La croissance du PIB n'est pas synonyme de progrès social, même si elle y contribue. Mesurer la vraie richesse des nations nécessite des indicateurs alternatifs.
La richesse d'une nation? Voyez son PIB. Pas un jour où l'on ne se réfère à la croissance du produit intérieur brut, où on ne l'invoque dans les discours politiques. Cet agrégat est devenu irremplaçable dans l'analyse économique: impossible de comprendre l'évolution de l'emploi, celle du déficit public ou du financement des retraites sans s'y référer. Il ne saurait pour autant, à lui seul, être un indicateur du progrès des sociétés contemporaines. La croissance du PIB est devenue l'indicateur principal du bon état d'une économie. Sans croissance, pas de richesse, pas d'accroissement du pouvoir d'achat, pas de bonne santé des finances publiques... Sommes nous condamnés à la croissance du PIB?
Le PIB ne mesure que le produit des activités génératrices de flux monétaires, sans considérer ni leur contribution au bien-être (construire une école ou des canons, c'est pareil), ou leur répartition plus ou moins équitable. Toutes sortes d'activités créatrices de richesses lui échappent, comme le travail domestique, les activités bénévoles et associatives; et le PIB intègre aussi des activités destructrices, qui devraient être comptées en négatif comme les dommages écologiques, les accidents de voiture, les catastrophes comme les marées noires de l'Erika, ou l'usine AZF de Toulouse.
Si cet indicateur s'est imposé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale - qui a laissé l'Europe et l'Asie dans une situation de dévastation humaine et matérielle sans précédent dans l'histoire -, un monde dominé par l'impératif de reconstruction et l'aspiration au progrès matériel, aujourd'hui, les préoccupations ont évolué. D'autres indicateurs s'efforcent désormais de traduire une conception plus large de la richesse. Cantonnés hier à des petits cercles de chercheurs et de militants, ils commencent à trouver une audience dans des enceintes internationales telles que l'OCDE ou l'Union européenne. Mais ils sont encore loin d'avoir acquis la légitimité qui leur permettrait d'avoir vraiment voix au chapitre.
Le produit intérieur brut (PIB) comptabilise des éléments dont on ne peut pas dire qu'ils contribuent à l'accroissement de la richesse matérielle d'une société. Exemple: le PIB mesure le revenu produit dans un pays, qui peut être assez différent de celui perçu par la population: une partie considérable des revenus peut être dépensée ailleurs, par exemple avec les rapatriements de profits des entreprises étrangères. En Irlande,où de nombreuses multinationales américaines localisent leurs bénéfices du fait d'une fiscalité attractive, les profits rapatriés à l'étranger représentent 13% du PIB. Une fois les déductions faites, on obtient le "produit national net".
Reste à savoir ce qu'il y a dedans. La production d'armes contribue au PIB, au même titre que celle d'écoles, de routes ou de logements.
Attention ici à la terminologie: le Produit intérieur est brut c'est à dire qu'il inclut la dépréciation des équipements de production; PIB-dépréciation=produit intérieur net ou PIN. PIN-revenus rapatriés par les entreprises étrangères= Produit national net. Le diagramme "du PIB au bonheur intérieur brut" représente le PIB en ellipse avec une partie jaune censée représenter les déductions à faire au PIB... et à gauche tout ce qu'il faudrait ajouter pour parvenir au "bonheur intérieur brut"; cette partie a sans doute été démesurément agrandie.
Le PIB ignore de nombreux éléments qui contribuent au bien-être. Prendre en compte ces facteurs qui déterminent les conditions de vie de chacun, permettrait mieux que le seul PIB, d'apprécier la vraie richesse d'une société. Mais cela ne suffirait pas pour mesurer un bonheur qui ne se réduit pas à des aspects matériels et quantifiables et dont l'appréciation repose en outre sur une bonne part de subjectivité.
Le produit intérieur brut (PIB) ne fait pas le bonheur, mais il y contribue quand même un peu. Il y a, par exemple, un lien clair entre le PIB d'un pays et l'espérance de vie de sa population, ou entre la croissance et le reflux du chômage. Mais au-delà de ces constats d'ensemble, les variations peuvent être très importantes: on vit aussi vieux au Portugal qu'aux Etats-Unis, alors que l'écart de revenu moyen est du simple au double. Dans un autre registre, la croissance peut être plus ou moins riche en emplois: en France, la reprise de 1997-2000 a été nettement plus créatrice d'emplois que la précédente ou que l'actuelle. Les liens entre PIB et emploi, enfin, ne disent rien de la qualité des postes créés: l'augmentation du nombre des employés domestiques mal rémunérés ou des travailleurs pauvres en temps partiel est-il un signe de progrès social?
Comment sortir de la tyrannie du PIB et de notre condamnation à sa croissance? Pour mieux tenir compte des valeurs sociales et environnementales, des chercheurs ont construit des indicateurs alternatifs.
La première famille est celle des indicateurs centrés sur les enjeux sociaux et construits en général par agrégation d'indicateurs multiples. Le plus célèbre est l'indicateur de développement humain (Human development index hdi) calculé par le Pnud. C'est malheureusement le seul qui soit calculé pour tous les pays du monde et régulièrement mis à jour. D'autres s'appuient sur des données plus riches, comme l'indice de santé sociale aux Etats-Unis ou le BIP 40, en France - baromètre des inégalités et de la pauvreté, un indice basé sur la pondération de 40 critères qui mesure le contraire du "bonheur national brut". Voir cette analyse. Mais tous se heurtent au même problème méthodologique: celui d'agréger des dimensions aussi hétérogènes que des taux de pauvreté, des indicateurs de santé ou de chômage, selon une pondération forcément discutable car comprenant une large part de subjectif.
L'autre voie consiste à bâtir une comptabilité nationale élargie, en partant du PIB ou de la consommation, en y ajoutant certains éléments (comme le travail domestique) et d'en retrancher d'autres (en particulier la destruction du patrimoine naturel). C'est la voie suivie par des indicateurs environnementaux comme le PIB vert ou l'indice de progrès véritable (Genuine progress indicator). La difficulté consiste alors à parvenir à une évaluation monétaire de ces éléments.
Les 16 premiers pays selon le PIB par habitant (2006), l'IDH (2004) et l'IPH. L'indicateur de progrès véritable (GPI Genuine progress indicator) part de la mesure traditionnelle de la consommation des ménages. Il y ajoute diverses contributions, comme l'investissement net et le travail domestique, et en retranche des coûts sociaux (délits, accidents, chômage) et environnementaux (pollution, destruction de ressources non renouvelables). Rapporté au nombre d'habitants, l'IPV stagne depuis vingt-cinq ans aux Etats Unis selon ses auteurs.
Documentation
Mis à jour le 11/10/2016 pratclif.com