le nucléaire après Fukushima

extraits du Monde du 21 Juin 2011

Mal maîtrisée, la situation à Fukushima renforce le rejet du nucléaire au Japon. le Monde correspondance de Tokyo
Une première tentative de traiter les 105 000 tonnes d'eau hautement radioactive accumulées dans la centrale a échoué, et les prises de position hostiles à l'atome se multiplient

Plus le temps passe, plus la situation à la centrale nucléaire de Fukushima paraît difficile à maîtriser, et plus l'hostilité des Japonais à l'énergie nucléaire progresse. Alors que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) doit discuter, à partir du lundi 20 juin, à Vienne, de l'accident de Fukushima, la Compagnie d'électricité de Tokyo (Tepco) a annoncé avoir ouvert la porte du réacteur numéro 2, après une semaine d'efforts pour réduire la radioactivité à l'intérieur de l'installation.

Les techniciens vont maintenant tenter de relancer le système de refroidissement et d'installer du matériel pour injecter de l'azote dans le réacteur, afin de réduire les risques d'explosion d'hydrogène. Dans le même temps, l'entreprise a dû procéder à l'injection d'eau dans la piscine de stockage de combustible usagé du réacteur numéro 4, pour tenter de réduire la hausse des dégagements radioactifs observée depuis le 11 juin.

Tepco s'efforce également de commencer le traitement des 105 000 tonnes d'eau hautement radioactive accumulées dans la centrale. Tout un appareillage a été installé sur le site, en collaboration avec quatre entreprises, dont le groupe français Areva et l'américain Kurion. Or le système a subi un premier échec le 17 juin, un élément d'extraction du césium ayant atteint la limite de contamination radioactive de 4 millisieverts (mSv) au bout de cinq heures, alors que cela n'aurait dû se produire qu'après un mois.

Le traitement de l'eau, dont le coût avoisinerait, selon Tepco, 210 000 yens (1 840 euros) la tonne, est essentiel à la stabilisation de la situation. L'eau décontaminée doit en effet servir au refroidissement des réacteurs. En cas d'incapacité à relancer le processus de décontamination de l'eau, les limites de stockage dans les réservoirs pourraient être atteintes en moins d'une semaine, la quantité d'eau contaminée augmentant de 500 tonnes par jour, avec le risque de nouveaux déversements d'eau radioactive dans le Pacifique.

" Si le système ne fonctionne pas, il faudra trouver d'autres solutions ", s'est contenté de déclarer, le 18 juin, Hidehiko Nishiyama, porte-parole de l'Agence de sûreté nucléaire et industrielle, laissant ainsi entendre qu'aucune alternative n'était prête en cas d'échec du traitement de l'eau.

Ces difficultés s'ajoutent aux problèmes de radioactivité qui inquiètent de plus en plus la population japonaise, d'autant plus que les autorités délivrent des informations parcellaires sur l'ampleur et l'étendue des retombées. Ainsi à Shizuoka, zone de production de thé située au sud de Tokyo, la préfecture semble tout faire pour dissimuler les informations à ce sujet. Selon le quotidien Asahi du 10 juin, elle aurait demandé au grossiste Radish Boya de ne pas mettre en ligne des résultats de tests de radioactivité effectués sur du thé, qui révélaient une contamination supérieure aux normes légales, car cela " pourrait susciter des craintes inutiles ".

Dans un tel contexte, la montée de l'hostilité au nucléaire ne surprend guère. Les manifestations se multiplient, avec l'appui grandissant de personnalités du monde de la culture, comme le réalisateur Hayao Miyazaki, qui a fait déployer, devant les bureaux de Tokyo du studio Ghibli, qu'il dirige, une banderole affirmant : " Le studio Ghibli veut faire des films en utilisant de l'électricité non produite par des centrales nucléaires. "

Un sondage, réalisé les 11 et 12 juin par le quotidien Tokyo Shimbun, révèle que 82 % des personnes interrogées souhaitent le démantèlement - immédiat ou progressif - de tous les réacteurs nippons. Un sentiment partagé, selon l'Asahi, par onze des 47 gouverneurs de préfecture (seuls cinq d'entre eux disent soutenir le nucléaire), notamment celui de Yamagata, Mieko Nishimura. " Les centrales devraient être supprimées dès lors qu'elles sont porteuses de risques difficiles à évaluer ", a déclaré Mme Nishimura.

Gouverneur de la préfecture de Shiga, Yukiko Kada a, elle, appelé le gouvernement et les compagnies d'électricité à " prendre une décision historique pour nos enfants en décidant de renoncer au nucléaire et de passer aux énergies renouvelables ". Dans la préfecture de Fukushima, la commission chargée de réfléchir à la reconstruction prévoirait l'abandon du nucléaire.

Le gouvernement aura donc du mal à convaincre les autorités locales d'autoriser le redémarrage des réacteurs aujourd'hui à l'arrêt, conformément au voeu exprimé, le 19 juin, par le premier ministre, Naoto Kan.

Philippe Mesmer le Monde

La saga du surgénérateur maudit de Monju n'en finit pas

La situation à la centrale de Fukushima ne montre guère de signes d'amélioration... et pourtant, les acteurs du nucléaire japonais persistent à vouloir redémarrer le surgénérateur de Monju. D'une capacité de 280 mégawatts, bâti à Tsuruga (préfecture de Fukui, sur la côte occidentale du Japon), Monju est à l'arrêt depuis la chute, le 26 août 2010, dans la cuve du réacteur, d'une grue de 3,3 t permettant de remplacer le combustible et un morceau du couvercle de la cuve.

L'Agence japonaise de l'énergie atomique, qui gère le surgénérateur, n'a pas réussi à récupérer ces éléments, malgré 24 tentatives. Elle compte sur le succès de la vingt-cinquième, programmée cette semaine, pour reprendre les essais de l'installation à l'automne, avec pour objectif de la faire fonctionner à plein régime en 2014. Et concrétiser ainsi l'une des ambitions de la politique nucléaire nippone : maîtriser l'ensemble du cycle du combustible nucléaire, la surgénération produisant elle-même des matières fissiles.

Rien n'indique qu'elle y parviendra. Monju est un vieux projet, lancé dans les années 1970. Sa construction a commencé en 1986 et le réacteur a été connecté au réseau en août 1995. Quatre mois plus tard, une grave fuite de 700 kg de sodium du circuit secondaire de refroidissement s'est traduite par l'arrêt de l'installation pendant quinze ans.

L'ampleur de l'incident, un des pires de l'histoire du nucléaire japonais avant Fukushima, a été minimisée, dans un premier temps, par l'opérateur. Ont suivi une série de procès sur la sécurité, des polémiques autour du suicide de Shigeo Nishimura, haut responsable de l'installation chargé d'enquêter sur les dissimulations d'informations, et des manifestations qui ont empêché toute relance.

Coût exorbitant

Malgré tout, en mars 2010, la Commission de sûreté nucléaire a donné son accord pour le redémarrage d'une installation qui n'a, à ce jour, généré de l'électricité que pendant une heure. Monju avait donc été relancé le 25 août, malgré l'opposition de plusieurs dizaines de scientifiques qui avaient souligné, dans une pétition, l'absence de vérification de plusieurs éléments, notamment de l'état des circuits ou de l'intégrité du combustible dans le réacteur. Ils mentionnaient également le coût exorbitant de Monju - 8,4 milliards d'euros depuis le début des travaux - et rappelaient le danger d'une installation fonctionnant au plutonium et refroidie au sodium, facilement inflammable, ainsi que l'absence de perspectives commerciales pour cette technologie.

Des remarques qui s'ajoutent au fait que le surgénérateur de Monju se situe sur une faille sismique active, à une centaine de kilomètres de Kyoto et de son million et demi d'habitants.

Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)

Mis en ligne le 21/06/2011