La Crise, Fric Krach et Gueule de bois

film sur F2 le 11 janvier 2010
Pierre Arditi, Daniel Cohen, Eric Orsenna

Quel sottise que l'économie de ce monde: Comment ne plus être progressiste... sans devenir réactionnaire!

J'emprunte le titre de ce billet au livre de Jean Paul Besset. Le film projeté hier sur France 2: "Fric, krach et gueule de bois: le roman de la crise" présenté par Pierre Arditi est excellent (lien).; mais il n'apporte absolument RIEN de nouveau sur que l'on sait déjà. La crise a été analysée sous toutes les coutures par de nombreux économistes, aux États-Unis, en Europe et en Asie (voir dans la documentation).

Le film fut suivi d'un débat animé par David Pujadas. Commencé avec les acteurs du film Pierre Arditi, Daniel Cohen et Eric Orsenna, ceux-ci furent rejoints par Xavier Mathieu délégué syndical CGT de l'usine Continental de Clairoix; puis par Alain Madelin ex ministre éphémère de l'économie et des finances, célèbre libéral affirmé inconditionnel du néolibéralisme.

Revoir le film et le débat sur F2 (disponible pendant 7 jours). Cliquer.

Lors du débat, Xavier Mathieu a jeté la consternation en tenant des propos très durs à l'encontre du système capitaliste. Manifestement les intervenants étaient très très gênés. Seul Pierre Arditi a eu les mots qu'il fallait, car les propos de Xavier Mathieu témoignent d'une réalité sociale incontournable. C'est que les restructurations industrielles, telles que celles de la sidérurgie dans les années 1980, et plus récemment celle des pneumatiques Continental à Clairoix en 2009, se déroulent toujours dans une logique économique de rentabilité comptable. Les salariés se retrouvent à la rue sans activité, de manière prolongée voire définitive, avec des revenus en baisse et certains finissent aux restaurants du coeur voire dans une situation de SDF. Alain Madelin - très gêné lui aussi - a défendu le libéralisme et l'ajustement automatique des crises de surproduction par les forces du marché. Il a évoqué la destruction créatrice de l'économiste Peter Schumpeter (lien).. C'est que, dit-il, les crises résultent de surproductions - les industriels se précipitent tous en même temps sur les activités prometteuses; ensuite les producteurs en trop les moins performants disparaissent, ce qui permet à la croissance de reprendre, démontrant que globalement le progrès est là.

J'évoque la crise de la sidérurgie française dont le film nous donne par les archives de l'INA les photos de destruction de hauts-fourneaux en Lorraine. Il aurait fallu expliquer que c'était là la fin d'un siècle de sidérurgie Lorraine basée sur le minerai de fer Lorrain trop pauvre en fer et trop riche en phosphore; la fin de la dynastie de Wendel, d'une occupation de 70 ans par l'Allemagne (1870-1918)... et le remplacement par les complexes sidérurgiques modernes de Dunkerque et de Fos sur Mer, basés sur des minerais de fer plus riches importés du Brésil, d'Australie, d'Afrique du Sud, de Mauritanie et du Liberia. Les ouvriers se sont trouvés à la rue mais les industriels, l'État et la région ont tout fait pour les reclasser en implantant de nouvelles activités. Il en a été de même dans le Valenciennois; et dans l'ensemble du Nord et Pas de Calais avec les Charbonnages.

L'ensemble film + débat reflète selon moi, la sottise humaine dans son affligeante immensité. Nous sommes restés dans l'éternel affrontement entre ceux qui prônent le retour à la croissance économique, le développement de la technique, la ré-industrialisation, comme remèdes à la crise de civilisation qui secoue la planète. Les poncifs devenus habituels tels que "nous ne sommes plus seuls au monde", "trois milliards d'habitants sortent de la pauvreté" - cad. accèdent au mode de vie occidental - voiture, énergie fossile, téléphones portables, et autres équipements ménagers etc. - une aubaine pour nos économies, etc...

Notre société occidentale a développé depuis 1945, un modèle qui repose sur la production et la consommation toujours plus grande de biens et de services marchands et publics; l'adéquation entre la production et la consommation se fait par l'argent. Or il en faut toujours plus, car le moteur du système est la cupidité humaine et la création de surplus monétaires ce qui conduit à l'accumulation de capital. La mondialisation désormais acceptée par tous les pays, sauf quelques irréductibles comme Cuba, la Corée du Nord, ou pour d'autres raisons le Bhutan et le Costa Rica, a pour effet de tendre à la généralisation de ce modèle à l'ensemble de la planète.

Même minoritaires vis à vis de l'opinion, des politiques et des médias, ceux qui critiquent la croissance exponentielle et indéfiniment, de la production et de la consommation matérielles, partout et pour tous, sont de plus en plus nombreux. Il en est de même de l'extension à la planète entière, d'un système occidental qui n'a produit, au cours des deux siècles passés, que des désastres humains et planétaires. La première mondialisation de la croissance économique, commencée au milieu du 19è siècle, a conduit à deux guerres mondiales et à 70 ans de communisme de l'URSS, par la rivalité des nations européennes pour coloniser et dominer la planète à leur profit.

La première critique du capitalisme est due à Karl Marx (1818-1883) au milieu du 19è siècle. Les deux guerres mondiales de 1914 à 1945 ont dévasté l'Europe et l'Asie et fait plus de 45 millions de morts. La fin de la deuxième guerre mondiale a vu la reconstruction de l'Europe et de l'Asie dévastée, sur fond de guerre froide avec l'URSS - affrontement de l'économie de marché et de l'économie planifiée - pour le partage du monde; de l'émergence d'une cohérence internationale de l'organisation des Nations Unies sous la protection des États-Unis, principal acteur dans la défaite des nazis et des japonais. La période dite des trente années glorieuses de 1945 à 1975 apparaît aujourd'hui comme une parenthèse; les pays dévastés par la guerre ont reconstruit en plus moderne ce que des millions de tonnes de bombes avaient détruit, et imité le mode de vie des États-Unis. Cette parenthèse s'est refermée à la fin des années 1970. Depuis, les semences de la crise de 2007-2009 furent semées et nous voilà dans la crise du siècle, sans doute la crise de trop (Frédéric Lordon).

Comme la métaphore du lotus qui peuple l'étang nous avons atteint la moitié de sa surface, le prochain doublement sera le prochain désastre. C'est selon de nombreux observateurs ce que la mondialisation prépare avec l'émergence de la Chine, de l'Inde et des autres pays émergents avec la mondialisation du modèle occidental (lien)..

Le système capitaliste ne va-t-il pas évoluer vers un autre paradigme, celui de la décroissance ou plutôt d'une "a-croissance" précédée d'une désintoxication de notre addiction à la croissance? De quoi avons nous besoin de manière absolue? d'air non contaminé à respirer, d'eau propre à boire, de nourriture saine deux fois par jour, de vêtements, de logement et d'équipements adaptés au climat de là où nous vivons, d'équipements et d'infrastructures pour nous déplacer, aller travailler, et être approvisionnés en tous ces éléments; et nous avons besoin de services publics essentiels: éducation, santé, sécurité. Tels sont les éléments indispensables au bien-être de tous. Sans ces éléments, la civilisation telle que nous la connaissons s'effondrera.

Ce qui va déclencher les changements nécessaires, sera la crise inéluctable de l'énergie pétrole et gaz. Car toute la civilisation du 21è siècle telle que développée dans les pays occidentaux et le Japon depuis la fin de la 2è guerre mondiale, est liée au pétrole abondant et bon marché. C'est le pétrole qui a permis le développement de tous les produits que nous connaissons, les transports terrestres, maritimes et aériens, la périurbanisation et nos modes d'occupation et de consommation de l'espace. Or l'ère du pétrole abondant et bon marché est fini (lien). Et c'est le moment où les pays émergents commencent à passer au même système de production-consommation ce qui ne peut qu'accélérer la déplétion du pétrole. Face à cette évolution inéluctable, l'essentiel des efforts des industriels est de chercher à développer des moyens de transport alternatifs, plutôt que de préparer l'ère de l'après pétrole.

Les vidéos accessibles ici sont particulièrement intéressantes (lien)..

L'idée de décroissance fait son chemin dans notre société (lien). Mais la provocation que constitue l'idée même d'arrêt de la croissance rend cette idée totalement irréaliste ou utopique. Seul un approfondissement de la crise avec des conséquences dramatiques pour l'existence même de notre espèce peuvent nous amener à changer de cap. Mais que cela n'empêche pas les progressistes d'essayer car l'enjeu en vaut bien la peine!


Pierre Ratcliffe

Mis en ligne le 08/12/2010