Comment l'implosion démographique de la Chine va bousculer la croissance mondiale

L'analyse de Stéphane Marchand Figaro 12 janvier 2006

Les statistiques faramineuses de l'économie chinoise continuent de s'égrener mois après mois sous nos yeux mais d'autres chiffres, ceux de la démographie, commencent déjà à gâcher la fête. L'année 2030 - c'est-à-dire demain matin - mobilise l'attention de tous les spécialistes. En 2030, la population chinoise commencera à baisser. L'empire du Milieu cessera d'être le pays le plus peuplé du monde, cédant ce rang à l'Inde, le géant qui monte.

Au-delà de cette blessure d'ego, la Chine connaîtra un basculement majeur : pour un retraité chinois, il n'y aura plus six actifs comme aujourd'hui, mais deux seulement et moins encore dans les grandes régions urbaines comme Shangaï ou Tianjin. Le vieillissement va s'emballer. La Chine sera bientôt plus vieille que nous. En 2050, prévient l'ONU, l'âge médian sera de 45 ans en Chine contre 43 ans en Grande-Bretagne et 41 ans aux Etats-Unis.

Dès 2040, révèle le rapport d'un think-tank américain (1), le pays abritera 397 millions de seniors de plus de 60 ans, soit plus que les populations actuelles de la France, de l'Allemagne, du Japon de l'Italie et du Royaume-Uni réunies. Il comptera aussi cent millions d'octogénaires, plus que la planète n'en abrite aujourd'hui. La Chine a-t-elle les moyens de faire vivre ce troisième âge sans compromettre son développement économique, dont dépend une bonne partie de la croissance mondiale ? Il est permis d'en douter.

Trente-cinq ans après son lancement par Deng Xiao Ping, la politique de l'enfant unique porte des fruits bien lourds. Dans dix ans, en 2015, les premiers baby-boomeurs chinois prendront leur «retraite» et la population en âge de travailler - les 18-60 ans - entamera son déclin. Certaines études démographiques affirment même que l'effectif de la classe d'âge des 18-30 ans a d'ores et déjà commencé à se réduire. Or c'est celle-ci, avec ses légions innombrables de paysans partis vers les villes pour travailler très dur contre des salaires très bas, qui a permis à la Chine de devenir l'atelier industriel du monde.

Certes, dans un pays qui souffre d'un chômage massif et de dizaines de millions d'emplois précaires, un peu de tension sur le marché du travail semble une bonne nouvelle : les salaires devraient augmenter et les conditions de travail s'améliorer. Il faut en revanche s'attendre à un ralentissement de l'activité et de la croissance, que certains experts évaluent à 1% par an. Avec une main-d'oeuvre moins abondante, le pays devra trouver plus de capital et augmenter les impôts pour financer la sécurité sociale. Une révolution de plus pour la Chine. Et un investissement gigantesque qu'elle va devoir financer.

A titre de comparaison, en France, le recul de la population active commencera dès cette année 2006 mais il s'agit d'un pays déjà riche capable de faire face à l'échéance. Pour la Chine, c'est une tout autre affaire. Au moment où elle «grisonne», le revenu par tête y est d'environ 1 000 dollars. Dans les pays qui abordent ce virage démographique, l'individu est généralement au moins trois fois plus riche. La Chine sera donc vieille avant d'être riche et les conséquences de ce télescopage des étapes de son développement ne sont pas encore bien appréhendées. Le pays va passer d'une population adulte à une population vieillissante en 18 ans. La même transition a pris 115 ans en France, 60 ans aux Etats-Unis et 45 ans au Royaume-Uni. Ce n'est pas un déclin qui attend la Chine, c'est une implosion.

La République populaire a quinze ans pour installer sa sécurité sociale. Le moins que l'on puisse dire, c'est que son système de pension n'est pas au point. Moins de 20% des 700 millions d'actifs, ceux des villes principalement, bénéficient d'une forme de retraite. Cent millions de migrants intérieurs éprouvent les pires difficultés pour transporter leur pension avec eux. Pékin va sans doute relever l'âge de la retraite pour qu'il atteigne 65 ans en 2030 contre 60 ans aujourd'hui, mais pour l'instant on met encore les travailleuses des entreprises d'Etat à la retraite forcée dés l'âge de 45 ans. Le déficit de la caisse nationale de retraite, aujourd'hui de 6,2 milliards de dollars, pourrait, prédit la Banque asiatique de développement, atteindre 53,3 milliards en 2033. Le Fonds national de sécurité sociale (FNSS) est d'ailleurs autorisé depuis quelques mois à se financer sur les marchés financiers internationaux.

Les ménages vont puiser dans leur colossale épargne pour financer leurs besoins croissants en soins et en services. La Chine devrait devenir en 2010 le cinquième marché pharmaceutique du monde, même si le mécanisme de remboursement est très loin des standards des pays développés, y compris les plus modestes. L'Etat, pour sa part, sera conduit à puiser dans des réserves de change qui se montent actuellement à 800 milliards de dollars. Les Etats-Unis doivent se préparer au moment où la Chine cessera d'acheter des bons du Trésor - et partant de financer le déficit commercial américain - afin de s'équiper d'une couverture sociale digne de ce nom. Le vieillissement de la Chine va obliger l'Amérique et le monde à changer de politique économique.

Que peut faire la Chine ? Elle doit d'abord tenter de corriger le déséquilibre des sexes. Avec 118 hommes pour 100 femmes - le taux naturel est de 105 - elle va devoir soit attirer des femmes étrangères par millions, soit se résoudre à voir ses hommes jeunes quitter le pays pour convoler. L'Etat doit également envisager l'adoption d'une «politique des deux enfants». Le pays risquerait alors de dépasser la barre de 1,6 milliard d'habitants, le pic de population que Pékin s'est fixé, mais pour étaler dans le temps l'inéluctable vieillissement, cela vaut peut-être le coup.

* Rédacteur en chef au Figaro économie

(1) The Graying of the Middle Kingdom, de Richard Jackson et Neil Howe, aux presses du Center for Strategic and International Studies (Csis) de Washington


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Mis à jour le 04/06/2013