35 HEURES; UNE FAUSSE BONNE IDÉE

ou comment une fausse bonne idée
s’est transformé en désastre social.

Au départ, l’idée des 35 heures était de partager le travail. En 1996 le chômage était de 11.1% avec 2.5 millions de chômeurs et c'était un scandale national. En 1983 il était de 7.7% avec 1.65 millions de chômeurs. On avait tout essayé sans succès depuis 1983, disait François Mitterrand. Cette mesure (les 35 heures) avait constitué l'un des arguments électoraux de la gauche avant les élections législatives anticipées de 1997, suite à la dissolution de l'assemblée prononcée par Chirac après les tentatives réformatrices d'Alain Juppé et le retour d'une majorité de gauche (PS, PC et Verts) à l'Assemblée, avec Lionel Jospin comme premier ministre.

Dès son arrivée au pouvoir, la Gauche mettait en oeuvre le dispositif des 35 heures, mais avec la clause "payées 39". Là était l'erreur qui s'ajoutait à la réalité que les emplois des uns et le chômage des autres n'étaient pas substituables.

Aujourd'hui, c'est encore 10% et 2.5 millions de chômeurs. Réduire le temps de travail de 39h à 35h, soit 4h de moins ou 10%, était une idée simple et cela correspondait au taux de chômage de 10%: travailler moins, faire travailler plus de monde, notamment remettre au travail une partie significative des 2.5 millions de chômeurs. Les adeptes de métaphores disaient "on partage en un plus grand nombre de parts le gâteau de la production et des salaires".

Pour que ce dispositif de partage fut applicable et donne les résultats escomptés, le gâteau, qui restait le même en volume et n'augmentait pas, devait être partagé par plus de monde. Ceux qui avaient déjà du travail devaient consommer moins de produits et de services et disposer de plus de temps libre, tandis que ceux qui n'en avaient pas allaient produire et consommer les produits et services que les premiers ne produiraient et ne consommeraient plus. On créait ainsi une nouvelle distribution de la production, plus équitable. Ensuite avec la poursuite ou le retour de la croissance, c'est à dire l'augmentation du gâteau, tout le monde aurait vu sa part augmenter à partir de cette nouvelle distribution.

Pour que le dispositif marche, il aurait fallu réduire le temps de travail à 35 heures, payées 35, non 39. Mais la Gauche ne pouvait faire accepter cela aux français. On a donc appliqué les 35 heures payées 39, ce qui revenait à une augmentation de 10% du coût du travail, pour les 35 heures travaillées.

Il fallait ensuite réaliser la production correspondant aux 4 heures manquantes. Confrontées au choix d'embaucher ou non du personnel supplémentaire pour cette production, la plupart des grandes entreprises du secteur marchand ont puisé dans leurs réserves de productivité, tandis que les petites entreprises étaient dispensées d'appliquer les 35h jusqu'en 2005. C'est donc principalement dans les entreprises du secteur publique que les embauches se sont faites, ce qui a contribué à l'augmentation des dépenses publiques et du déficit du budget.

La combinaison de l'augmentation du coût du travail et de la compensation de la production manquante représente donc un coût supplémentaire de 10+10=20% pour les entreprises, tous secteurs confondus.

La France est divisée en un secteur public hypertrophié et hyperprotégé et un secteur marchand hyperexposé à la concurrence et à la mondialisation. Comme la part du secteur public est de 54% correspondant à l'ensemble des prélèvements fiscaux (2004), la part du secteur marchand n'est donc que de 46%. Ce sont ces 46% de la population active qui produisent tous les biens et services marchands que tout le monde consomme. Mais le secteur marchand est entièrement ouvert à la mondialisation, c'est à dire à la concurrence internationale, à la dérégulation par rapport aux contraintes sociales, à la liberté de circulation des capitaux. Et comme les entreprises sont de moins en moins animées d'un esprit d'ethique (à la différence de nos sociétés paternalistes de naguère, si critiquées en cela par les syndicats) et qu'elles recherchent le profit maximum, elles délocalisent de plus en plus pour s'installer dans des pays à faible coûts de main d'oeuvre et aux contraintes sociales et légales minimum. Il en résulte alors le chômage de masse que nous connaissons en France. En revanche, le secteur public bénéficie de toutes les protections contre la concurrence et les effets de la mondialisation. Le prix de cette protection, qu'elle soit légitime ou pas, est payé par le secteur marchand sous forme de chômage, baisse des investissements des entreprises, diminution des financements de la recherche et du développement.

Que fut l’application pratique?

Les grandes entreprises ont pu s'adapter en puisant dans leurs réserves de productivité. Mais cela a diminué leurs profits et comme la circulation des capitaux est totalement libre aussi bien dans l'espace européen que sur la planète toute entière, les entreprises vont s'installer là où les conditions sont les plus favorables et permettent de maximiser leur profits. Les pays d'Europe de l'Est nouvellement intégrés à l'UE sont "la Chine et l'Inde" à notre porte. Le paternalisme d'autrefois par lequel les entreprises avaient une vocation sociale, une éthique, a complètement disparu.

Il est important de noter que si les économistes classiques comme Ricardo et Stuart Mill pronaient le libre échange basé sur des avantages comparatifs, par exemple le Portugal se spécialise dans la production de porto et l'Angleterre dans les textiles, ils ne considéraient pas comme possible la mobilité du capital ni de la main d'oeuvre. Il est donc erroné de s'appuyer sur Ricardo pour justifier le libre échange globalisé des économistes néoclassiques.

Les petites entreprises, PME et PMI accusent le coup. Leurs faibles résultats le prouvent. Ce secteur est en crise profonde alors qu’il est l’ossature même de notre tissu économique.

Et le secteur public?. Une grande réussite pour l'application de 35h, sauf dans les hôpitaux?. Où a-t-on trouvé les 20% nécessaires? Ce sont les contribuables et les entreprises qui paient. On a donc encore augmenté la pression fiscale sur les ménages.

Voilà comment on a abouti à l’inverse de ce que l’on voulait, c'est à dire à la pérennisation voire à l'augmentation du chômage. Et comme le chômage touche en priorité certaines couches sociales, dont les jeunes peu ou non qualifiés, et parmi eux en majorité les jeunes issus de l'immigration mahgrébine et africaine, ce sont eux qui paient l'essentiel des conséquences néfastes des 35h. Avec les résultat aujourd'hui (novembre 2005), d'une explosion sociale et de violences urbaines sans précédent. La France est encore une fois le lieu d'innovations dans la révolte sociale.

Voir mes liens sur les 35 heures