause serait la mauvaise qualité de l'eau tirée du canal, employée pour manipuler les terres, mais peut-être aussi l'endettement des associés vis-à-vis d'un prêteur anglais, John Morley, qui était négociant Calais, et le développement du tulle qui recrutait la main-d'oeuvre locale à des tarifs plus élevés.

John Pain retournera dans la fabrication du tulle et figure comme fabricant dans le registre des patentes en 1828 et 1829, mais il décède en juillet 1830. Les bâtiments furent revendus par les héritiers Hugon le 31 décembre 1829 à deux négociants calaisiens, Devot et Moleux, pour y installer une usine de sucre indigène.Tout le matériel qui s'y trouvait, ainsi que les marchandises, furent vendus aux enchères le 20 juin 1830 à la requête du créancier Morley.

Ainsi se terminait l'aventure de cette création artistique qui avait duré cinq ans, et dont on peut voir certaines pièces au musée de Calais, qui, malgré les bombardements des deux guerres, a pu reconstituer une collection d'une trentaine de pieces et dont la conservatrice, Mme Forest, a bien voulu nous transmettre quelques vues.

JOHN PAIN (Deal, 1788 - Calais, 1830)

John Pain, de nationalité anglaise, né à Deal (Angleterre) le 21 novembre 1788, est arrivé officiellement à Calais le 15 mai 1821, ainsi qu'il le déclara lors de sa demande d'autorisation de domicile quelques années plus tard 1. Dès 1822, il figure sur la liste des fabricants de tulle. On le trouve, par ailleurs, comme Fabricant et marchand de tulle en gros pour l'année 1822, dans la matrice générale pour la formation d'un rôle unique des quatre contributions directes de la commune de Saint-Pierre-lès-Calais 2. Il est associé avec James Dowers et Noriss Adams, tous deux de Deal, et Richard Dangerfield de Folkestone pour la fabrication de tulle par un contrat notarié du 19 juillet 18223. En novembre 1822, il signe une pétition avec sept autres fabricants dont Robert Webster et Robert West, afin d'obtenir la signature par le greffier de la mairie des certificats d'origine de leurs marchandises. C'est l'un des premiers dentelliers anglais à Calais qui ne venait pas de Nottingham, mais avait dû rester après avoir aidé au transfert des métiers. Plusieurs compatriotes, originaires aussi de Deal, viendront s installer à la même époque, tels que Samuel Dohs, Robert Mac Murrey West et John Thomsett comme fabricants de tulles. En 1823, il présente une demande d'autorisation de domicile, mentionnant ses professions de Fabricant de tulle et de faïencier, qu'il obtiendra par une ordonnance du 10 août 1823.

Il remet en activité, en association avec Georges Bailey, Shirley, et peut-être Robert Webster, une ancienne manufacture de faïence à Saint-Pierre-lés-Calais, fondée en 1807 par Antoine Brouttin de Ferques. Il fait venir d'Angleterre plusieurs faïenciers dont Guillaume Spiette, Anglais âgé de 50 ans, avec son épouse et ses quatre enfants, Charles Jepet, célibataire anglais 4, ainsi que plus tard James Birks. En 1825, il figure comme témoin au baptême de Mark Pain, fils de William Pain, boulanger originaire de Deal et arrivé à Calais en 1825. En 1826, il cède à ses associés Dowers, Adams et Dangerfield, négociants en Angleterre, sa part dans six mécaniques à Faire du tulle, faisant partie de la société « Pain et C s, aux termes d'un acte du 23 août 5.Dans le registre des patentes, il est déclaré comme fabricant de faïence 6. En 1828, à la fermeture de la faïencerie, et en 1829, il figure toujours comme fabricant de tulle 6. En 1830, il n'est plus en activité, ne payant plus de patente, mais figure au titre des contributions personnelles et mobilières 7.

Il décède le 15 juillet 1830 à Saint-Pierre-lès-Calais 8après avoir perdu sa fille Anne le 16 février 1829. Il laisse sa veuve Anne Ashington, âgée de 39 ans, cabaretière, et sept enfants dont deux fils. Ces renseignements proviennent du recensement du 31 août 1831.

Malgré de multiples recherches, les statuts de l'association « Pain, Shirley et Cie » sont restés introuvables.


Faïence de Calais [liens google]
(*)"La Manche, lien dans l'histoire du Kent et du Pas de Calais" Actes du Colloque de Wimille 30 mai 2008;(lien)
La dentelle de Calais(lien vers ce dossier)
1 Archives municipales de Calais, 3J SP 3.
2 CARON (M), "Du tulle à la dentelle: naissance d'une industrie (Calais, 1815-1860), (Terres septentrionales de France), La Sentinelle, Le Téméraire, 1997, p. 118-119 ; arch. mun. Calais, 1G SP 29, n° 793.
3 Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 E 52/114.
4 Archives municipales de Calais, 1 F 5P 4, n°' 1 488 et 4 553,
5 Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 E 52/118.
6 Archives municipales de Calais, 1 G 5F 30, n° 720 1826) et 725 (1829).
7 Archives municipales de Calais, 1 G SP 30, n°1 128.
8 Archives municipales de Calais, 4 Mi 18.
9 AArchives départementales du Pas-de-Calais, M 3 816, n°4 836-4 843.


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Mis en ligne le 15/06/2013