Plus de leucémies infantiles près des sites nucléaires
Une étude française constate un doublement de la fréquence des cancers du sang chez les jeunes riverains des centrales

leMonde 12 janvier 2012 | Paul Benkimoun

C'est un signal d'alarme qu'il sera difficile de contester : la survenue d'une leucémie est deux fois plus fréquente chez les enfants et adolescents habitant à moins de 5 km de l'une des 19 centrales nucléaires françaises. Telle est la conclusion d'une étude mise en ligne sur le site de l'International Journal of Cancer, et relayée par le réseau Sortir du nucléaire ou l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest (ACRO), comme une nouvelle pièce à charge dans le débat sur la filière atomique.

Conduite par Jacqueline Clavel, directrice de l'unité 754 de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et membre du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP), cette étude, si elle fait apparaître une corrélation entre fréquence des leucémies infantiles et proximité d'une centrale, ne met pas pour autant en évidence les facteurs pouvant expliquer ce lien.

Les leucémies aiguës représentent 30 % des cancers de l'enfant. Depuis l'instauration en France, en 1990, d'un registre national des hémopathies de l'enfant, le nombre de nouveaux cas annuels (l'incidence) dans la tranche d'âge des 0-14 ans est restée stable, autour de 470. Il est de 80 cas chez les 15-19 ans. Les facteurs de risques de ce type de cancer touchant les globules blancs ne sont pas clairement identifiés. La génétique expliquerait 5 % des leucémies aiguës et, parmi les facteurs environnementaux, les radiations ionisantes ont été incriminées.

Plusieurs équipes, notamment en Europe, ont analysé l'incidence des leucémies chez les enfants et adolescents vivant dans des zones proches des installations nucléaires. Un " groupe de travail pluraliste ", constitué à l'initiative de l'Autorité de sûreté nucléaire, de la direction générale de la santé et de la direction générale de la prévention des risques, a rendu un rapport sur ce sujet, publié en novembre 2011. Il estimait que la faiblesse statistique des différentes études ne permettait pas de trancher la question.

Certains travaux mettaient bien en évidence des agrégats de cas chez des enfants vivant à proximité de trois sites : Sellafield (Angleterre), Dounreay (Ecosse) et Krümmel (Allemagne). Mais d'autres ne montraient pas une telle association.

L'équipe de Jacqueline Clavel, qui comprend des scientifiques de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), a travaillé à partir du registre national des hémopathies de l'enfant, sur la période 2002-2007. Elle a réalisé une étude comparative des cas de leucémies (2 753 enfants de 15 ans ou moins pour lesquels un diagnostic de leucémie a été porté au cours de cette période) et d'un groupe de sujets témoins (5 000 par année, soit 30 000 au total) , de même âge et de même structure sociale. Parallèlement, elle a comparé les incidences des leucémies dans la population d'enfants et d'adolescents vivant dans un rayon de moins de 5 km autour d'une centrale, et dans la population pédiatrique générale.

Résultats : la probabilité pour un enfant ou un adolescent de souffrir d'une leucémie est 1,9 fois plus élevée lorsqu'il vit à moins de 5 km d'une centrale que lorsqu'il ne réside pas à proximité d'une telle installation. Et l'incidence - c'est-à-dire le nombre de cas de cancers hématologiques observés au cours de l'année - est, elle aussi, 1,9 fois supérieure (14 cas contre 7,4 cas dans la population témoin) pour les proches riverains d'un site nucléaire. Chez les enfants de moins de 5 ans, l'écart est encore plus marqué, avec 8 cas observés contre 3,6 cas attendus dans la population témoin, soit 2,2 fois plus.

Les auteurs de l'étude écartent, comme explication à cet accroissement du risque de leucémie aiguë, les rejets de radionucléides dans l'atmosphère par les centrales nucléaires. " Nous n'avons retrouvé aucune association entre l'augmentation du risque de leucémie et le zonage géographique établi en fonction de la dose de radiations à laquelle ces rejets exposent, souligne Mme Clavel. Les doses sont environ mille fois moins élevées que la radioactivité naturelle. Il faut donc tenter d'identifier les facteurs qui expliqueraient nos observations. "

La méthodologie de l'étude est saluée par des épidémiologistes réputés. " La taille de la population d'étude et la qualité des données, issues d'un registre exhaustif à plus de 99 %, confèrent aux résultats de cette recherche une valeur de signal sanitaire qu'il est très important de suivre avec la plus grande attention, d'autant qu'il est cohérent avec les études allemandes ", commente le Pr William Dab, du Conservatoire national des arts et métiers.

Pour Jacqueline Clavel, il faut maintenant inciter d'autres chercheurs européens à mener des études d'incidence et à faire des estimations des doses de radiations corrélées au lieu de résidence. L'épidémiologiste ne cache toutefois pas les limites du travail qui vient d'être publié : " Notre étude montre une association entre leucémies et proximité avec une centrale. Mais tant que nous n'aurons pas identifié les facteurs en cause, nous ne pourrons pas en tirer de conclusions en termes de prévention. "


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Mis en ligne le 12/01/2012