L'Inde et la Chine prennent leur part des ressources de la planète

Leur croissance fait s'envoler le cours des matières premières. Une compétititon qui menace la stabilité écologique et politique mondiale.
Par Christian LOSSON Libération samedi 14 janvier 2006

Le développement chinois affole les boussoles, économique mais aussi écologique. Son formidable boom fait frémir les environnementalistes : et si, dans une génération à peine, les ressources énergétiques de la Terre se révélaient insuffisantes ? En révisant à la hausse, mercredi, sa croissance en 2004 (+10,1 %, au lieu de 9,5 %), et en affichant un excédent commercial insolent (102 milliards de dollars en 2005, plus de trois fois celui de 2004), Pékin a relancé le débat sur la croissance, soutenable ou pas. D'autant que l'envol chinois s'accompagne d'une flambée des matières premières jusqu'à des niveaux records depuis le début de l'année. Le baril de pétrole s'est enraciné autour des 60 dollars. L'or a atteint son meilleur prix depuis 1981. Le cuivre a dépassé tous les records depuis le début de sa cotation en 1870. Le platine ? Il a atteint mardi son niveau le plus élevé depuis près de vingt-six ans. L'aluminium est à son pic depuis dix-sept ans. Cette semaine enfin, le plomb et le zinc ont pris le relais en battant des records historiques, tandis que l'argent touchait son plus haut niveau depuis près de vingt-deux ans...

La Chine en Afrique. Spéculation ? Equilibre fragile entre offre et demande ? Ou bien, surtout, boulimie d'une Chine qui ne peut plus vivre sur ses ressources propres, doublée d'un appétit de l'Inde qui ne se dément pas. Ce n'est pas un hasard si Pékin et Delhi ont scellé un accord pour une stratégie commune d'approvisionnement en énergie des deux plus grandes populations du monde. Dans le même temps, le chef de la diplomatie, Li Zhaoxing, entamait une tournée dans six pays d'Afrique, continent de plus en plus courtisé par les Chinois en raison de son pétrole et de ses minerais. Jeudi encore, le Partenariat Asie-Pacifique, qui réunit les plus gros pollueurs de la planète (Chine, Inde et Etats-Unis), a promis d'oeuvrer à de nouvelles méthodes de lutte contre le réchauffement climatique... qui ne sacrifieraient pas leur croissance économique, basée sur les énergies fossiles.

Cette course aux ressources pour alimenter une croissance sans équivalent historique relance le débat sur la durabilité d'un tel mode de production et de consommation. Un plan B n'est-il pas indispensable ? Un think-tank américain, le Worldwatch Institute, estime ce jeudi, dans un rapport sur l'état de la planète (1), que les «miracles» chinois et indien menacent la stabilité politique et écologique de la planète. «Si la Chine et l'Inde utilisent en 2030 autant de ressources que les Japonais par habitant, il faudra une planète entière pour satisfaire leurs besoins», note ce rapport. Un exemple : la consommation chinoise et indienne de pétrole par habitant et par jour est, à l'heure actuelle, de respectivement 1/15 et 1/13 de celle des Etats-Unis. Si les Chinois et les Indiens consommaient un jour ne serait-ce que la moitié de ce qu'utilise un Américain, il leur faudrait 100 millions de barils par jour, alors que le monde entier n'avale aujourd'hui «que» 85 millions de barils par jour...

Rapport. Dans un livre publié début janvier aux Etats-Unis (2), Lester Brown, fondateur du Worldwatch Institute et désormais président de l'Earth Policy Institute à Washington, se concentre sur la Chine, qui «nous aide à voir que les jours du vieux modèle économique sont comptés, dit-il. Notre économie mondiale est engagée sur une voie environnementale que la planète ne peut supporter». Selon lui, les Chinois consomment déjà actuellement deux fois plus de viande que les Américains (67 millions de tonnes contre 39 millions) et plus de deux fois plus d'acier (258 millions de tonnes contre 104 millions). Si la Chine continue de calquer le rêve américain, d'ici à 2031, ses 1,45 milliard d'habitants prévus consommeront l'équivalent des deux tiers de l'actuelle production mondiale de céréales, et plus du double de l'actuelle production mondiale de papier.

Le modèle économique occidental, basé sur des énergies fossiles, construit autour de la voiture individuelle et de la consommation de produits jetables, pourra-t-il fonctionner en Chine ? Et en Inde, dont la population devrait dépasser celle de la Chine en 2031 ? «Tout dépend, dit Philippe Chalmin, professeur d'économie à Paris-Dauphine. Le Worldwatch Institute est dans son rôle lorsqu'il prédit une catastrophe. Mais il commet la même erreur historique que le club de Rome (3) jadis : il raisonne à technologie constante.» Et Chalmin de préciser : «A part le pétrole, dont on sait qu'il sera bientôt épuisé, le monde ne manque pas de matières premières. Prenez la voiture à hydrogène [mue grâce à une pile à combustible] qui fonctionne avec du platine. Si toutes les voitures du monde marchaient ainsi, les réserves de platine seraient épuisées en un an. Mais dans vingt ans on aura peut-être les connaissances pour les faire avancer sans avoir besoin de platine.» Les environnementalistes, eux, sont convaincus que «la Chine et l'Inde peuvent très bien se développer sans suivre la voie destructrice de l'Europe et des Etats-Unis», comme l'affirme Christopher Flavin, président du Worldwatch Institute. Un exemple : la Chine est déjà le leader mondial de l'énergie renouvelable (lire page 6). Et l'Inde projette de générer 25 % de son énergie par le renouvelable.

(1) State of the world 2006, www.worldwatch.org

(2) Plan B2 pour sauver une planète stressée et une civilisation en danger.

(3) Club de Rome: Fondé le 8 avril 1968, il regroupe économistes, scientifiques et décideurs publics et privés. Le club a piloté le rapport Meadows publié en 1972 («Halte à la croissance ?»), qui s'inquiétait de l'épuisement des ressources en matières premières. Voir autre analyse sur ce sujet.


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Mis à jour le 16/11/2013