France Culture, "à Voix nue" avec Serge Latouche

J'ai écouté Serge Latouche dans l'émission "à Voix nue" de France Culture [lien]. Je retrouve avec intérêt un sujet qui m'a occupé longtemps, l'impossibilité d'une croissance exponentielle de tout indéfiniment dans une planète finie. Serge Latouche s'est fait l'avocat de la décroissance [lien]. Je retiens de l'émission ces éléments:

  1. Il a fait ses premières expériences professionnelles en missions de coopération au Zaire ex-Congo et au Laos et le Laos a été pour lui son chemin de Damas;
  2. Le modèle économique occidental appliqué au monde entier est insoutenable;
  3. Le modèle de développement de la banque mondiale n'a pas changé depuis le début c'est à dire la fin de la 2è guerre mondiale.

J'ai vécu des expériences similaires comme ingénieur participant à des missions de développement minier en Afrique, en Inde et en Amérique du Sud. En Afrique, lors d'une mission de la coopération pour le développement de minéraux industriels dans les années 1980, j'ai travaillé dans les pays de la SADCC du temps de l'apartheid de l'Afrique du Sud. J'ai ainsi visité l’Angola, le Botswana, le Lesotho, le Malawi, le Mozambique, le Swaziland, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe. J'ai été frappé comme lui par le fait que les populations vivaient dans un relatif bonheur sans les biens de consommation de la civilisation occidentale. Cela m'est apparu particulièrement au Malawi. Plus tard j'ai eu la même impression au Ghana, en Côte d'Ivoire, au Sénégal et en Mauritanie.

Quand on dit "relatif bonheur" cela signifie que les gens n'avaient pas (dans les années 1980) toutes les facilités des pays occidentaux dont j'étais un habitant, mais qu'ils ne semblaient pas malheureux... ils vivaient selon leurs modes de vie propres, leurs coutumes, leurs relations sociales ancestrales, tout cela constituant leur culture, différente de la mienne et que j'observais avec étonnement, comme un anthropologue très amateur, un Monsieur Jourdain faisait de la prose.

Cela dit on pourrait aussi faire la même observation s'il était possible de visiter des villages et villes d'Europe occidentale du temps des romains, ou en 1050, 1450, et 1650. La société est faite d'individus, de millions d'hommes et de femmes de tous âges qui inter-agissent et dont la créativité est infinie et incessante dans tous les domaines de l'activité humaine. Cette créativité laissée libre de s'exercer et de s'organiser de manière autonome, permet toujours l'adaptation de la société à son environnement et au changement; car le changement est l'essence de la vie.

J'observais aussi que certains de ces pays n'avaient pas les mêmes ressources. Ainsi la Zambie, le Zimbabwe, le Botswana avaient des ressources minières mises en valeur et exploitées par des grandes sociétés occidentales; mais aussi le Swaziland à plus petite échelle. L'Angola et le Mozambique avait aussi des ressources potentielles importantes.

J'observais que ces pays avaient peu de relations commerciales entre eux à cause d'infrastructures inexistantes. Et je pensais qu'il était impossible que ces pays développent un modèle de production et de consommation tel qu'il s'était développé dans les différents pays d'Europe. Le Zimbabwe ex Rhodésie du Sud, sous Ian Smith à l'époque était le seul pays de la zone à tenter de développer un tel système à cause de l'embargo appliqué par le Royaume Uni suite à la déclaration unilatérale d'indépendance.

À écouter Serge Latouche, il faut cesser de prôner le développement de ces pays, prôner la décroissance chez nous dans les pays occidentaux. Tout cela relève en effet selon lui de l'occidentalisation du monde, du consumérisme et de la destruction des cultures par le développement. Mais c'est une vision des années 1960-1970, l'époque du modèle soviétique et de la révolution culturelle de Mao; or le monde a profondément changé depuis l'effondrement de l'URSS et la transformation de la Chine.

Il me paraît juste de penser que chaque pays ne peut pas avoir un système de production consommation autonome, chacun ayant sa sidérurgie, ses industries lourdes, sa production de machines outils, etc. Mais la division du travail doit permettre à chaque population de participer à la production consommation mondialisée. Cela prendra encore beaucoup de temps et des générations dans un processus de changement permanent de la vie. La mondialisation que nous voyons aujourd'hui évoluer est précisément cela. Ce sont les individus, les millions d'hommes et de femmes de tous âges qui constituent les sociétés, qui décident. Leur créativité est infinie et incessante dans tous les domaines d'activité humaine. Si les conditions institutionnelles le permettent en la libérant, cette créativité permet toujours l'évolution de la société nécessaire pour atteindre le bien-être et le bonheur; l'adaptation aux conditions et le changement sont l'essence de la vie. Si les conditions institutionnelles - par l'idéologie de certains groupes - étouffent les individus, la créativité est inhibée et la société bloquée ne s'adapte pas au changement, ce qui génère insatisfactions, manques, et malheurs.


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Mis en ligne le 01/05/2013