Crise financière, crise économique, crise sociale

La crise financière commencée à l'automne 2007 avec les "subprimes" aux États-Unis, a révélé le désastre auquel ont conduit la déréglementation et la bulle des marchés financiers depuis 20 ans. Cette déréglementation et cette bulle sont venues des banques des États-Unis, du Canada et du Royaume Uni; et les banques de tous les pays ont voulu suivre le mouvement pour ne pas être en reste, y compris les cinq grandes banques françaises - BNP Paribas, Crédit agricole, Banques populaires, Société générale, Caisses d'épargne. Cela paraissait d'autant plus impérieux que les pays anglo-saxons avaient des taux de croissance économique forts et soutenus (4-5%) et des taux de chômage faibles (4-6%), comparés à l'Europe, notamment la France, où les taux de croissance étaient de l'ordre de 2% et le chômage de 8-10%. On expliquait la différence par des systèmes sociaux trop généreux en Europe et par trop d'État qui prélevait une part trop grande de la richesse produite par le secteur marchand.

La crise financière de 2007-2008, la crise économique et sociale qui en ont résulté en 2009 et qui risquent de se prolonger en 2010 voire au delà, mettent en cause le néolibéralisme anglo-saxon développé sur le modèle de production/consommation de masse des États-Unis. Ce système s'est particulièrement développé depuis la fin de la 2è guerre mondiale, d'abord dans les pays dits "occidentaux" ravagés par la guerre - Europe, États-Unis, Canada, Japon, Australie Nouvelle Zélande, groupés dans l'OCDE dont ils constituent le noyau dur d'origine - ensuite dans les pays dits "émergents" de l'Asie du Sud Est. Le système est caractérisé par l'idée de la croissance de la production de biens et de services indéfiniment pour les habitants des pays riches, et de l'extension de ce modèle à la population de la planète entière. La Chine, l'Inde, le Brésil, la Russie depuis la fin de l'Union Soviétique et les pays du Moyen Orient sont les pays qui dynamisent ce processus. Une image de la situation est visible sur la figure ci-contre qui montre l'éclairage de la planète de nuit vue de satellite.

La crise financière en résumé

Commencée après la fin de la guerre froide et l'effondrement de l'URSS à la fin des années 1980, la déréglementation des marchés financiers a consisté à permettre la libre circulation des capitaux sur toute la planète pour les investisseurs, conduisant à une dynamique de recherche de résultats financiers et de profits les plus élevés pour les actionnaires. Le processus consiste à déplacer les capitaux là où les coûts de main d'oeuvre sont les plus faibles, et à produire les biens destinés aux marchés les plus riches. C'est le processus de délocalisation des capitaux qui contribue à égaliser les rendements financiers et les conditions de salaires et de protection sociale.

Les entreprises et les travailleurs des pays à hauts salaires et à protection sociale élevée ne peuvent pas soutenir la concurrence de travailleurs à bas salaires et à faible protection sociale. Beaucoup d'entreprises nationales tentent de resister à cette concurrence par des efforts de productivité - investissements, formation des personnels, organisation du travail, modération voire baisse des salaires - finissent par renoncer à produire localement et se délocalisent à leur tour.

Ensuite les marchés se sont organisés pour proposer des produits financiers de plus en plus nombreux et déconnectés de l'économie de production, de plus en plus complexes et sophistiqués, pour maîtriser les risques inhérents à toute activité liée à l'incertitude du futur. Cela s'est traduit par la floraison de produits financiers dits "dérivés" qui permettaient la division des risques entre une multiplicité d'acteurs dans un vaste champ spéculatif. Le système fonctionnait sur la base d'acteurs hétérogènes, les uns étant la contrepartie des autres; il y avait à tout moment et toujours, une possibilité d'équilibre entre un ensemble d'acteurs - vendeurs ou acheteurs - prenant position sur la survenance d'un événement E, et un ensemble d'acteurs en contrepartie, prenant position sur l'événement contraire E. Le système fonctionnait ainsi comme un vaste "Casino" planétaire depuis les salles de marchés où les opérateurs "traders" communiquaient entre eux pour effectuer leurs transactions de vente/achat en temps réel grâce à internet et aux outils logiciels mis au point par de "brillants" mathématiciens, statisticiens et informaticiens. Les grandes écoles françaises - Polytechnique, Centrale et les Mines - ont ainsi formé de tels "génies" de la finance internationale.

La liberté de circulation des capitaux avait suivi un autre élément du néolibéralisme commencé 10 ans auparavant, cad. la liberté des échanges et la suppression des barrières douanières pour accroître le commerce mondial. Au lendemain de la guerre 1939-1945, les États-Unis et leurs alliés avaient mis en place plusieurs institutions internationales au sein de l'Organisation des Nations Unies, dont la Banque Mondiale, le Fonds monétaire international et le GATT "général agreement on tariffs and trade". Le GATT correspondait aux idées de Riccardo que l'economie devait s'organiser selon la théorie de l'avantage comparatif. Le GATT a été remplacé par l'OMC dont le credo est la théorie de l'avantage comparatif. La libéralisation des marchés de capitaux est donc le pendant de la libéralisation de tous les marchés qu'on appelle la globalisation (anglicisme) ou la mondialisation. La mondialisation consiste en l'interdépendance croissante des communautés humaines ce qui contribue à l'expansion des échanges et des interactions entre elles. La mondialisation est le plus souvent envisagée sous le seul aspect économique. C'était en fait un système de globalisation par l'économie nord américaine, faisant suite à la 2è guerre mondiale; un système qui vit le dollar devenir la monnaie internationale jusqu'en 1971.

Ce système avait pour dynamique la multiplication du crédit des banques aux ménages et aux entreprises, crédit largement supérieur aux limites des accords de Bâle (Bâle I et II) qui imposent aux banques d'avoir 8% des crédits émis sous forme de "capital réglementaire" (voir ici). Pour contourner cette contrainte limitative à leurs activités, les banques ont eu recours à la titrisation des leurs créances sur les ménages et les entreprises. Elles vendaient leurs créances à des acheteurs avec la promesse de payer des intérêts juteux. Les acheteurs étaient les banques et leurs clients.... comme BNP Paribas, Société Générale et autres... Pour le faire, elles créaient une société spéciale basée dans un paradis fiscal, dans laquelle elles mettaient toutes les créances en les structurant par degré de risque et cette société recevait les sommes correspondant aux achats des titres, les intérêts servis étant fonction du degré de risque attaché aux titres. À partir de là tout un système de produits dérivés s'est mis en place. Mais patatras, les ménages endettés ont commencé à faire défaut et ne plus pouvoir assurer le service de leurs dettes. Du coup les banques ont pris possession des biens afin de les vendre mais les prix se sont effondrés et tel un chateau de cartes, le système s'est écroulé. Au lieu des équilibres chaque jour entre acheteurs et vendeurs, les uns étant les contreparties des autres, le marché est devenu un immense marché de vendeurs, chacun voulant récupérer sa mise avant de tout perdre.

La défaillance de nombreux ménages américains s'est produite à cause de leur endettement trop élevé. Le taux d'épargne des ménages américains est très faible depuis plusieurs décennies et récemment il a même été négatif. L'économie américaine fonctionne depuis des années avec le crédit par lequel les ménages sont incités à consommer et à investir: logement, voiture, éducation des enfants, santé, électroménager, loisirs et vacances... La politique de Bush fut d'inciter à l'achat de logements. Les prêts accordés par les banques étaient à intérêt variable, très faible durant les 3 premières années et un taux prévisible faible par la suite. Les ménages les plus modestes étaient endettés au maximum de leurs revenus. La banque centrale a ensuite augmenté le taux d'intérêt; du coup les taux d'intérêt variables ont augmenté; il en est résulté une variation de la répartition de l'intérêt et du capital remboursé avec comme conséquence un dépassement de la durée maximale du prêt ce qui a nécessité d'augmenter le montant des mensualités pour rester dans la durée contractuelle. Ajouté à l'ensemble des prêts le service de la dette est devenu intolérable, d'abord pour les ménages les plus modestes et ensuite pour des ménages à revenus plus élevés. En même temps les salaires étaient gelés car l'économie fonctionnait pour assurer des rentabilités financières élevées aux investisseurs institutionnels et privés. Une spirale de défaillances a alors commencé puis s'est accentué. Progressivement le marché a été inondé de biens saisis par les banques sans contreparties d'acheteurs en face.

Comme les banques doivent comptabiliser leurs actifs aux prix de marché, non aux prix d'acquisition, elles ont vite fait apparaître des pertes, pertes qui progressivement sont devenues colossales, au point de nécessiter l'intervention des États. C'est ainsi que les États ont dû intervenir pour sauver les banques de la faillite, car il en allait de la confiance de la population entière dans la monnaie. C'est ainsi que pour la première fois depuis plus d'un siècle on a vu des files de gens devant le siège de la banque anglaise de Northern Rock en faillite qui a été nationalisée par le gouvernement britannique.


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Mis à jour le 21/09/2015 pratclif.com