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Darwin et la théorie de l'évolution

Spectacle du Monde Janvier 2009 Frédéric Barrault
Notes de lecture en bleu italiques et liens ajoutés

On célèbre cette année le bicentenaire de la naissance de Darwin et le cent cinquantième anniversaire de la publication de son livre "de l'origine des espèces". Retour sur la genèse d'une théorie qui devait révolutionner les sciences naturelles et changer le regard porté sur la condition humaine. Elle l'a assurément changé. Darwin, comme Newton, est de ceux qui ont éclairé l'humanité sur sa condition.

De toutes les batailles scientifiques qui marquèrent l'histoire, aucune – à l'exception peut-être du procès de Galilée – n'eut un plus grand retentissement que celle qui opposa en 1860, le biologiste anglais Thomas Henry Huxley à Samuel Wilberforce, évêque d'Oxford et aumônier de la reine Victoria. Lors d'un débat organisé par l'Association britannique pour l'avancement des sciences, les deux hommes s'affrontèrent sur la théorie de l'évolution des espèces publiée un an plus tôt par le naturaliste Charles Darwin. Voulant mettre les rieurs de son côté, Wilberforce crut bon de demander à Huxley s'il descendait du singe par son grand-père ou par sa grand-mère. Applaudissements sur les bancs des antidarwiniens. Sur le même ton sarcastique, Huxley répondit que, à tout prendre, il préférait encore avoir un singe pour grand-père plutôt qu'un évêque.

"Ignorant s'abandonnant à des plaisanteries sur un sujet qu'il ne connaissait pas" les rires changèrent de côté. En 1860, Darwin n'avait pourtant pas encore abordé le problème de l'origine de l'homme "the descent of man". Il ne le fera que onze plus tard. Mais l'évêque d'Oxford qui n'était pas si ignorant - avait parfaitement compris que l'ascendance animale de l'homme était la conséquence logique de la théorie darwinienne de l'évolution et que, à ce titre, elle touchait au dogme de la création divine.

Comment un bourgeois fortuné de l'époque victorienne, plutôt croyant au départ, en est-il venu à révolutionner les sciences naturelles? Pour répondre à cette question, il faut s'arrêter un instant sur la «préhistoire» de Darwin. Dès la fin du 17è siècle, des naturalistes aussi célèbres que Linné, Buffon ou encore Geoffroy Saint-Hilaire avaient établi que l'homme devait se ranger dans la classe des animaux. Dans son "Systema Naturae", Linné classait déjà l'homme parmi les primates aux côtés des grands singes, sur le barreau supérieur il est vrai, de son échelle naturelle. Dans son Histoire naturelle, Buffon avait évoqué l'hypothèse d'une origine commune entre les espèces, même s'il la réfuta par la suite. En 1809, surtout, Jean-Baptiste de Monnet, chevalier de Lamarck, avait publié son traité de Philosophie zoologique dans lequel il développait l'idée que les êtres vivants avaient pu se «transformer » au cours des âges. C'était toutefois plus une intuition prophétique qu'une démonstration scientifique. Mais l'idée d'évolution était déjà dans l'air. En France, cette théorie transformiste de Lamarck fut combattue par le zoologiste Georges Cuvier, père de la paléontologie et de l'anatomie comparée, qui soutenait la théorie contraire du fixisme des espèces. En revanche, en Grande-Bretagne, le transformisme reçut un écho plus favorable. Il fut notamment défendu par un certain Erasmus Darwin, le propre grand-père du naturaliste.

Fils et petit-fils de médecin, Charles Darwin est né le 12 février 1809 à Shrewsbury, dans le comté de Shropshire, en bordure du pays de Galles. Sa mère décède alors qu'il n'a que huit ans et c'est son père qui va se charger de son éducation. Inscrit à l'école de Shrewsbury, le jeune Charles manifeste peu de goût pour les études. Il préfère de loin la chasse et la pêche. Il aime bien aussi collectionner les minéraux et les plantes. En 1825, il est envoyé à l'université d'Edimbourg pour effectuer des études de médecine. Il gardera toute sa vie "un souvenir effrayant" des cours d'anatomie et des expériences de dissection. Son père comprend que Charles ne pourra jamais être médecin. Il l'inscrit alors au Christ's college de l'université de Cambridge et lui conseille de devenir pasteur. On est en 1828. Charles Darwin n'est pas plus doué pour la théologie que pour la médecine. A Cambridge, il suit néanmoins les conférences du botaniste John Henslow qui le prend en amitié. Charles Darwin serait peut-être resté un simple notable si, en 1831, une occasion fantastique ne s'était présentée à lui. Un certain capitaine Fitzroy offrait une place de botaniste à bord du navire Beagle qui devait compléter des relevés cartographiques autour du monde. Grace à 1'influence d'Henslow, Charles Darwin va embarquer à bord du Beagle. Il a vingt-deux ans. Sa vie va basculer.

"Le voyage à bord du Beagle fut de loin l'événement le plus important de ma vie et a déterminé toute ma carrière", écrit Charles Darwin dans son autobiographie, publiée pour la première fois, en France, dans sa version intégrale en 2008 (encadré, page 40).

Pendant cinq ans, il visite les îles du Cap Vert, le Brésil, l'Argentine, le Chili. Il s'arrête aux Galapagos, rejoint Tahiti, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, puis c'est le retour vers l'Europe avec une dernière escale aux Açores. A chaque étape, Darwin multiplie les notes sur les minéraux, les plantes, les oiseaux, qu'il classe et compare. Passionné de géologie et de géomorphologie, il analyse la formation des récifs coralliens et des massifs volcaniques. L'étudiant un peu paresseux est devenu un bourreau de travail. En 1836, il commence à mettre ses cahiers au clair.

Pour Darwin, ces faits pouvaient s'expliquer par l'hypothèse que les espèces se modifiaient graduellement. Aux Galapagos, le naturaliste avait également identifié plusieurs espèces de pinsons, dont chacune possédait un bec différent adapté à un type particulier de nourriture : graines, noix, insectes... Chaque espèce correspondait par ailleurs à une des îles de l'archipel. A ses yeux, la conclusion était évidente : les becs des pinsons s'étaient modifiés pour s'adapter à leur milieu naturel. Ces « pinsons de Darwin » allaient contribuer à asseoir la théorie dite de l'évolution : les espèces ont évolué au cours des temps à partir d'un ancêtre commun. La lutte pour la survie – struggle for life – a qualifié les mieux adaptés et a éliminé les plus faibles. La sélection naturelle est le moteur principal de cette évolution.

Cette théorie, Charles Darwin va mettre toutefois plus de vingt ans avant de la publier. Et encore ne va-t-il le faire que parce qu'il est soudainement mis sous pression.

En 1858, Darwin a reçu d'un certain Alfred Russel Wallace un livre intitulé "Sur la tendance des variétés à s'écarter indéfiniment du type original". Il découvre alors avec un mélange d'effroi et de consternation que cet ouvrage développe exactement la même théorie que la sienne. Il lui faut accélérer la sortie de son livre sous peine de se faire «voler la vedette » par Wallace. C'est chose faite le 24 novembre 1859. Sous le titre De l'origine des espèces par voie de sélection naturelle, Darwin y expose le fruit de ses travaux. Le premier tirage est de 1250 exemplaires. Il est épuisé le jour même. Une deuxième édition sort le 7 janvier 1860. Elle sera suivie de quatre autres éditions.

En dépit de l'hostilité de l'Eglise anglicane, la communauté scientifique britannique a plutôt bien accueilli le livre. Mais le naturaliste n'a jamais pensé que sa théorie avait résolu une fois pour toutes l'énigme des origines de la vie et des espèces: "Vivrais-je vingt années de plus, et serais-je en état de travailler, comme je modifierais l'Origine et comme mes idées sur chaque point seraient différentes! Mais après tout, c'est un début, et c'est déjà quelque chose", écrit-il en 1869 à son ami le naturaliste Hooker.

En 1871, dans la Filiation de l'homme (the descent of man", Darwin ajoutera la notion de sélection sexuelle à celle de sélection naturelle. Par sélection sexuelle, il entendait la compétition entre les mâles pour séduire les femelles et la préférence des femelles pour les mâles les plus forts, censés être les meilleurs reproducteurs. Le texte ne dit pas cela mais préférence pour les mâles les plus doués et c'est réciproque. Il écrivit encore par la suite quelques livres sur les plantes grimpantes et carnivores, puis il s'éteignit, le 19 avril 1882, dans sa propriété du Kent, à l'âge de soixante-treize ans. Son corps repose à l'abbaye de Westminster.

La théorie darwinienne de l'évolution comporte en fait deux parties.

  1. L'une est le discours sur l'origine de notre espèce et son appartenance au règne animal (phylogénie).
  2. L'autre concerne la théorie de sélection naturelle et les mécanismes par lesquels elle agit.

"Ce qui agaçait le plus les opposants à Darwin, c'était son discours sur la phylogénie de notre espèce. Ils ne pouvaient apprécier que nous ne soyons qu'une branche parmi d'autres sur l'arbre de l'évolution ; et ils appréciaient encore moins d'avoir des babouins parmi leurs relations de famille. Voir ici. Or, en principe, au moins, il peut s'avérer que des babouins se trouvent effectivement dans notre arbre généalogique, mais que ce ne soit pas la sélection naturelle qui les y ait placés", remarque Jerry A. Fodor, professeur de philosophie à l'université Rutgers (New Jersey) dans la revue Le Débat (numéro 152, novembre-décembre 2008).

En dehors de quelques milieux fondamentalistes de la Bible, les grandes lignes du récit darwinien sur notre phylogénie sont aujourd'hui acceptées. Le Vatican lui-même a admis en 1996 que la "théorie de l'évolution était plus qu'une hypothèse". En revanche, les mécanismes de la sélection naturelle, tels que Darwin les présentait, ont plus de mal à passer auprès de certains biologistes et paléontologues (lire article suivant).

Pour Darwin, la sélection naturelle était une adaptation des espèces aux exigences de la situation écologique (la contrainte du milieu naturel). Les connaissances de l'époque ne lui permettaient pas, toutefois, de comprendre les variations des caractères biologiques qu'il constatait entre les espèces. La génétique lui a manqué. La découverte des lois de l'hérédité par Mendel en 1865 ne devait pas, en effet, trouver d'écho dans la communauté scientifique avant 1900. Aussi Darwin n'a jamais admis – et pour cause – que les variations qu'il observait puissent être le fait de mutations génétiques. On sait aujourd'hui que l'hérédité est transmise par les gènes qui peuvent varier par mutation. En tout état de cause, ce qui est sélectionné, ce sont les gènes et non les caractères apparents des espèces. L'environnement, disent encore certains biologistes darwiniens, peut agir sur les caractères biologiques par l'intermédiaire de ses effets sur les gènes. Mais à l'évidence, l'environnement n'explique pas tout.

Jusqu'à une date récente, la plupart des paléontologues défendaient la thèse que l'homme avait acquis la bipédie – un des caractères humains essentiels - pour s'adapter à la savane. Cette station verticale aurait par la suite permis le développement de plusieurs autres traits humains: accroissement du cerveau, transformation du bassin chez les femelles et libération de la main. Ces "caractères acquis avantageux" auraient ensuite été transmis à plusieurs espèces, dont Homo.Sapiens, c'est-à-dire nous. Tout cela collait parfaitement avec la théorie darwinienne de l'adaptation au milieu.

En 2000, puis en 2001, plusieurs découvertes paléontologiques au Kenya et au Tchad ont mis au jour des fossiles d'hominidés vieux d'environ six millions d'années. Ces hominidés étaient déjà bipèdes et vivaient en milieu forestier (à l'époque, le Tchad était couvert de forêts). Autrement dit, ce n'est pas le milieu naturel – la savane– qui a fait l'homme, mais l'homme – déjà bipède – qui est sorti de la niche écologique – la forêt – qu'il partageait avec les singes, pour aller coloniser la savane. Selon la paléontologue Anne Dambricourt-Malassé, "l'homme existerait, dès le départ, avec son équilibre locomoteur bipède inéluctable parce que c'est une conséquence de son architecture squelettique acquise dès l'embryon". Le moteur de l'évolution ne serait donc pas à l'extérieur de nous, mais à l'intérieur. L'évolution de l'homme obéirait ainsi à une "contrainte interne" qui nous entraînerait vers une humanité toujours plus complexe.

Darwin croyait également que l'évolution conduisait vers des espèces de plus en plus complexes, donc de plus en plus fortes. Cet idéal de progrès continu et de course vers une meilleure adaptation est également aujourd'hui battu en brèche. Dans son livre, La vie est belle. Les surprises de l'évolution (le Seuil, 1991), le paléontologue américain Stephen Jay Gould (1941-2002) – peu suspect par ailleurs d'antidarwinisme (car il en est un)– a démontré que l'histoire de la vie ne ressemblait pas à cette montée régulière de l'excellence, de la complexité et de la diversité, comme le racontait (pensait) Darwin.

Selon les paléontologues, les débuts de la vie (animaux unicellulaires) remontent à 3,7 milliards d'années. Il a fallu attendre la période du cambrien (570 millions d'années) pour qu'apparaissent les premiers animaux multicellulaires modernes. Les paléontologues parlent d'explosion du cambrienne. Cette explosion marquerait l'apparition de tous les grands groupes d'animaux modernes à partir d'organismes marins complexes. Deux énigmes obsédaient déjà Darwin. Pourquoi la vie multicellulaire était-elle apparue si tard, par rapport aux origines de la terre et de la vie? Pourquoi les organismes relativement complexes du cambrien n'avaient-ils pas de précurseurs directs et simples dans les archives fossiles du précambrien? Il y avait là comme un hiatus.

Les paléontologues estiment aujourd'hui que cinq grandes extinctions ont eu lieu au cours des dernières cinq cents millions d'années. Selon les périodes, ces cataclysmes auraient provoqué la disparition de 65 à 90% des espèces vivantes! La dernière grande extinction est la plus connue. Elle remonte à soixante cinq millions d'années. Elle a entraîné notamment la disparition des dinosaures et de plus de 60% des espèces, à la suite probablement de la chute d'un astéroïde dans le golfe du Mexique et d'importantes coulées de laves en Inde. Pourquoi certaines espèces ont-elles survécu et pas d'autres? Les survivants possédaient-ils un avantage? A partir notamment de l'examen des fossiles des schistes de Burgess en Colombie britannique, Gould a pu établir que les organismes qui s'étaient définitivement éteints n'étaient pas moins divers, ni moins complexes que ceux qui étaient "passés à travers les catastrophes". Les "survivants" auraient simplement eu plus de chance que les autres. Autrement dit, la clé de 1'évolution serait cette fois le hasard!

"On ne peut pas prouver que la sélection a fonctionné comme une loterie, mais on n'a pas plus de preuves que les gagnants disposaient d'une supériorité adaptative sur les perdants", écrit Stephen Gould. Scientifiquement, c'est peut-être un peu décevant. Mais cela a au moins le mérite de laisser la porte ouverte à toutes les espérances.


Mis en ligne le 19/01/2009 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://paysdefayence.blogspot.com et http://pratclif.com