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Déficits et dettes; situation fin 2010 après 3 ans de crise financière


à propos d'un article de Marianne2

On peut se demander pourquoi Marianne2 donne dans la relativisation de la dette. La dette souveraine de la France est ici (lien). (site France Trésor 1223 G€ fin octobre 2010); mais 1223G€ ne sont que les engagements de l'État. Il faut ajouter les emprunts des collectivités locales, des entreprises publiques et de certains organismes de la sécurité sociale; la dette est alors de 1663G€. Les engagements de l'état sont de l'ordre des 3/4 du total (lien).. Mais ce site est tenu par des libéraux qui ne cessent depuis des années à pousser à moins d'état, moins de dépenses publiques (cf. Alternative Libérale, libres.org de Jacques Garello Aix et l'iFRAP) de Bernard Zimmern.

L'OFCE Sciences Po (Fitoussi) a toujours relativisé l'importance de la dette (lien). Etienne Chouard et Frédéric Lordon (liens de gauche) nous expliquent que c'est le mode de fonctionnement du système bancaire qui serait à l'origine de la croissance des déficits et de la dette. Depuis l'adoption de politiques néo-libérales par tous les pays de l'OCDE, et la priorité à lutte contre l'inflation, les États ne peuvent plus créer de monnaie pour alimenter l'économie. Ce sont les banques qui créent la monnaie par le crédit alimentant des bulles financières et obligeant les États à emprunter pour couvrir leurs besoins de financement.

Avec la crise survenue depuis 2007, les déficits et les dettes des États prennent un relief plus grand, à cause de la pression des marchés financiers. Les articles de l'OFCE Henri Sterdyniak sont des analyses très claires. En voici un particulièrement pertinent.

Une chose que les médias ne nous ont pas dite: les marchés financiers ont inventé un nouveau produit, les CDS (credit default swaps) par lesquels ils spéculent contre les États. Le jeu de casino consiste maintenant à parier sur le risque de défaut d'un État; ce qui explique la pression des marchés sur les États et les politiques de rigueur que ceux-ci sont obligés de mettre en oeuvre.

Extrait du site de l'OFCE "Clair et Net": "Les malédictions de la globalisation financière" Henri Sterdyniak février 2010

Depuis le début de l’année 2010, les marchés financiers ont trouvé un nouveau sujet de préoccupation : le niveau des déficits et des dettes publics. Tous les pays développés, même les plus grands, sont plus ou moins soupçonnés, de pouvoir faire défaut sur leur dette. Le 9 février 2010, les primes de défaut sur les dettes publiques à 5 ans - les CDS, credit default swaps - atteignent ainsi 4,3 points pour la Grèce, 2,4 points pour le Portugal, 1,8 point pour l’Irlande, 1,7 point pour l’Espagne, 1,6 point pour l’Italie, 1 point pour le Royaume-Uni, 0,7 pour la France et 0,65 pour les Etats-Unis. Les dirigeants des banques, des agences de notations ou des fonds de placements déclarent s’inquiéter de la soutenabilité des finances publiques et demandent aux pays de prendre des mesures pour réduire leur dette publique en diminuant les dépenses publiques, en particulier les dépenses sociales (puisque, compte tenu des exigences de compétitivité, il ne serait plus possible d’augmenter les impôts).

Les Etats sont ainsi soumis à deux exigences contradictoires : soutenir l’activité économique et assurer leur propre situation financière. A l’échelle mondiale, les détenteurs de capitaux veulent détenir des avoirs financiers importants. Ceux-ci étaient obtenus grâce à une bulle financière. Après l’éclatement de celle-ci, le déficit de demande doit être comblé par le déficit public et par de bas taux d’intérêt. Si les marchés financiers refusent cette logique, en faisant augmenter les taux d’intérêt de long terme, sous prétexte de prime de risque, quand l’Etat soutient l’activité, si se répand la thèse que les déficits d’aujourd’hui sont les impôts de demain, qu’il faut donc épargner plus en période de déficit public, la politique économique devient impuissante et l’économie mondiale devient ingouvernable.

La finance internationale brasse des masses énormes de capitaux, provenant des ménages les plus riches, des fonds de pension, des compagnies d’assurance, des organismes de placement collectifs, des excédents des pays producteurs de pétrole et de certains pays vieillissants (Allemagne, Pays-Bas, pays nordiques, Japon) et des nouveaux pays riches, les pays d’Asie en développement rapide (Chine, …). Les détenteurs de capitaux réclament des placements rentables, liquides et sans risque ; ils refusent généralement de prendre le risque de s’engager dans le financement direct d’activités productives. Mais comment trouver la contrepartie : des emprunteurs sans risque, liquides et prêts à verser une rentabilité importante ? Il faut obligatoirement un montant énorme de dettes comme contrepartie à un montant énorme d’actifs financiers.

Les prêteurs veulent investir des sommes importantes, mais s’inquiètent ensuite de ce que les emprunteurs sont trop endettés ; les prêteurs recherchent des rentabilités élevées, mais ceux-ci fragilisent les emprunteurs ; c’est la malédiction du prêteur. Les pays, les entreprises ou les ménages qui bénéficient d’apports importants de fonds extérieurs sont fragilisés, puisqu’ils deviennent fortement endettés et dépendants des marchés de capitaux : c’est la malédiction de l’emprunteur.

Le système financier international est ainsi à la recherche perpétuelle d’emprunteurs : ce fut jadis les pays du tiers monde ; ce fut naguère les Etats-Unis et les ménages anglo-saxons. Début 2010, les marchés financiers ont besoin de prêter massivement à des agents sûrs, donc aux Etats. Comme les banques doivent réduire leurs prêts, comme les ménages et les entreprises cherchent à se désendetter compte tenu de l’incertitude économique, ce sont les Etats qui doivent s’endetter, mais en même temps, leurs positions sont fragilisées. Le système financier international se bloque si, par exemple les détenteurs d’actifs financiers veulent détenir globalement 200 % du PIB mondial, mais se refusent à prêter à un pays dont l’endettement total dépasse 150% du PIB. Les marchés veulent des emprunteurs, mais leur reprochent d’être endettés.

Dans une économie où la masse des capitaux financiers est importante, l’endettement est automatiquement élevé. Un grand nombre d’agents, privés ou publics, sont endettés et certains le sont plus que les autres. Il y a donc en permanence des doutes sur la solvabilité des emprunteurs et des crises de l’endettement. Les marchés sont moutonniers ; leurs anticipations sont auto-validantes et les opérateurs le savent. Ils sont vigilants, mais leur vigilance peut accentuer les risques de crise. Aussi, un léger doute sur la solvabilité d’un emprunteur peut induire des retraits de capitaux et des hausses de taux d’intérêt qui précipitent la crise. La crise actuelle des finances publiques ne provient donc pas globalement de gouvernements trop dépensiers ; c’est la conséquence perverse de la globalisation financière.

Le développement des marchés de CDS sur la dette des pays développés est paradoxal et dangereux. Depuis 1945, aucun pays développé n’a fait défaut sur sa dette.

Les marchés s’assurent contre un risque qui ne s’est jamais matérialisé. Certes, la situation s’est modifiée, puisque l’indépendance des Banques centrales (et en particulier de la BCE) pourrait aboutir à des situations conflictuelles où la Banque centrale refuserait de venir au secours de l’Etat de son pays en difficulté (alors que, jadis, l’Etat pouvait toujours avoir recours à la création monétaire). Mais cette situation ne s’est jamais produite ; la crise de 2007-2008 a, au contraire, montré la capacité des Banques centrales à intervenir en cas de péril. Comment imaginer qu’une Banque centrale n’interviendrait pas pour secourir son pays, comme elle l’a fait pour sauver les banques ? En même temps, la crise de 2007-2008 a montré que des événements inimaginables pouvaient se produire ; de sorte que les marchés sont plus nerveux, plus rapides à envisager des scénarios extrêmes, ce qui accentue leur instabilité. Par ailleurs, dans une situation extrême qui verrait un grand pays faire faillite (Etats-Unis, Royaume-Uni ou Allemagne), il est peu probable qu’un établissement financier quelconque serait capable de verser les indemnités correspondantes aux CDS qu’il aurait vendus.

Les gestionnaires de fonds sont à la recherche perpétuelle de sources de profits élevés, supérieurs à ceux des activités productives. Ils les trouvent soit dans la création de bulles financières, soit dans la spéculation, qui est d’autant plus rentable que les marchés sont volatils, les fonds spéculatifs gagnant de l’argent soit en vendant des couvertures contre cette volatilité, soit en exploitant leurs capacités à réagir plus rapidement que les autres intervenants. Les institutions financières ont trouvé une nouvelle source de profit en créant le marché des CDS sur les dettes souveraines des grands pays qui est un marché spéculatif, parasitaire et déstabilisant. Il permet de dynamiser le marché des titres publics, qui jadis était relativement inerte, donc sans intérêt pour les marchés. Il permet de spéculer à la faillite des Etats. En semant le doute sur la capacité des pays à tenir leurs engagements, les fonds spéculatifs obligent les fonds de placement à se couvrir (ce qui leur permet de leur vendre des CDS). Le marché des CDS permet à certains opérateurs de gagner de l’argent en vendant des protections (qu’ils pensent n’avoir jamais à assumer) ; d’autres fonds gagnent de l’argent en achetant des protections. Il est possible d’acheter des protections contre une faillite de l’Etat grec même si l’on ne détient pas de titres publics grecs. Les fonds spéculent alors soit à la hausse du risque (j’achète une protection à 5 ans pour 100 ; comme la crainte de défaillance grandit, je peux la revendre deux mois plus tard à 300), soit à la faillite effective. Les perdants dans l’opération sont l’Etat grec, qui doit payer plus cher son endettement, ce qui fragilise plus encore sa situation budgétaire et les fonds qui détenaient déjà des titres grecs (qui doivent maintenant dévaloriser leur créance, la revendre à bas prix ou la couvrir). Le risque est de faire disparaître le marché de la dettesouveraine, comme a disparu, en grande partie, le marché de la dette du tiers monde. Les pays répugneront à l’avenir à s’endetter sachant que cela les met sous la dépendance des marchés ; la finance internationale fera progressivement disparaître les marchés.

Dans la finance globalisée, les politiques économiques doivent se consacrer à rassurer les marchés, alors même que ceux-ci n’ont aucune vision pertinente de l’équilibre et de l’évolution macroéconomique, comme en témoignent les fortes fluctuations des marchés financiers (Bourse ou taux de change). Ainsi, est-il absurde de demander une forte baisse des déficits publics dans une situation où la demande globale est faible et les taux d’intérêt de court terme proche de 0. Des pays comme l’Espagne, l’Irlande ou même la Grèce ont connu des croissances vigoureuses avant la crise ; celle-ci les oblige à modifier leurs stratégies de croissance ; les marchés ne les y aident pas en criant au risque de faillite.

La spéculation financière actuelle se nourrit des défaillances d’une construction européenne mal taillée. L’uniformité de la politique monétaire et la fixité des taux de change ne sont pas compatibles avec la disparité des politiques budgétaires, mais surtout des évolutions salariales et des situations économiques. Il faudrait renforcer la zone en supprimant les obstacles institutionnels à la coordination des politiques économiques et définir une stratégie souple et globale qui devra prendre en compte les disparités nationales. Une telle stratégie ne sera pas facile à mettre en œuvre : les pays refuseront de céder tous les pouvoirs à l’Europe, sans garantie sur la politique suivie. La BCE devra accepter de reconnaître qu’elle soutient l’activité et garantit les dettes publiques. La Commission devra accepter de remplacer le Pacte de stabilité par une coordination effective des politiques budgétaires, tenant compte de la conjoncture. Gérer la diversité est très difficile : pourra-t-on convaincre les allemands d’augmenter leurs salaires, les espagnols et les grecs de réduire les leurs ? Dans l’immédiat, l’Europe a le choix entre deux stratégies : secourir la Grèce, lui ouvrir des lignes de crédit pour garantir implicitement sa dette en échange de l’engagement de celle-ci de mettre en œuvre à moyen terme une politique d’assainissement de ses finances publiques ou laisser la Grèce se battre seule contre la spéculation de façon à lui donner une leçon et à montrer à tous les pays membres les risques de s’écarter du Pacte. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Le risque serait grand que les marchés ne continuent à spéculer à la dislocation de la zone euro.

La mise en cause implicite des politiques budgétaires par les marchés financiers, qui pourtant les ont rendues nécessaires par leur aveuglement et leur avidité, illustre une nouvelle fois l’instabilité de l’économie mondiale induite par la globalisation financière. Il faudra, un jour, que les responsables politiques et économiques le reconnaissent : la globalisation financière ne fonctionne pas. L’économie mondiale ne peut être dominée par les jeux et les humeurs des opérateurs financiers. Le problème essentiel de la stratégie de sortie de crise n’est pas le dégonflement des dettes publiques, mais celui de la finance spéculative. Les mesures prises aux trois G20 successifs de l’année 2009 n’ont pas été assez loin ; il faut non seulement réguler la finance internationale, mais aussi réduire drastiquement son importance pour éviter que l’économie mondiale ne soit paralysée ou déstabilisée par le jeu des marchés financiers. Ceci suppose de diminuer la part des marchés et d’augmenter celle d’un secteur bancaire contrôlé et recentré.

Voir dans les liens de gauche les autres article d'Henri Sterdyniak.


Pierre Ratcliffe
Quelques sources d'informations
Mis en ligne le 08/12/2010