Lettre de Jean Marc Jancovici | www.manicore.com

Chers tous, sans oublier les autres,
Sauf à être sourd ou aveugle, il ne vous aura pas échappé qu'il se passe un petit quelque chose avec la dette des États en ce moment, et que cela induit un poil d'inquiétude pour quelques habitants de notre Vieux continent. Mais pour contrebalancer cette petite angoisse, j'ai le plaisir de vous annoncer une excellente nouvelle : nous avons enfin réglé le problème du carbone.

Si si, je vous assure ! Et cela doit nous donner fortement espoir pour la dette, puisque pour le carbone la solution est arrivée de manière totalement inattendue, alors que nous cherchions ailleurs, et même que nous avons cherché à côté pendant des décennies.

Pensez donc, pendant longtemps nous avons cru que, pour s'attaquer à la question du changement climatique et de la dépendance à l'énergie fossile, il fallait commencer par bien comprendre la science et la géologie (voire l'économie), caractériser un niveau de risque, même si quantitativement établir ce dernier très à l'avance sera toujours impossible (lien) puis tenter d'amener les peuples à la raison autour du constat scientifique et technique, en mettant en place des tas de trucs nouveaux et compliqués, au terme d'un effort intellectuel à s'en faire péter la dure-mère.

Nous avons même eu droit à la médiatisation du changement climatique, quelle hérésie ! Heureusement, les marchands de peur ont battu en retraite. Nous avons connu en 2010 le record de température planétaire selon la NASA ; un "trou d'ozone" a commencé à se former au dessus de l'Arctique - (lien); les récoltes commencent à voir leur rendement plafonner du fait de l'évolution climatique en cours - (lien) - et le Printemps Arabe n'est pas sans rapport avec cela, mais heureusement c'est à peine si vous êtes au courant pour ces bricoles. Le sujet fossiles-climat a tellement bien été évacué que, alors que le gouvernement cherche 9 milliards de recettes supplémentaires, soit à peu près le montant collecté avec une taxe carbone à 17 euros la tonne de CO2, aucun ténor politique n'envisage cette piste pour combler le déficit actuel.

Quelques audacieux avaient aussi commencé à remarquer que le carbone, c'est 80% de l'énergie que nous utilisons dans le monde, et que cette énergie pilotait très fortement l'état de l'économie (lien). Ceci allant avec cela, les mêmes se disaient que toute insuffisance sur la disponibilité en énergie - et notamment en pétrole - se matérialiserait "un peu plus tard" par une récession ou quelque chose qui y ressemble fort, puis, juste après, par des problèmes pour rembourser une dette contractée en pensant que la croissance allait continuer "comme avant" (lien). Cela ne vous rappelle rien d'un tout petit peu lié à l'actualité ? Et il est évident que sans prendre le taureau par les bonnes cornes, les mêmes causes produiront les mêmes effets (lien)....

Allant encore plus loin, d'aucuns se mêlaient de vouloir inclure de la physique, avec des lois qui ne dépendent pas de nous et des limites pas négociables, dans une économie qui ne dépend que de nous et qui n'a pas de limites puisque sinon c'est mauvais pour les sondages et les cours de bourse (lien). Horreur !

La très bonne nouvelle, c'est que nous nous sommes compliqués la vie pour rien. Car il y avait beaucoup plus simple à faire que tout ce bazar technico-juridico-politico-angoisso-imbittable : il suffisait de construire une centrale nucléaire en zone sismique, d'attendre qu'elle soit secouée par un tremblement de terre puis noyée par un tsunami, et le miracle s'est accompli, sans autre dommage que de déplacer quelques dizaines de milliers de personnes pour un temps, soit 10% de de la population ayant du partir définitivement aux Trois Gorges pour faire place à de l'énergie parfaitement renouvelable.

Et hop, grâce à un événement qui n'a pas fait un mort à cause des radiations (et qui restera en tout état de cause très très très en dessous d'une semaine de circulation routière en France, où aucun candidat ne propose de supprimer 50% à 75% des voitures en 10 ans :-) ), fini le changement climatique ! Out le pic de production du pétrole (alors qu'en pleine tourmente financière le Brent reste au-dessus de 100 dollars le baril, et que le super sans plomb en France est à son record historique en monnaie courante), has-been les questions soulevées par le gaz, ringard total l'avenir du chômage - et de ce qui va avec : délinquance, stress, suicide, et autres plaisanteries - dans une France important 100% ou presque de ses énergies fossiles. Tout cela n'est plus le sujet, évacué par le miracle du clou qui chasse l'autre. Il suffisait d'y penser !

Dire que Stern avait suggéré qu'il allait falloir investir des milliers de milliards d'euros pour éviter le changement climatique... 4 réacteurs à quelques milliards pièce qui partent à la ferraille, et hop, fin du problème. Je ne sais pas qui a dit qu'avec le temps la technique de lutte contre le changement climatique allait faire des progrès, mais notre ami ne savait pas à quel point il parlait d'or.

Bref, au lieu de fustiger les japonais qui ont construit des centrales qui ne fonctionnent pas en mode sous-marin, nous devrions chaudement les remercier : ils ont écarté pour trois fois rien tout risque de récession, guerre, stress alimentaire, épidémie, destruction d'infrastructures et autres pépins possibles de la "tenaille fossile". Quelle affaire !

Nos voisins d'outre Rhin, qui comme chacun sait ont toujours un coup d'avance sur nous, ont tiré les premiers. L'Allemagne indique qu'elle abandonne le nucléaire ? Bravo ! Elle met en service mines de lignite et centrales à gaz et à charbon pour cela ? Même pas mal !

Elle choisit de ce fait d'augmenter les risques de très fortes ruptures économiques dans une Europe qui a entamé son déclin d'approvisionnement en gaz, ou pas loin ? (lien) et (autre lien). Elle prend une bonne option pour torpiller les engagements européens sur les émissions de CO2 ? (lien). Bof, vous n'avez rien d'autre à dire ?

Et puis c'est même pas vrai, les politiques ont dit qu'ils compenseraient tout par des économies et des renouvelables, en même temps, du reste, qu'ils compenseront aussi par des économies et des renouvelables la "sortie du fossile". Ah, si les politiques ont dit, alors c'est sûrement ce qui arrivera, pourquoi aurions-nous le moindre doute ?

En fait, le monde n'étant pas à un paradoxe près, l'impitoyable règle de trois suggère que, en croyant préserver la stabilité du monde, les élus qui veulent sortir leur pays du nucléaire prennent une bonne option pour contribuer à l'exact inverse (lien), dont je viens de faire une version "revue et augmentée", comme disent les éditeurs). La bonne intention reste assurément indémodable pour paver l'Enfer...

Cela étant, la chasse aux becquerels est devenue le sport du moment. L'état met en place une commission qui s'intéresse à l'énergie d'ici à 2050 ? C'est pour préparer la sortie du nucléaire ! Si on permet à une personne qui y siège d'avoir un avis, il se pourrait que ce ne soit pas la seule question qui se pose à notre pays, mais c'est juste ce que j'en dis, hein : (lien).

Un peu d'énergie dans le débat présidentiel qui s'amorce ? C'est juste pour parler de "à quelle vitesse sortir du nucléaire ?". 10 ans, à ma droite, qui dit mieux ? 5 ans à ma gauche ! 4 ans ici ! Allons, si c'est si dangereux tout ca, moi je vous le fais en 3 ans, et avec hausse du pouvoir d'achat et solution à la dette en prime, le tout dans un beau paquet cadeau, mais dépêchez vous, la promo sera peut-être terminée la semaine prochaine...

Quelques nostalgiques tentent cependant de continuer à s'intéresser aux combustibles fossiles. Deux d'entre eux, audacieux en Diable, y ont même consacré tout ou partie d'un livre, et, pire encore, m'ont demandé d'écrire une préface:
- pour un Atlas sur les énergies (lien) et
- pour un essai de comparaison entre esclavagisme et usage des combustibles fossiles (lien)

Mais tout cela n'est plus qu'une délicieuse évocation d'un passé révolu, puisque nous avons réglé le problème du carbone. Du coup, que les émissions "réelles" par Français aient augmenté de 13% entre 1990 et 2010 (lien)ce qui soit dit en passant n'est que la traduction "carbone" du fait que nous consommons plus que nous ne produisons, ce n'est heureusement pas un sujet. Vivent les japonais !

Très cordialement à tous

Jean-Marc Jancovici

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Ah, ces journalistes:
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Mis en ligne le 05/11/2011