Agir sur le climat par la technologie?

extraits du Monde 19 juin 2011

Des ONG dénoncent les travaux du GIEC sur des technologies qui visent à contrecarrer le réchauffement du globe par la technologie.

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) organise régulièrement des réunions de chercheurs autour de thèmes spécifiques. Ces colloques strictement scientifiques ne suscitent habituellement que très peu d'intérêt de la part des organisations non gouvernementales (ONG) ou des médias. Ce n'est pas le cas de celui qui devait se tenir, du 20 au 22 juin à Lima (Pérou) et dont le sujet, la géo-ingénierie, soulève des réactions passionnées.

De fait, plusieurs ONG, emmenées par la canadienne ETC, viennent d'adresser au président du GIEC, Rajendra Pachauri, une lettre ouverte afin d'exprimer leur " inquiétude " sur le sujet.

Le terme géo-ingénierie recouvre les techniques présumées capables de modifier à dessein le climat terrestre afin d'atténuer le réchauffement ou certains de ses effets. Il peut s'agir de technologies à visée globale, à même d'occulter une part du rayonnement solaire - diffusion de particules soufrées dans la haute atmosphère, envoi de sondes parasols entre le Soleil et la Terre, etc. Ou encore de méthodes locales pour piéger le dioxyde de carbone (CO2) dans l'océan en stimulant la chaîne alimentaire marine, de le capturer dans l'air et le séquestrer dans des formations géologiques... Depuis 2006, la géo-ingénierie fait l'objet de travaux scientifiques toujours plus nombreux.

Quant à leur réalisation concrète, c'est une autre histoire. " Accidents, évaluation inadéquate du risque, impacts inattendus, unilatéralisme, bénéfices privés excessifs, perturbation de l'agriculture, conflits entre Etats, buts politiques illégitimes et conséquences négatives pour les pays du Sud sont autant d'aspects problématiques qui demeurent hautement probables, écrivent les ONG signataires du texte adressé à M. Pachauri. En contrepartie, la probabilité que la géo-ingénierie fournisse une solution sûre, durable, démocratique et pacifique à la crise climatique est nulle. "

Les auteurs de la lettre s'inquiètent également de ce que les spécialistes réunis à Lima ne plancheront pas uniquement sur les aspects scientifiques de la géo-ingénierie. Les experts du GIEC s'intéresseront aussi, en effet, à la " pertinence des mécanismes de gouvernance existant pour encadrer la géo-ingénierie, en tenant compte des facteurs sociaux, légaux et politiques ".

Ces aspects, cruciaux, visent à déterminer le cadre dans lequel un ou plusieurs Etats pourraient - ou ne pourraient pas - décider de recourir à de telles technologies, dont les effets collatéraux pourraient affecter négativement des pays tiers.

Conflit d'intérêts

Jean-Pascal van Ypersele, professeur à l'Université catholique de Louvain (Belgique) et vice-président du GIEC, confirme la tenue du colloque de Lima, qui réunira " une soixantaine d'experts ", et dont l'objectif est " d'alimenter la réflexion autour de la géo-ingénierie, dans l'optique du cinquième rapport du GIEC ", qui devrait être rendu en 2013 ou 2014.

" Cependant, les auteurs de cette lettre se trompent d'interlocuteur, ajoute M. van Ypersele. La mission du GIEC est de faire de l'évaluation de manière non prescriptive. Il s'agit essentiellement de faire le point sur les différentes technologies, d'en évaluer les bénéfices potentiels, les risques et les coûts, à partir des travaux existants. Pas de recommander leur utilisation. "

C'est à l'automne 2009 que les Etats membres du GIEC, réunis en séance plénière à Bali (Indonésie), ont décidé de voir la géo-ingénierie abordée de manière plus approfondie dans le prochain rapport de l'organisation. " Cette marque d'intérêt ne signifie pas qu'ils veuillent nécessairement utiliser ce genre de techniques, explique M. van Ypersele, mais simplement qu'ils veulent en avoir une évaluation calme et objective, au lieu de dépendre des informations relayées par tel ou tel groupe d'intérêt. "

Dans leur courrier, les ONG signataires s'inquiètent également de ce que des experts - généralement issus du monde académique - commis par le GIEC pour traiter ces questions seraient également détenteurs de brevets protégeant certaines technologies d'ingénierie climatique.

Une telle situation est avérée pour un des chercheurs conviés à la réunion de Lima. " Le GIEC ne laisse jamais un seul auteur tenir la plume, répond M. van Ypersele. En outre, les rapports sont soumis à la relecture critique de la communauté scientifique, des experts des gouvernements, mais aussi des ONG qui le souhaitent. "

Stéphane Foucart; le Monde 19Juin 2011

Les négociations climatiques divisent toujours pays du Nord et pays du Sud

BONNE NOUVELLE : la négociation sur le climat, dont une session de deux semaines s'est achevée vendredi 17 juin à Bonn (Allemagne), est sortie des sables mouvants où elle s'était enlisée, à Bangkok (Thaïlande), du 3 au 8 avril. Mauvaise nouvelle : l'avenir de ces discussions est toujours perdu dans un épais brouillard.

Quinze jours de discussions ont permis aux experts de 190 pays de progresser dans la mise en oeuvre de la " boîte à outils " de la lutte contre le changement climatique, décidée lors de la conférence de Cancun (Mexique), en décembre 2010 : transferts de technologie, adaptation aux effets du réchauffement, " fonds vert ", transparence... Des progrès toutefois entravés par des querelles d'agenda : les Etats-Unis refusent de discuter des questions politiques laissées de côté à Cancun, tandis que l'Arabie saoudite exige que figure au menu de la négociation l'adoption de mesures de compensation pour les pays producteurs de pétrole.

Ces débats, qui avaient paralysé la réunion de Bangkok, ont fait perdre une semaine à Bonn. " On n'a toujours pas de texte de négociation, aucune base pour avancer ", déplore Sébastien Blavier, de la fédération d'ONG Réseau action climat. Une session supplémentaire devrait être organisée à l'automne pour achever de préparer la conférence de Durban (Afrique du Sud), fin novembre.

La réunion de Bonn n'a pas permis de progrès, en revanche, sur la question clé de l'avenir du protocole de Kyoto. La première période d'engagement du seul traité contraignant les pays riches à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre s'achève fin 2012.

Méthode Coué

Les pays en développement demandent que les Etats du Nord reconduisent Kyoto avant de s'engager. " Les pays développés devraient réduire leurs émissions de 50 % d'ici à 2020, dans le cadre d'un protocole de Kyoto étendu ", ont répété, jeudi, à Bonn, les pays émergents.

Une partie des pays membres de Kyoto - Japon, Canada, Russie - et les Etats-Unis exigent, au contraire, que les pays émergents souscrivent au préalable à un accord global de réduction des émissions, au motif que Kyoto ne couvre plus que 27 % des émissions de CO2. L'impasse est totale.

Comment en sortir ? Les plus optimistes ont défendu, à Bonn, l'idée que Durban devait incarner un nouveau départ. La France milite pour que soit adoptée, en Afrique du Sud, une période transitoire de trois ou quatre ans, devant déboucher sur l'adoption d'un traité global et juridiquement contraignant en 2014 ou 2015.

" Cela permettrait à chacun de maintenir ses engagements et d'utiliser le protocole de Kyoto comme base de travail pour élaborer un futur accord global ", explique Serge Lepeltier, ambassadeur de France pour le climat.

A six mois de Durban, cette vision tient de la méthode Coué : la Chine et les Etats-Unis refusent toute contrainte internationale, et l'Europe semble peu encline à jouer le rôle moteur que les pays du Sud voudraient lui attribuer. Il faudra " une implication politique de haut niveau " pour résoudre la question d'ici à la fin de l'année, a conclu, vendredi, Christiana Figueres, la responsable des Nations unies pour le climat.

Grégoire Allix; le Monde 19 Juin 2011

Mis en ligne le 21/06/2011