Le gaz de schiste se heurte à une forte opposition des Français
Dans un sondage IFOP réalisé en exclusivité pour " Le Monde ", le " non " à l'hydrocarbure est majoritaire, du PS au FN en passant par l'UMP



Qui l'eût cru ? 84 % des Français ont " déjà entendu parler du gaz de schiste ", sujet pour le moins technique et industriel, et 44 % disent savoir " de quoi il s'agit ".C'est la première surprise du sondage " Les Français et le gaz de schiste ", réalisé fin août par l'IFOP, en exclusivité pour Le Monde.

" Ce résultat est en effet étonnant, explique Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l'IFOP. Le gaz de schiste est un nouvel hydrocarbure, non exploité en France et qui ne concerne pas la vie quotidienne. Il ne s'agit pas du dernier iPhone d'Apple... Si ce sujet n'avait pas créé la polémique, nous ne serions certainement pas à de tels niveaux de connaissance. " Point important : les questions posées par la suite ne l'ont été qu'aux 44 % des interviewés qui se prévalent d'une relative maîtrise du sujet.

Dès lors, le verdict est sans appel : 74 % des interrogés sont opposés à l'exploitation de ces hydrocarbures non conventionnels. Sans surprise, ceux qui sont proches politiquement d'Europe Ecologie-Les Verts sont 97 % à ne pas vouloir du gaz de schiste en France. Mais même à droite - 55 % pour les sympathisants UMP et 71 % pour le FN -, c'est le " non " qui l'emporte.

Qu'est-ce qui justifie une telle mobilisation ? " Les aspects négatifs de l'exploitation du gaz de schiste prennent largement le pas sur ce qui pourrait apparaître comme un plus ", analyse M. Fourquet. Les sondés craignent en majorité les risques environnementaux réels ou présumés associés à leur extraction du sous-sol : " la consommation de très grandes quantités d'eau " (94 %) ; " la pollution des nappes phréatiques " (88 %). En clair, pour eux, l'exploitation du gaz de schiste est " une technique que l'on maîtrise mal " (86 %).

Même si les scores sont plus balancés, les interrogés qui disent s'y connaître, ne pensent pas (52 %) que développer cet hydrocarbure permettrait " de faire baisser ou de limiter la hausse du prix du gaz payé par le consommateur français ", ou de " limiter sensiblement le recours à d'autres énergies comme le nucléaire en France ". Seuls points positifs mis en avant qui emportent l'adhésion : forer des puits " augmenterait l'indépendance énergétique de la France " (61 %) et serait prometteur en termes de créations d'emploi (56 %).

" Les doutes exprimés sur le lien entre l'exploitation du gaz de schiste et la baisse des prix de l'énergie montrent, comme dans d'autres sondages, les préjugés des Français sur les groupes miniers et électriques, relève M. Fourquet. Selon eux, ce sont les grandes entreprises qui tirent les ficelles, elles ne pensent qu'à engranger des profits et certainement pas à baisser les prix à la pompe ou les tarifs de l'électricité. "

Globalement, poursuit-il, sur le gaz de schiste, les personnes interrogées ont peur des groupes miniers " qu'ils considèrent un peu comme des apprentis sorciers ". Cette méfiance est plus ancrée au sein des sympathisants du PS et des Verts que chez les proches du MoDem ou de l'UMP qui croient au contraire aux vertus économiques de l'exploitation de l'hydrocarbure. Le clivage sur ces points est très marqué politiquement.

Une bonne nouvelle, néanmoins, pour les groupes miniers et pétroliers, les personnes interrogées, en dépit de toutes leurs réticences déjà exprimées, sont plus balancées quant à l'idée d'aller, malgré tout, explorer dans le sous-sol français par l'intermédiaire des forages de recherche scientifique à but expérimental. 52 % y sont opposés contre 48 % qui y seraient favorables. " Une marge de manoeuvre existe ", confirme M. Fourquet. L'idée est de ne pas passer à côté d'une ressource importante. Et là deux clivages forts apparaissent. Le premier est encore et toujours politique : 66 % des sondés proches de la gauche sont opposés à tout forage expérimental alors que 63 % de ceux qui se reconnaissent dans les idées de droite sont pour. Le second est lié au sexe des interrogés. 58 % des hommes sont partants pour aller " regarder sous le capot ", contre 32 % des femmes, toujours plus prudentes sur ces questions industrielles.

Marie-Béatrice Baudet

ENTRETIEN
Jean-Paul Chanteguet : " Il faut accélérer sur la réforme du code minier "
Président de la commission du développement durable à l'Assemblée nationale, l'élu PS annonce le dépôt prochain d'une proposition de loi
A la veille de la conférence environnementale, Jean-Paul Chanteguet, député PS de l'Indre et président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, rappelle la volonté des parlementaires socialistes de peser sur le débat écologique. Avec notamment une proposition de loi sur la réforme du code minier et sur les huiles et gaz de schiste.

Vous avez décidé de déposer prochainement une proposition de loi sur la réforme du code minier. Pourquoi cette initiative alors que le gouvernement a annoncé un projet de loi sur le même sujet pour début 2013 ?
Le premier ministre a en effet pris des engagements sur une réforme prochaine du code minier mais j'ai estimé avec plusieurs parlementaires socialistes qu'il serait souhaitable de devancer l'appel. Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet majeur depuis de nombreux mois et nous sommes prêts à ouvrir le débat. D'ailleurs cette proposition de loi recoupe largement les orientations déjà développées par la ministre de l'écologie, Delphine Batho, lors du conseil des ministres du 5 septembre. Je vous les rappelle : l'information et la participation du public au processus décisionnel ; la prise en compte des enjeux environnementaux préalablement à la délivrance des permis ; la révision des dispositions fiscales qui n'assurent pas actuellement à l'Etat et aux collectivités locales les revenus qu'ils seraient en droit d'attendre ; la responsabilité environnementale des entreprises minières et une meilleure prise en compte des particularités de l'outre-mer.

Pourquoi cette accélération ?
Au sein des groupes socialistes de l'Assemblée nationale et du Sénat, nombreux sont ceux qui considèrent qu'ils doivent s'approprier cette réforme pour en orienter le contenu, si nécessaire. Le gouvernement a annoncé la mise en place d'un groupe de travail présidé par un conseiller d'Etat, Thierry Tuot. C'est une bonne chose, car nous pourrons largement travailler avec ces experts.

Le code minier est un dossier lourd et compliqué. Comment avez-vous procédé ?
Nous nous sommes appuyés sur les débats qui ont déjà eu lieu lors des travaux parlementaires, en 2011, sur les huiles et gaz de schiste et sur les auditions qui avaient été menées à l'époque. Nous avions aussi à notre disposition le rapport réalisé par le Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies et le Conseil général de l'environnement et du développement durable, et celui rédigé par l'avocat Arnaud Gossement à la demande de l'ancienne ministre de l'écologie Nathalie Kosciusko-Morizet.

La proposition de loi du groupe PS a-t-elle vocation à " fusionner " avec le projet de loi du gouvernement ? Quel est votre calendrier ?
En principe, cette proposition de loi a pour objet de nourrir le projet de Delphine Batho. Mais si ce dernier tardait trop, nous demanderons l'inscription de notre texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. La réforme du code minier est urgente. Les services du ministère continuent d'instruire des demandes de permis exclusifs de recherche et de délivrer des titres miniers. Or les dispositions actuelles du code ne prennent pas en compte les principes fondamentaux du droit de l'environnement, qu'il s'agisse par exemple de la convention internationale d'Aarhus ou de l'article 7 de notre charte de l'environnement, deux textes importants sur l'information et la participation du public au processus décisionnel.

Pourquoi voulez-vous faire pression sur le gouvernement ? Doutez-vous de sa volonté d'ouvrir ce chantier ?
Je ne doute absolument pas de la volonté du gouvernement de porter le combat pour la préservation de l'environnement. Mais nous savons que l'ordre du jour de l'Assemblée nationale se remplit vite, et empêche parfois les responsables politiques de faire adopter des textes même s'ils sont importants.

Une réforme importante trouve toujours sa place au Parlement, non ?
Oui, en principe. Mais si on se réfère à ce qui s'est produit lors de la législature précédente, le gouvernement de François Fillon n'avait pas trouvé le temps nécessaire d'inscrire la réforme du code minier alors qu'elle était jugée essentielle.

La législature a changé, le gouvernement socialiste avec ses ministres verts devrait plutôt considérer la réforme du code minier comme une priorité...
C'est ce qui a été dit, en effet. Et nous ne manquerons pas le moment venu, si cela était nécessaire, de le rappeler.

Cette démarche donne le sentiment que vous placez le gouvernement sous surveillance...
Loin de nous cette idée. Notre objectif est de permettre aux parlementaires, et en particulier à ceux du groupe socialiste, d'être des acteurs du changement. Et donc de participer très concrètement à l'élaboration de la loi. Nous devons nous saisir de toutes ces problématiques environnementales qui sont des enjeux importants. Je considère aujourd'hui que nous ne devons pas être les seuls à nous taire. Nous ne voulons pas donner le sentiment que nous n'avons ni point de vue ni propositions.

Votre proposition de loi concerne aussi le dossier des huiles et gaz de schiste, un sujet sensible qui sera abordé lors de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre.
Je crois qu'il est temps de refermer le front des huiles et des gaz de schiste. Et que le gouvernement aurait intérêt à le faire, au nom des risques environnementaux et sanitaires, mais aussi parce qu'il est indispensable d'orienter nos efforts non pas vers la recherche de nouveaux hydrocarbures mais vers la transition énergétique, c'est-à-dire à la promotion des énergies renouvelables et à l'amélioration de l'efficacité énergétique. Un principe maintes fois défendu par Delphine Batho. Voilà pourquoi dans notre proposition de loi, nous avons décidé de revenir sur le dossier des huiles et gaz de schiste - des hydrocarbures enfermés dans une roche-mère - en allant au-delà de la loi du 13 juillet 2011 qui interdit la fracturation hydraulique mais permet les expérimentations scientifiques de cette technique. Nous sommes favorables à une interdiction plus large : celle de l'exploration et de l'exploitation des hydrocarbures via les techniques (anciennes ou à venir) qui ont pour but la fracturation ou la fissuration de la roche-mère. Sans expérimentation scientifique possible.

Ce nouveau coup de butoir contre les huiles et gaz de schiste est-il cohérent avec la volonté du gouvernement de limiter les hausses des prix de l'énergie et de l'électricité ? N'est-ce pas un mauvais coup porté au pouvoir d'achat des Français ?
Non. Imaginer que l'exploitation des huiles et gaz de schiste en France va permettre de faire baisser le prix des énergies fossiles est un leurre. Il ne diminuerait pas. Il ne faut pas tromper les Français sur ce point. Nous allons vers une hausse inéluctable du prix de ces énergies de plus en plus difficiles à extraire.

Propos recueillis par M.-B. B.


Partager |

Mis en ligne le 16/09/2012