Gaz de schiste: des explications sur le forage et la fracturation

Dans le débat franco- français sur le gaz de schiste, personne n'a expliqué correctement la fracturation hydraulique. Ni les associations écolo locales conduites par José Bové, ni leur porte voix Corinne Lepage, ni les débats à l'Assemblée Nationale, ni le ministère de l'écologie, ni les opérateurs, ni les experts du corps des mines (CGIET); et on ne trouve pas non plus suffisamment d'explications sur les sites américains. Tous ces gens se sont fait une opinion incomplète sur la question. Pourquoi? parce c'est technique pointue de l'ingénieur et qu'il faut aller visiter des sites pour se faire expliquer et comprendre. Pourtant la fracturation hydraulique est utilisée depuis plus de 50 ans (1947) par les pétroliers en exploitation de pétrole et de gaz. La technique a évolué depuis.

Les pays en avance sur la question sont naturellement ceux où l'exploitation pétrolière et minière sont importants. En France notre industrie minière - autrefois plus importante, notamment fer, charbon et uranium en métropole, métaux non ferreux outremer nickel, plomb zinc cuivre et phosphates - a décliné. Mais tout un programme d'essais de foration de trous profonds pour la gazéification ont été effectués dans le Nord avec le Cerchar, Gaz de France, Charbonnages de France et le BRGM, dans les années 1980.

Voici donc l'explication que je me suis procurée auprès d'un ingénieur chef d'un chantier sur le gisement de Marcellus Shale en Pennsylvannie.

Aux États-Unis plus d'un million de trous dont plus de 90% avec fracturation hydraulique ont été forés depuis 1947. Il s'agit de trous verticaux profonds qui traversent les couches horizontales, dont l'extension en surface horizontale - liée aux conditions de dépôt - peut être très étendue cad. des milliers d'hectares. Dans une région géologique où les dépôts de matières organiques se sont accumulées au cours de millions d'années, la probabilité de trouver du gaz ou de l'huile encore emprisonné dans les roches mères est grande mais les conditions d'exploitation sont difficiles et les coûts sont élevés. En revanche la probabilité de trouver des ressources concentrées quelque part - gaz, huile ou charbon - est faible; les conditions d'exploitation sont plus faciles et les coûts sont faibles.

La technique de foration par machines rotatives puissantes permet de forer des trous de grand diamètre et à grande profondeur. On peut ainsi forer des trous jusqu'à la base géologique des formations où se sont accumulées des matières organiques. L'analyse en continu des débris de forage faite par les géologues de terrain, permet de dresser la carte des terrains traversés - on appelle cela un log. On identifie ainsi la ou les sections traversées que l'on va retenir pour une exploitation de gaz ou d'huile. Le trou de forage est d'abord équipé d'un casing pour l'isoler sur toute sa profondeur, des terrains encaissants. On descend alors une charge d'explosif à l'emplacement de la section retenue et on perce le casing à cet endroit. Le trou est alors rempli d'eau et on pompe depuis la surface pour créer et augmenter un réseau de fissures par lesquels le gaz va migrer vers la surface. L'eau est additionnée de sable et de divers produits chimiques pour que la perméabilité accrue de la roche ainsi obtenue, se maintienne. Un fois cette l'opération de fracturation hydraulique terminée, on vide le trou de toute l'eau contenue. C'est cette eau chargée de produits chimiques qui se retrouve au jour. En principe il ne doit pas y avoir d'eau perdue dans ce procédé. Le problème est de retenir cette eau dans une réserve étanche et de la traiter. L'eau utilisée pour le forage est autre chose (voir plus loin).

Cette technique de trous verticaux et de fracturation à l'horizontale dans la couche, à partir de la section traversée, a pour limites de ne permettre d'extraire le gaz ou l'huile de la couche que sur une surface faible. Chaque trou n'extrait donc qu'une quantité limitée de gaz et devient vite stérile. Il faut donc un grand nombre de trous pour avoir une production industrielle suffisante, en quantité et dans la durée. Par ailleurs la production de chaque trou doit être collectée; soit elle est stockée sur place avec un système de réservoirs et de compression s'il s'agit de gaz; soit elle est connectée à un réseau de pipelines secondaires reliés au réseau principal s'il existe. Ces limitations sont sévères dans les zones habitées ou sensibles sur le plan paysager et environnemental. C'est pourquoi les industriels ont cherché à faire évoluer la technique.

La première voie était d'accoître la surface de la zone affectée de chaque trou par la pression hydraulique. La pression hydrostatique d'un trou de 2000m de profondeur est déjà de 200 bars. Augmenter la pression à plus de 200bars a été permis par le développement de pompes très haute pression et la mise en parallèle de plusieurs pompes. L'autre voie a été de forer des trous horizontaux dans la couche. Cela a été permis par le dévloppement de techniques de forages orientés et de monitoring des trous. Cette technique est très récente (depuis 2000). Ayant identifié la position d'une couche cible par un forage vertical, on sait maintenant depuis la surface orienter un forage pour le placer dans la couche horizontale. La longueur forée peut atteindre 1500 voire plus ... 2000m. On est alors dans la couche comme les mineurs; la difficulté est alors plus grande car il faut fissurer la couche non plus horizontalement mais verticalement cad. perpendiculairement au forage.

Le trou a été équipé de son casing. La technique développée la première fois par Halliburton au Texas consiste à percer le casing en plaçant successivement des charges d'explosif, depuis l'extrêmité du trou et en revenant vers le début de la partie horizontale - qui est en fait un arc de cercle commençant depuis la partie verticale. Ensuite on remplit le trou d'eau additionné de sable et de produits chimiques et on pompe - il y a une vingtaine de camions pompe au jour; la pression hydrostatique naturelle à la profondeur de 2000m est déjà de 200 bars et suffisante pour fissurer le roche mais à une distance insuffisante des parois du trou dont le casing a été percé par les charges d'explosif. Les camions pompes au jour, en augmentant la pression jusqu'à 600-700 bars permettent d'étendre la fissuration jusqu'aux épontes de la couche. Lorsque l'opération est terminée, toute l'eau est retirée; en principe il n'y a pas d'eau perdue. Toute cette eau se retrouve au jour; son volume correspond à la longueur du trou et au diamètre intérieur du casing.

Avec les techniques modernes de forage par machines rotatives puissantes, le diamètre d'un trou type foré à 2000m de profondeur est de 830mm (32 pouces) au départ; le trou est foré par sections de diamètre décroissant à la façon d'un cône. Une fois foré, le trou est équipé; d'abord d'un casing en tubes d'acier de 300mm de diamètre; cela laisse un espace annulaire de 265mm autour de ce casing; cet espace est rempli de ciment mais de plus en plus par du gravier; pour mettre en place le ciment ou le gravier on descend un tube d'alimentation qu'on remonte au fur et à mesure de la mise en place du matériau qui se compacte avec le poids de la colonne. On place aussi divers tubes pour le contrôle et le suivi du trou, y compris chez les pétroliers, un tube pour descendre une caméra de surveillance. (Voir ce lien).

Lors du forage, on recueille les débris du forage (cuttings) qui sont analysés par un géologue pour connaître la nature des terrains traversés (lien). Au passage des roches contenant pétrole et/ou gaz, on a toujours fait de la fracturation pour augmenter la perméabilité des roches à proximité du trou et faciliter la migration vers la surface via le trou de forage. Pour faire cette fracturation, il faut percer le casing là où il traverse la roche contenant huile ou gaz; cela se fait par des charges d'explosif. La fracturation hydraulique est pratiquée depuis 1947; plus d'un million de forages (plus de 90% des forages creusés depuis 1947) ont été fracturés hydrauliquement pour stimuler l'extraction en augmentant la prerméabilité des roches réservoirs à proximitié des trous.

Cette technique était employée pour les forages verticaux où les couches horizontales sont traversées perpendiclairement à leurs épontes (video). Cette technique impose un grand nombre de trous pour extraire le gaz d'une couche. Depuis qu'on sait orienter le train de tiges et faire des extensions horizontales, on fore alors dans la couche même. C'est Halliburton qui a mis au point la technique de fracturation hydraulique dans ces conditions. Cette technqiue permet de réduire le nombre de trous à creuser à la surface minimisant ainsi l'impact environnemental et paysager. En effet depuis la même plate forme de forage on peut creuser plusieurs trous verticaux et horizontaux et rayonner dans la couche horizontale.

Quand on parle d'une consommation d'eau de 15000m3 et de piscines olympiques, c'est à moitié pour la foration du trou, à moitié pour la fracturation - et on va voir plus loin que la quantité d'eau est bien moindre que cela. Pour la foration on utilise un mélange d'eau et de 3 à 6% de bentonite. La bentonite est une argile gonflante (lien) qui donne au mélange une qualité de lubrifiant. Cela réduit la friction du train de tiges, assure le refroidissement de la tête de forage et l'évacuation des débris de la foration. Le développement de machines de foration rotatives puissantes et la bentonite a permis de forer des trous de gros diamètre. Par exemple de trous de 830 mm de diamètre (32 pouces) soit une circonférence de 2500mm; ce mélange assure la lubrification du train de tiges car autrement les frottements seraient énormes. Imaginez un train de tiges de 2000m à la verticale plus 1000-1500m à l'horizontale dont les frottements ne seraient pas réduits par cette lubrification. Ce mélange d'eau et de boue est recyclé, mais une bâche de grande capacité de stockage est nécessaire en surface pour assurer la séparation de l'eau, de la bentonite et des débris de foration. C'est donc là que s'utilise une moitié de l'eau de la foration d'un trou. Un trou de 830mm de diamètre et 3500m de longueur représente 1900m3 dont d'eau et de bentonite. En supposant 75% de recyclage, cela fait 2500m3 dont 94-97% d'eau douce.

Parlons maintenant de la fracturation hydraulique, une fois le trou équipé. La pression hydrostatique d'un trou de 2000m de profondeur est de 200 bars; c'est déjà suffisant pour provoquer de la fracturation de la roche; mais pas assez pour accroître la perméabilité pour que le gaz emprisonné dans la roche migre vers la surface avec un débit industriel. La perméabilité se mesure en darcy (lien).

Comment accroître la pression. Cela se fait pas par pompage d'eau; d'où les 20 camions alignés sur le site du chantier (lien). On remplit la partie horizontale du trou avec de l'eau mélangée avec des produits chimiques et du sable ou des billes en céramique; on remplit la partie verticale avec de l'eau douce. On laisse en tête de la partie verticale du trou un espace d'une cinquantaine de mètres; et les camions pompent ce qui comprime la colonne d'eau; ce travail se poursuit jusqu'à ce que "ça péte" et au delà tant qu'on peut maintenir une pression élevée; quand la pression s'effondre on arrête. On vide le trou en pompant l'eau pour la remonter à la surface. C'est encore 1900m3 d'eau mais cette fois avec des produits chimiques. Cela représente au total 4500m3 et non 15000m3. Une partie de l'eau n'est pas récupérée.

Si le casing du trou est correctement fait cad. étanche et son état surveillé, la fracturation hydraulique ne peut pas provoquer d'infiltrations dans les roches ni dans les nappes phréatiques. . Les fuites possibles se produisent si le trou est mal fait. Il est dit dans des articles américains que 35-40% de l'eau de la fracturation est perdue! Je ne comprends pas comment. Est-ce l'eau de la foration ou l'eau de la fracturation; cela n'est pas précisé (lien).

C'est donc au niveau de la surface que le problème se pose.

L'eau utilisée pour la foration en mélange avec la bentonite et les débris de foration est stockée dans une bâche dédiée - 1760m3 pour un trou de 830mm de diamètre et 3500m de longueur. C'est un problème simple de traitement séparation des matières. Les techniques sont celles du traitement des minerais. Vu la longueur du trou, il faut une unité spécialement conçue pour cela - tamis, vibrateurs, hydrocyclones, pompes, décanteurs et bassin de décantation.

L'eau utilisée pour la fracturation pose des problèmes plus difficiles car on a des produits chimiques plus ou moins toxiques cad. cancérigènes. C'est là que se situe la véritable préoccupation environnementale car les opérateurs doivent se débarasser d'une manière ou d'une autre de cette eau polluée. Aux États-Unis certains la réinjectent dans des mines abandonnées; d'autres l'envoient dans des stations d'épuration non conçues pour cela. Dans tous les cas, il y a risque que ces eaux se retrouvent dans le milieu naturel. La première question à poser est celle de la toxicité des produits chimiques utilisés, s'ils sont indispensables pour obtenir la perméabilité, si on peut s'en passer et les remplacer par d'autres. On utilise bien des produits algicides pour les piscines.

En conclusion, par comparaison avec la parnoïa franco-française où personne n'a rien expliqué, le parlement anglais a pris une toute autre posture (lien). Pas de Christian Jacob chez eux, ancien agriculteur pollueur de la Seine et Marne; ni de NKM incapable de tenir tête à nos écolos en colère avec leurs pancartes. Les anglais feront donc de l'exploration et de l'exploitation du gaz de schiste, avec l'espoir de mettre en perce 100 ans de consommation de gaz, voire plus si on exploite les ressources off-shore. Idem en Pologne, en Allemagne, en Hollande...

Mis en ligne le 03/06/2011