L'URGENCE DE LA RÉFORME FISCALE

Extrait du livre de Patrick Arthus et Mr-Paule Virard la France sans ses usines" Fayard pages 138-145 (lien).

En France, il existe toutefois une autre variable essentielle susceptible de favoriser l'amélioration de lacompétitivité-coût, c'est évidemment le poids des charges sociales. Une anomalie qui nous coûte cher en termes de compétitivité. Tous les travaux de recherche sans exception arrivent depuis des lustres à la même conclusion : le niveau élevé des cotisations sociales (environ 320 milliards d'euros par an) décourage l'emploi, en particulier l'emploi des jeunes, freine l'investissement et compromet la croissance potentielle. Il faut donc en finir avec des charges sociales trop élevées. La réindustrialisation de l'économie française passe par la réforme fiscale, car l'allègement des charges sociales sur les bas salaires n'est pas suffisamment efficace, d'autant qu'il profite essentiellement aux emplois moins exposés que les emplois industriels à la concurrence internationale. Voilà pourquoi une réforme du financement de la protection sociale constitue la priorité absolue pour encourager la création d'emplois qualifiés dans l'industrie.

L'idée de substituer la TVA aux cotisations sociales pour financer une partie de la protection sociale n'est pas dénuée de sens : la TVA taxe la consommation, et la substitution de la TVA aux cotisations sociales correspond bien à une baisse de la taxation des revenus du travail et à une augmentation des revenus du capital puisque les deux formes de revenus sont consommées. Toutefois, dès lors que la propension à épargner les revenus du capital est plus élevée que la propension à épargner les revenus du travail, il nous paraîtrait plus efficace de substituer aux cotisations sociales un impôt
touchant uniformément tous les revenus (autrement dit la CSG) plutôt que la TVA afin de transférer une partie de ce financement sur les revenus du capital. Il faut que la CSG devienne tout simplement universelle.

Cette substitution de la CSG aux charges sociales aurait aussi un effet redistributif. On déplore souvent qu'en France la pression fiscale directe sur les ménages soit décroissante avec le revenu, une anomalie liée au poids des revenus du capital dans les très hauts revenus et des « niches » fiscales dont ils bénéficient. Pour corriger cette anomalie, on peut évidemment imaginer éliminer ces fameuses « niches ». Le mouvement a été amorcé, mais il promet d'être long et, surtout, sans fin, car les niches ont une fâcheuse tendance à disparaître ici pour mieux renaître là... On pourrait aussi augmenter le taux marginal de l'impôt sur le revenu, mais on en connaît les risques associés : inciter les salariés les plus qualifiés à migrer vers d'autres cieux. Voilà pourquoi la création d'une CSG vraiment universelle nous paraîtrait à la fois efficace et légitime. Il est loin d'être absurde, en effet, de faire le distinguo entre les dépenses de protection sociale qui relèvent de l'assurance (retraite, maladie classique, accidents du travail, chômage) et doivent donc être financées par des cotisations sociales payées sur les salaires et celles qui relèvent de la solidarité (dépendance, prestations familiales, maladies graves, affections de longue durée, minimum vieillesse...) financées par une taxation de l'ensemble des revenus.

Le remplacement, pour financer la solidarité, des charges sociales actuelles par la CSG, c'est-à-dire une taxation uniforme de l'ensemble des revenus sans exception, serait un signal fort adressé aux entrepreneurs, français et étrangers, et une bonne nouvelle pour l'emploi et le pouvoir d'achat. Une telle réforme n'est pas si compliquée à mettre en place. Le gouvernement peut la décider du jour au lendemain et mettre ainsi en oeuvre une première solution à l'un des handicaps majeurs à la réindustrialisation.

Les pouvoirs publics n'en auront pas pour autant fini avec la fiscalité. Si l'on veut préserver et mieux encore développer notre industrie et attirer les investisseurs tant français qu'étrangers, il est indispensable de soigner une fiscalité – et plus largement un « environnement » – plus « business friendly ». Pour améliorer les conditions faites aux entreprises, ce ne sont pas les idées qui manquent ! Depuis l'incitation à investir dans le capital des PME (y compris pour les investisseurs institutionnels comme les sociétés d'assurance vie, ce qui n'est pas du tout le sens pris par l'orientation récente de leur réglementation), jusqu'à l'incitation à l'embauche pour les entreprises de taille moyenne et pas seulement pour les très petites (TPE).

Il faut aussi éviter à tout prix que les PME en croissance rapide disparaissent prématurément parce qu'elles sont, comme on l'a vu, rachetées par de grands groupes avant d'être « digérées » par les superstructures (13 % des entreprises françaises de 10 à 49 salariés disparaissent chaque année). En France, le débat se focalise facilement sur la délocalisation des grandes fortunes. Vaut-il mieux, pour l'avenir de l'économie française, se battre pour dissuader nos milliardaires de succomber à la tentation de Coblence ou donner la priorité aux patrons de PME en forte croissance afin de les dissuader par tous les moyens de vendre leur entreprise à plus gros qu'eux avant de finir par aller s'installer en Belgique ou en Suisse ? La réponse est dans la question ! De même, il faut donner aux chercheurs de haut niveau les salaires et les moyens susceptibles de leur faire passer l'envie de s'expatrier chaque matin au moment de rejoindre leur labo. Autant de pistes qui participent d'une ardente obligation plus large remettre à l'honneur en France toute une culture de l'innovation, de la science et des techniques. En dix ans, les inscriptions en première année universitaire dans les cursus scientifique ont diminué de 40 % en dépit d'une série S prééminente en fin de lycée. La recherche fondamentale en sciences dures est particulièrement touchée. Pourtant, « confrontée à de grands défis – ressources en eau, énergie et alimentation, réchauffement climatique, développement durable –, la société du XX1e siècle aura plus que jamais besoin de scientifiques », comme le soulignait à la fin 2010 une pétition intitulée précisément La France a besoin de scientifiques et signée par de nombreux chercheurs et institutions (lien). À une époque où les progrès des sciences et les innovations technologiques constituent les facteurs essentiels du changement qui affecte notre environnement, notre monde, nos vies, mais où en même temps les risques associés à la science sont de plus en plus présents, il est plus que jamais indispensable de nourrir le débat démocratique sur tous ces sujets. Car, on l'a dit (voir chapitre 2), il ne peut y avoir de réindustrialisation sans acceptabilité sociale de l'industrie. Le coût de l'énergie, par exemple, est un point central dès lors que l'on souhaite maintenir une activité industrielle. Dès lors, il est impossible de faire l'impasse sur la question des risques associés (nucléaire, gaz de schiste, usines chimiques, etc.). En matière d'électricité pour l'industrie, la France reste l'un des pays les moins chers du monde (0,09 dollar/kWh contre 0,13 au Royaume-Uni, 0,15 en Allemagne, 0,28 au Japon). Mais cet avantage comparatif peut à tout moment être remis en cause par de nouveaux choix collectifs. Le débat doit avoir lieu en toute transparence. La conscience des limites du savoir justifie plus que jamais la mobilisation de tous, citoyens et dirigeants, pour prendre en main leur destin et celui de leur pays. Une mobilisation très féconde dès lors qu'elle fait appel non aux passions, surtout si celles-ci sont « tristes », pour parler comme Spinoza, mais à la raison !


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Mis en ligne le 09/04/2012