Préserver les terres agricoles
thème des 6è journées EcoBio le 11 juin 2011

Lors des journées Écobio 2011, une conférence débat sur le thème "préserver les terres agricoles" s'est déroulée samedi 11 juin - à l'initiative du "comité d'initiatives citoyennes" du pays de Fayence. Ce fut un événement exceptionnel tant par la qualité des intervenants que par les nombreuses questions des participants au nombre d'une centaine. Ce thème suscite aujourd'hui un intérêt croissant dans la population de tous horizons et dans de multiples associations qui militent auprès des élus à tous niveaux pour protéger les espaces naturels agricoles et forestiers contre l'urbanisation et l'artificialisation des sols. Les participants étaient accueillis par Camille Bouge maire de Tourrettes qui a affirmé que Tourrettes voulait préserver le caractère agricole de la plaine de Fayence depuis le carrefour de Tireboeuf jusqu'au centre de vol à voile. Les intervenants étaient: André Aschieri maire de Mouans Sartoux en raison de son action concrète en faveur de l'agriculture locale et de l'achat par sa commune d'un terrain agricole, Michel Ruby pour l'association "Terres fertiles" active sur la côte, ? pour la SAFER PACA, Pierre Fabre pour l'association "Terre de liens". L'événement était animé par Hélène Asso et Eric Bourlier agriculteurs de Callian. Ce qui suit donne un éclairage complémentaire sur le sujet à partir de divers documents trouvés sur Internet. Les commentaires sont bienvenus à la fin du texte.

Après notre état de chasseurs cueilleurs qui a duré près de 90000 ans, la grande révolution technologique fut la sédentarisation et l'agriculture par la domestication des plantes et l'élevage des animaux domesticables - bovins, ovins, caprins, porcins et volailles. L'agriculture constitue ainsi la première des activités d'Homo.sapiens - l'homme moderne. Commencée il y a seulement 10000 ans, l'agriculture est l'activité humaine qui durera toujours car nous devons manger au moins deux fois par jour et si possible, une nourriture de qualité, pour vivre longtemps et en bonne santé, car c'est le désir de tous les humains. L'état de chasseurs cueilleurs continue sous la forme de la pêche car les poissons domesticables sont peu nombreux et le ratio de la nourriture qu'il faut leur donner à la chair qu'on en obtient est plus élevé que pour les animaux d'élevage.

La production agricole dépend des terres cultivables disponibles, en quantité et en qualité des sols, de l'eau et de la possibilité d'irriguer les cultures, de l'ensoleillement, de la température et de leur cycle saisonnier annuel. C'est de la combinaison favorable de ces facteurs, que dépend l'agriculture partout et depuis toujours, pour la production de nourriture.

La formidable croissance économique de la production et de la productivité dans tous les domaines d'activité, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, en France, dans les pays développés et dans le monde entier notamment au cours des trente dernières années, a bouleversé en bien notre mode de vie; cela s'est déroulé en l'espace de trois générations de 1945 à ce jour. L'agriculture n'a pas échappé au mouvement général du progrès. Huit millions d'agriculteurs en 1945 et 10% de la population active de l'époque avaient peine à nourrir 40 millions de français. La situation est profondément changée en 2010 avec 600 000 agriculteurs et 3% de la population active, nourrissent plus de 60 millions d'habitants de métropole qui mangent toujours trois fois par jour et une nourriture de meilleure qualité. Cette croissance formidable de la production et de la productivité agricoles, sans précédent dans l'histoire de l'humanité, a été permise par la mécanisation, l'irrigation, les engrais, les pesticides, l'organisation des filières agricoles sans oublier la politique agricole commune de l'Europe. Ainsi, l'agriculture a bénéficié de la croissance économique des trente glorieuses, de la création de l'Europe et de la politique agricole commune (PAC) dont le but était d'assurer l'autosuffisance et l'indépendance alimentaires après deux guerres mondiales séparées par la grande crise économique des années 1930.

En même temps l'agriculture et l'élevage se sont spécialisés et sont devenus des activités économiques à part entière. Grâce aux transports permis par le pétrole et au développement des infrastructures routières et ferroviaires, les produits agricoles des régions dotées de facteurs de production les plus favorables, sont distribués loin de leurs lieux de production. Les grands marchés nationaux et régionaux ainsi que la grande distribution sont les débouchés de l'agriculture d'aujourd'hui. Tout cela a permis de lisser les variations géographiques, climatiques et saisonnières des facteurs de production et de donner aux agriculteurs européens en général, les marchés de consommateurs nécessaires pour que leur activité leur procure des revenus en adéquation avec leur époque. En plus, les transports aériens mettent des produits agricoles des producteurs de l'hémisphère sud à la disposition des consommateurs de l'hémisphère nord, ce qui contribue à réduire encore l'importance du cycle saisonnier, car la production agricole se concentre dans les bandes tempérées, de part et d'autre de l'équateur.

Il y a en France des grandes régions d'agriculture intensive traditionnelle qui se sont spécialisées dans les cultures de céréales, de la betterave sucrière - la Picardie, la Champagne, le bassin Parisien, la Beauce... C'est là que les progrès évoqués plus haut ont été les plus spectaculaires, avec l'organisation par grandes coopératives et l'orientation à l'export. Le blé, base du pain et des pâtes alimentaires, reste un des aliments essentiels de notre société et assure une base de la nourriture tout au long de l'année. Il en est de même des grandes régions vivrières spécialisées en fruits et légumes ainsi que des régions viticoles. Mais en même temps, des régions rurales autrefois isolées des grands axes de circulation, ont vu leurs activités agricoles décliner. Plus encore dans certaines régions, l'espace naturel - agricole et forestier - est entré en concurrence avec les besoins de résidences principales et secondaires des citadins et des retraités à la recherche d'habitats et de loisirs à la campagne, au vert et au calme. Les propriétaires fonciers et les maires de communes souvent situées à la périphérie d'agglomérations urbaines, ont ainsi connu l'aubaine d'un enrichissement réel et potentiel, lié à une demande d'espace toujours en avance sur l'offre. Ce mouvement a entraîné une artificialisation croissante des sols au détriment des surfaces naturelles agricoles et forestières souvent les plus fertiles et productives.

Le canton de Fayence connaît ce processus depuis maintenant plus de 20 ans ce qu'explique remarquablement André Thévenot, président de la fédération nationale des SAFER (FNSAFER) dans cet article (lien) publié dans le blog Res-Publica. Datant de 2006, cette intervention reste d'une remarquable actualité. Pour rappel, on trouvera dans les liens le manifeste de la SAFER "la fin des paysages". La prise de conscience des méfaits de ce déséquilibre entre espaces naturels agricoles et forestiers et espaces urbanisés, a commencé au début des années 2000. Cela a conduit à la modification du code de l'urbanisme, à la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), aux plans locaux d'urbanisme PLU et aux SCOT ainsi qu'à la pression des autorités pour mettre fin au mitage et densifier les zones habitées. En même temps une partie des habitants aspirent à d'autres formes de consommation avec des produits locaux de qualité et une plus grande solidarité inter professionnelle et générationnelle. C'est cela qu'ÉcoBio entend diffuser.

Dans ce contexte, comment préserver nos espaces agricoles locaux, notamment la plaine de Fayence et les espaces à vocation agricole et forestières des plateaux? Les producteurs ont besoin d'un marché, des clients - grande distribution, commerces, collectivités et ménages - pour cela il leur faut des produits de qualité; certification ou labels... Les écoles d'agriculture forment un grand nombre de jeunes mais ceux-ci ne trouvent pas les terres à exploiter. Les systèmes de baux sont inadaptés. Les propriétaires ne sont pas tous disposés à accorder des fermages (baux de 9 ans renouvelables); souvent ils n'accordent que des baux de droit commun (3 ans renouvelables), mais le risque est d'avoir travaillé pour RIEN si le propriétaire résilie le bail. Les propriétaires espèrent que leur terrain changera de classement et deviendra constructible car le rapport de prix est de 100 à 1.

Dans les liens, je recommande notamment Bruno Parmentier directeur de l'école d'agriculture d'Angers "Nourrir l'humanité", Philippe Collomb de la FAO "Une voie étroite pour la sécurité alimentaire d'ici 2050", Hervé le Bras démographe "Vie et mort de la population mondiale", Marcel Mazoyer de l'INRA "Origines de l'agriculture" et Oliver de Sutter rapporteur spécial des Nations unies "pour le droit à l'alimentation" au sujet de la location de terres agricoles en Afrique à bail emphytéotique (99 ans) par l'Arabie Saoudite, l'Inde et la Chine et autres investisseurs privés.

Mis en ligne le 12/06/2011