Le totalitarisme corps organisé qui veut imposer à tous sa vision : un monde organisé comme il l'entend".

Mon lecteur m'écrit ceci en réponse à mon commentaire sur le gaz de schsite évoquant le "totalitarisme vert".

.....Et que dire du totalitarisme économique, du mythe de "l'homo oeconomicus" qui nous impose sa vision de la nature humaine et des relations sociales, qui nous impose au nom d'une croissance sans but, sans sens, une destruction progressive de nos environnements, un totalitarisme qui nous impose lui aussi sa vision du monde, une vision basée sur la concurrence de tous contre tous, une guerre économique dont les 1ères victimes sont 3 millions de chômeurs, 2 millions de travailleurs pauvres, 8 millions de personnes vivants en dessous du seuil de pauvreté de 60%,.... N'est-ce pas là une autre forme de totalitarisme masqué derrière une illusion démocratique savamment entretenue ?
?Quant au mot "liberté", évitez de l'associer aux entreprises car s'il est aujourd'hui des lieux non démocratiques où la seule loi qui règne est celle d'une totale obéissance (autre définition du totalitarisme), ce sont bien les entreprises dont l'objectif, pour une grande majorité d'entre elles, n'est pas le bien de tous - dont elle se foute comme d'une guigne -, mais la course aux profits

Il y a encore moins d'un an je tenais exactement le même langage. J'ai écrit maints billets comme cela;
> [en voir certains ici sur mon blog]. > [et d'autres ici]

Mais la découverte récente de l'oeuvre de Friedrich August von Hayek m'a donné une autre vision des choses. J'ai réalisé que ce langage est une idéologie "totalitaire" aussi. Une idéologie prônée en toute sincérité et croyant bien faire... par les Mélanchons, les économistes atterrés, les Attac, les tenants de la décroissance, et bien d'autres encore... Et partant des mêmes constats et connaissances, d'autres ont des visions idéologiques opposées: les libres.org, cercle des économistes, libéraux de tous bords. Pourquoi cette opposition radicale?

Hayek m'a fait réaliser quelque chose que je savais au fond de moi-même depuis toujours, mais que je ne comprenais pas car c'est dans la nature humaine de manière quasi génétique. Tout individu a une histoire dont les circonstances ne sont connues que de lui même et qu'il ne peut partager que partiellement avec ses semblables. Tout individu agit de manière égoïste: pour assurer sa survie, se développer et se reproduire, faire mieux que ses semblables; mais comme on ne peut pas vivre sans ses semblables, pour réussir ses relations avec eux, il faut agir de manière que leur "égoïsme" symétrique soit satisfait. Pensez au sexe. C'est ainsi qu'en poursuivant chacun leurs intérêts égoïstement, la multitude d'hommes et de femmes, en interaction permanente depuis la nuit des temps, promeut une satisfaction commune. C'est la théorie de la main invisible!

Nous sommes tous issus d'une combinaison de gênes de nos deux parents, et chacun d'eux d'une combinaison de gênes des deux leurs et ainsi de suite, remontant le temps de génération en génération, un facteur de 1sur2 à chaque fois. Nous sommes ainsi porteurs des gênes de l'ensemble de l'humanité, que nous transmettons aux générations après nous.

Les idées suivent à peu près le même processus de manière plus rapide sans doute. Mais il en est qui sont aussi anciennes et permanentes que nos gênes et qui sont imprimées dans nos cerveaux. Il en est ainsi du langage, de son codage qu'est l'écriture, et des nombres pour quantifier les choses. Il en est aussi de la liberté: liberté de vivre de manière isolée, individuellement, en couple ou en famille restreinte, liberté de penser et de s'exprimer, liberté d'agir et d'entreprendre, de produire des biens et des services et de les offrir à l'échange par la monnaie, les prix, le profit étant le moteur de ce processus. Tout cela est imprimé en nous de manière "naturelle" et "universelle" et se manifeste dans un ordre social spontané. Aucune idéologie, aucun ordre social organisé dans le but de changer cela, ne parvient à effacer l'ordre social spontané. Et là ou quand cela a été tenté, cela a conduit à des catastrophes.

Les 3 millions de chômeurs 4 millions de précaires et 8 millions de mal payés dans notre économie d'aujourd'hui en France sont dûs à une multiplicité de facteurs d'influence, liés à l'extrême complexité des rapports sociaux de notre ordre social étendu.

Je suggère de lire:

> de Hayek son discours lors de sa réception du prix Nobel d’économie en 1974 [lien].

Et aussi "la théorie des phénomènes complexes" [lien].

Et pour relativiser notre situation, je suggère aussi de lire le discours du premier ministre chinois à l'ouverture de l'exposition Eurasie à Urumqui Xingxiang [lien]


Réponse de mon lecteur

Vous comprendrez aisément que je ne suis pas un grand fan de la pensée hayékienne, le père du néolibéralisme triomphant, grand pourfendeur de l'interventionnisme étatique (La Route de la servitude) et que je lui préfère celle d'un Polanyi, auteur du remarquable "La grande transformation". Toutefois,je dois reconnaître qu'Hayek fut un grand théoricien de la pensée libérale et qu'à ce titre, son oeuvre doit être respectée.

Ceci dit, je me permets de remettre en cause un axiome que vous reprenez à votre compte à savoir que "tout individu agit de manière égoïste". C'est une vision réductrice et partielle de la nature humaine, et dans tous les cas, tronquée de la complexité humaine. Certes, nous sommes des êtres égoïstes, mais nous sommes aussi des êtres de compassion et d'altruisme, prêt dans certaines circonstances à sacrifier nos vies pour d'autres. Comme le pendule de Schopenhauer, nous oscillons en permanence entre ces deux pôles, comme nous oscillons entre l'ouverture et la fermeture. L'homme n'est pas fait d'une seule argile mais d'un patchwork d'argile qui le rend parfois incohérent, paradoxal, hésitant, capable de forces et de faiblesses, de loyauté et de lâcheté... Montaigne l'avait remarquablement bien vu quand il écrivait « c’est un sujet extraordinairement vain, divers et ondoyant que l’homme.».

Je vous renvoie si cela vous intéresse, à l'inventaire des valeurs universelles de Schwartz, valeurs à l'origine des motivations humaines. Vous y lirez notamment que "La bienveillance, l’universalisme et l’autonomie sont les valeurs qui arrivent en tête" en d'autres termes le bien-être des proches, le bien-être de tous et de la nature et enfin le besoin de liberté et d'indépendance. Nous sommes loin d'une vision purement égoïste de l'être humain.

À partir de cet inventaire a été créé un circumplexe qui rend compte de la diversité des motivations humaines avec deux axes principaux :
- un axe ouverture/fermeture au changement
- un axe affirmation/dépassement de soi, l'égoïsme se situant alors plutôt du côté de l'affirmation de soi.

Loin de moi l'idée de minimiser l'importance de l'égoïsme dans nos comportements. Je souhaite simplement rétablir une vision plus juste, plus équilibrée de la nature humaine en évitant de tout ramener à un seul primum movens qui serait la clé de base de toute explication. Or, toute la conception économique de notre temps, et par voie de conséquence toute l'organisation économique, repose sur un seul axiome : l'égoïsme supposé de l'être humain. C'est une vision trop réductrice pour être acceptée par toute conception un tant soit peu complexe de notre nature profonde, et je pense que le malaise de nos sociétés, illustré par tous les mouvements d'indignation qui les traversent, est lié à cette vision tronquée.

Quant à la main invisible, le Dieu des libéraux créé par Adam Smith, je pense que la situation actuelle nous montre ses limites faute d'une régulation de la "folie" financière. Il en va de même avec l'idée d'un ordre social spontané qui faute d'un minimum de régulation et de contrôle laisse la porte ouverte à toutes les formes de dérives possibles (inégalités, injustices, toutes celles que j'ai recensées dans mon précédent commentaire). Tout ordre social nécessite pour sa viabilité un minimum de règles sans lesquelles nous sombrerions dans un "struggle for life" sans merci. Hobbes en est certainement l'un des meilleurs théoriciens. L'idée d'un ordre social spontané et total est une utopie néolibérale, libertarienne et anarchisante.


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Mis en ligne le 06/09/2012