31 janvier 2012: La cour des comptes publie un rapport sur les coûts du nucléaire

Le Monde publie le 31 janvier au soir (édition du 1 février), sous le titre "Nucléaire : la France n'a plus les moyens de remplacer son parc vieillissant de centrales" un article sur le rapport de la Cour des Comptes "les coûts de la filière électronucléaire" (lien).

Des lecteurs, des médias et des politiques, se prononcent sur ce rapport de 435 pages rendu public le matin! Ils saisissent l'article du Monde et déclarent que le rapport les conforte dans leurs positions - pour ou contre le nucléaire! La cour des comptes s'intéresse seulement aux coûts de production de l'électricité nucléaire, compte tenu que 22 réacteurs sur 58 auront 40 ans d'âge en 2025 et que dans cette perspective EDF demande le renouvellement des centrales. Opposants et défenseurs de la filière nucléaire française se déclarent donc confortés dans leur position! Qu'en penser?

Voir ici la présentation de synthèse du rapport pour les décideurs.

Extrait: "Le rapport de la Cour rassemble toutes les données factuelles disponibles actuellement sur les éléments qui constituent les coûts, passés, présents et futurs, de la production d’électricité nucléaire en France, sans prise de position ni sur le niveau souhaitable de cette production, ni sur les modalités de son financement."

Sur ce point, il faut souligner que le coût de production ne représente qu'environ 50% du prix de l'électricité vendue aux consommateurs. Il s'y ajoute principalement la distribution (RTE) et plusieurs autres postes.

Un peu d'histoire concernant l'énergie et l'électricité

La civilisation en 2012 (7 milliards d'habitants sur la planète) résulte d'un formidable progrès technique commencé depuis le néolithique quand nous étions probablement moins d'un million. Le progrès technique ne cesse de s'accélérer depuis la révolution industrielle au 17è siècle, avec l'invention de la machine à vapeur. Cette progression est due à la maîtrise de l'énergie mécanique qui remplace force humaine et animale. Trois grandes mutations techniques - associant des machines utilisant des matières premières énergétiques - ont conduit à la situation d'aujourd'hui:

  • la machine à vapeur et le charbon
  • le moteur électrique et l'électricité
  • le moteur à explosion et le pétrole

Charbon, pétrole, gaz naturel, bois, biomasse ... sont des matières premières énergétiques. Par la combustion de ces matières, on peut produire de la chaleur et l'utiliser directement comme produit final, ou utiliser la vapeur dans une machine à vapeur et obtenir de l'énergie mécanique utilisable sur un arbre. Le pétrole, à l'état naturel, ou par une opération de raffinage qui permet de le rendre suffisamment léger et volatile, peut être utilisé dans un moteur à explosion qui fournit une énergie mécanique utilisable sur un arbre. L'électricité est une énergie secondaire obtenue à partir des énergies primaires ci-dessus et utilisée pour faire tourner une machine électrique - dynamo ou alternateur. Ici l'énergie mécanique n'est pas utilisée directement mais par l'intermédiaire d'un cable qui relie la machine productrice à la machine utilisatrice.

D'autres moyens de produire de l'électricité se sont développés; ce sont l'hydraulique et plus récemment l'éolien, le photovoltaïque, la biomasse et le solaire thermique. Il s'agit là de sources non épuisables qui interviennent de manière croissante - hors l'hydraulique - dans le "mix" des moyens de production d'électricité.

Historiquement on a commencé à utiliser la machine à vapeur, puis le moteur électrique puis le moteur à explosion. Au début, l'électricité était produite - à partir de charbon ou de pétrole (moteurs diesel) dans des petites centrales proches des villes principalement pour l'éclairage. Après la 2è guerre mondiale, la production d'électricité augmentait au rythme de 7%/an - doublement tous les 10 ans. On a construit des centrales thermiques à charbon proches des sites miniers, des centrales thermiques consommant du charbon et du pétrole importés. Dans les années 70 les charbonnages de France sont entrés en déclin et en crise à cause de conditions d'exploitation difficiles, d'épuisement des gisements et d'augmentation des coûts de production. On a alors construit de grandes centrales électriques près des ports pour utiliser des charbons importés de pays à bas coûts de production en raison de conditions d'extraction plus faciles (Afrique du Sud, Australie, Colombie).

Pendant ce temps, le développement d'une technologie nucléaire de production d'électricité se déroulait, sous la houlette du CEA Commissariat à l'Énergie Atomique. C'était la suite de la découverte de l'atome, de la fission nucléaire et du programme atomique militaire français. C'est dans les années 50 et 60 que les réacteurs de première génération avec la technologie Uranium naturel graphite gaz UNGG furent construits successivement à Marcoule, Chinon, St Laurent des eaux et Bugey; 9 réacteurs furent construits du pilote, au prototype puis aux installations industrielles. Dans le Ve plan (1966-1970), il était prévu d’installer 2500 MWe en UNGG. Dans ce cadre, la construction d’une nouvelle tranche avait commencé à Fessenheim en 1967. Mais le projet fut arrêté à la fin de 1968 car la nouvelle technologie des réacteurs à eau s'imposait. La France fit alors le choix de la technologie des réacteurs à eau pressurisée au terme d'un vif débat entre EDF et le CEA, pour des raisons de rentabilité et en raison d'un début de fusion du cœur dans la Centrale nucléaire de Saint-Laurent. (lien). On était dans une phase de recherche de la technologie la plus performante et la plus sûre (voir monographie du CEA sur les réacteurs nucléaires à caloporteur gaz).Il s'agit aujourd'hui de la première génération de réacteurs - la filière UNGG est maintenant quasiment abandonnée avec seulement 6% de réacteurs sur les quelques 450 dans le monde.

À partir de 1969, le choix français se porta sur la technologie des réacteurs à eau pressurisée REP (figure source wikipedia). La première centrale à Fessenheim sur le Rhin, fut mise en service en 1978. Le programme tel qu'il existe aujourd'hui fut terminé à la fin des années 1980. Aujourd'hui il y a 58 réacteurs REP en service sur 19 sites (lien) avec une puissance totale installée de 62510 MW. La production en 2010 a été de 477 TWh sur une consommation brute totale de 513 TWh Voir mix de la production d'électricité sur le site RTE-éCOMIX.

Voir ici toutes les centrales nucléaires en service (2è génération) avec leur historique et les deux centrales EPR (3è génération) prévues (Flamenville et Penly). Une 4è génération de réacteurs est à l'étude pour le futur plus lointain dans le cadre de Generation IV International Forum (GIF). La description de la participation française à GIF est ici (lien).

Sans écarter le problème des déchets nucléaires radioactifs, de la sureté nucléaire et de l'acceptation de la filière par la population, le programme nucléaire français a permis de fournir aux consommateurs depuis 3 décennies - ménages, entreprises - de l'électricité en abondance, la moins chère d'Europe, et des emplois à travers toute la filière depuis la R&D jusqu'à la production et la distribution. La question qui se pose est l'avenir de la filière en l'état avec ses 58 réacteurs en service, compte tenu d'une durée de vie initialement prévue de 40 ans. En effet 22 des 58 réacteurs auront 40 ans au cours de la prochaine décennie. Faut-il les démanteler pour en construire de nouveaux et de quelle technologie - comme une voiture qu'on met à la casse au bout de 10 ans pour en acheter une neuve plus performante - ou faut-il les entretenir et les faire durer jusqu'à 60 voire plus? Quel serait l'impact de l'évolution technologique si les recherches en cours dans le cadre du GIF débouchaient sur des réacteurs plus performants à tous égards (lien).

Vu que l'électricité restera un produit très demandé, les investissements d'entretien pour prolonger la durée de vie des centrales constituent des coûts marginaux. L'appréciation économique des choix à faire dépend des prix de vente, du volume des investissements nécessaires, de leur durée d'amortissement, du taux d'actualisation envisagé et du taux d'intérêt auquel il se compare - tous éléments entachés d'incertitudes du futur. La croissance des énergies renouvelables dans le mix de production, les économies d'énergie (programme négaWatt) doivent également être pris en compte dans le débat.


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Mis en ligne le 30/01/2012