L'Europe face au déficit de responsabilité politique

La condamnation de Jacques Chirac à deux ans de prison ferme avec sursis, pour l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris près de 20 ans après les faits, (lien), suscite les réflexions suivantes.

L'Europe et la France en particulier, est confrontée aux conséquences d'un déficit de responsabilité politique. Le désastre financier annoncé de l'€ (*) résulte d'un déficit de responsabilité politique; c'est la conséquence de dépenses excessives financées par l'accumulation de dette sans penser aux conséquences à long terme. Les références aux pays PIIGS (Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne), soulignant à juste titre les dysfonctionnements des économies de la périphérie sud de la zone euro, inclinent à ne blâmer que ces pays. Mais en vérité, la zone euro - et l'UE dans son ensemble - est un projet qui exclut la responsabilité politique comme s'il s'agissait d'une question de principe philosophique.

(*) Rappel: La France à un taux de chômage de 10%, une croissance quasi nulle, un déficit structurel énorme, une dette cumulée astronomique et un déficit commercial abyssal reflet de tout ce qui précède.

La responsabilité politique n'est pas un concept européen de la bureaucratie de Bruxelles, alors qu'elle est inscrite dans la constitution américaine. Reibling Mark évoque la première utilisation du terme publiée en 1788, dans le "Federalist Paper 63" écrit par James Madison (lien). Il dit: "j'ajoute comme sixième manquement [auquel le sénat devra répondre], l'absence dans certains cas importants, de responsabilité politique d'un gouvernement à l'égard du peuple". Et il ajoute: "Cette remarque, semblera peut-être non seulement nouvelle mais paradoxale. Il faut néanmoins reconnaître, quand elle sera expliquée, qu'elle est incontestable tant elle est importante". Reibling observe que la première utilisation du terme de "responsabilité politique" date d'un peu plus tôt que cela, le 1er Juin 1787, à la convention constituante. En fait dès juillet 1787 Madison était déjà arrivé à la conclusion que: "La responsabilité de tous devant la volonté de la communauté semble généralement admise; c'est la vraie base d'un bon gouvernement."

L'Union Européenne n'est bien sûr pas d'accord avec cela. L'UE est connue pour refaire des référendums jusqu'à obtenir le résultat qu'elle veut. Il est significatif alors que la crise de l'Eurozone se poursuit, que ce qui importe est toujours pour les leaders de la zone euro, et jamais pour la volonté des peuples. Italiens et Grecs ont vu leurs gouvernements entiers transférés à des technocrates.

La croissance de la démocratie dans le monde entier après la chute de l'Union soviétique a fait oublier l'originalité de la constitution des États-Unis - il faut relire Toqueville et les "federalist papers". Les élections périodiques ont été conçues non pour légitimer le pouvoir de l'Etat, mais pour changer la philosophie politique de l'ancien monde, où seuls les hommes de vertu exceptionnelle pourraient gouverner le pays. Dans la vision américaine de la constitution, comme Lawrence Goldman l'a écrit dans son introduction aux "Federalist Papers", nous voyons la transition d'une dépendance à la vertu humaine comme fondement de la société politique, vers une confiance nouvelle dans la capacité des lois et des institutions à rendre les hommes responsables et redevables de leurs obligations devant le peuple". L'Amérique est construite sur l'idée que des hommes et femmes ordinaires peuvent faire fonctionner l'Etat, si leurs pouvoirs sont limités et si leurs concitoyens peuvent les tenir responsables.

En revanche, le projet européen moderne repose toujours sur les anciennes croyances aristocratiques: que de grands plans ambitieux, puissent être conçus et mis en oeuvre par une bureaucratie sans responsabilité politique, et qu'ainsi on va créer un monde meilleur. Les pères fondateurs des États-Unis d'Amérique connaissaient trop bien cette vision du monde pour l'admirer. Un représentant de l'État du Massachusetts a observé que "les organismes publiques se sentent n'avoir aucune responsabilité personnelle, et font jouer pleinement l'intrigue et la cabale." Il n'est guère étonnant que le manque de responsabilité politique est devenu visible à la périphérie de la zone euro - il s'agit d'une maladie qui s'est propagée à partir de la bureaucratie du centre.

Le système américain a été élaboré par des génies politiques - les pères fondateurs - pour pouvoir être exécuté par des hommes et des femmes ordinaires. Les traités européens ont été rédigés par des esprits ordinaires pour créer un laboratoire pour des philosophes-rois. L'Europe découvre aujourd'hui qu'aucun dirigeant n'est à la hauteur de la tâche. Le déficit de responsabilité politique de l'Europe va enfin devoir être payé. Cela signifie la construction d'une Europe des citoyens, non une Europe de cobayes de laboratoire.

En complément voir cette vidéo; un brin de populisme certes, mais le constat est vrai puisque c'est le ressenti du peuple (cliquer).

L’euro vit-il ses dernières grandes vacances ?


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Mis en ligne le 16/12/2011