L'image du paysan est généralement associée aux difficultés économiques et sociales, à l'isolement, à un mode de vie harassant. Bien au contraire, face aux crises économiques, écologiques et politiques que nous connaissons actuellement, la multiplication des petites exploitations agricoles est une solution de premier plan. Pourquoi ? Comment ? Jacques Ady, paysan bio en Rhône-Alpes, nous présente son point de vue. Les deux tiers des actifs de la planète, plus d’un milliard et demi de terriens, sont des paysans. Nous qui habitons un pays où les paysans et les paysannes ont quasiment tous disparu, passant de 7 millions en 1945 à moins de 400 000 aujourd’hui, nous ne savons pas grand-chose de ces peuples dont, à travers l’histoire de l’humanité, nous sommes pourtant tous issus. En France, la révolution industrielle a éradiqué par une longue acculturation progressive le mode de vie paysan. En lieu et en place des paysans nous connaissons désormais les “agriculteurs’’ ou “exploitants agricoles’’. S’ils se réclament parfois des valeurs paysannes, ils en sont généralement très éloignés. L’immense majorité d’entre eux sont devenus les petits rouages d’une gigantesque industrie agro-alimentaire dont la cupidité, le productivisme effréné, la dépendance au pétrole, aux banques, aux subventions étatiques, aux firmes chimiques et biotechnologiques insèrent chaque ferme conventionnelle dans un vaste réseau de dépendances internationales. À mes yeux, être paysan revêt une toute autre signification. Non pas une profession spécifique, mais plutôt un mode de vie dans sa globalité. Non pas l’appartenance à une classe sociale, mais le fait de se relier à un peuple avec sa culture propre. Une culture intimement liée à une nature proche de l’habitat d’où une population locale tire ses ressources. Une culture dépositaire d’un ensemble de connaissances, facilement transmissibles, parfois très sommaires mais toujours vitales, permettant de savoir vivre sur un territoire donné. Au coeur de cette culture paysanne, il y a l’autonomie. Bien qu’ils soient rarement laissés tranquilles par les pouvoirs en place — l’histoire du XXe siècle illustrant l’acharnement des gouvernements à enrôler des paysans dans les guerres et les usines —, ces derniers savent généralement se débrouiller sans être reliés et structurés par une autorité centrale. Cette autonomie paysanne, on peut la définir comme la forme d’indépendance développée et maîtrisée à l’échelle locale par les paysans grâce à leur capacité d’autosuffisance matérielle (se nourrir, se loger, s’habiller, s’outiller...) et grâce à leur capacité d’auto-organisation sociale locale (se solidariser, s’entraider, mutualiser les forces, décider ensemble...). Dans notre pays capitaliste industrialisé, nous connaissons de moins en moins les principes de l’autonomie paysanne, et lorsque nous en entendons parler, il ne nous semble pas que nous en ayons besoin. À quoi bon savoir produire sa nourriture, construire ses outils, s’entraider entre voisins ? La division et la spécialisation à outrance du travail dans une économie où presque tous les échanges sont monétarisés ont fait de l’autosuffisance un principe décalé, éculé et sans intérêt. Les entreprises nous fournissent notre nourriture, nos moyens de déplacement, nos divertissements. La sécurité sociale veille sur notre santé. Les assurances nous protègent des aléas de l’existence. Dans un tel système, l’auto-organisation sociale locale n’est plus ressentie comme nécessaire, l’administration publique centralisée et des sociétés privées se chargeant d’assurer notre intégrité individuelle et notre cohésion sociale, le plus souvent malgré nous. Si nous faisons confiance à ces superstructures qui nous font vivre et qui nous organisent, l’autonomie peut en effet paraître une préoccupation inutile, et les savoirs de la paysannerie bien archaïques. Mais si un jour nous avons l’impression d’être pris en otage par un système qui n’hésite pas à spéculer sur nos besoins les plus fondamentaux, la nourriture, le logement, la santé ou l’éducation ; si nous avons l’intime conviction que ce système nous isole, dégrade les relations humaines et nous domine en nous poussant dans les limbes du chacun pour soi ; alors intéressons- nous de près aux méthodes de l’autonomie paysanne, en tant qu’alternative pour reprendre nos vies en main. Il ne s’agit pas forcément de s’enfuir dans les campagnes profondes ou au sommet des montagnes, comme un retour à la terre aussi radical que caricatural, à la recherche d’une hypothétique pureté - même si, étant donnée la situation actuelle, on peut comprendre cette démarche. Il s’agit plutôt de chercher, comme les paysans, là où l’ont vit, là où l’on peut, une autonomie matérielle, sociale et même politique, afin de s’émanciper du style de vie que l’on nous impose actuellement et avec lequel nous ne sommes plus d’accord. Nous pouvons commencer par cultiver des petits jardins, en créant autour des collectifs d’échange et d’entraide. C’est là une bien belle façon de commencer à réveiller son coté paysan. Mais rien ne nous empêche, même si cela paraît toute une aventure, de tenter de réveiller plus franchement notre conscience paysanne. Ré-accéder à des parcelles de terre, les mettre en culture, créer son habitat, produire sa nourriture, construire patiemment un réseau social élaboré, tout cela est heureusement encore possible, ici et maintenant. Adopter le mode de vie paysan par l’agriculture, ce n’est pas rejeter notre société actuelle. C’est juste se mettre en position de la faire évoluer en changeant déjà nous-mêmes notre rapport au monde et aux autres. Pour entamer un tout début de réflexion dans cette direction, mais sans entrer directement dans les détails techniques des cultures agricoles, de l’auto-construction ou de la création de véritable réseaux sociaux, je me limiterai ici à présenter quelques informations importantes et souvent méconnues :
Toutes ces pistes constituent autant de points d'appuis vers la voie agricole. Avec de l'entraide amicale et paysanne, de la debrouillardise et de la tenacité, une mentalité décroissante économe, un soutien de citoyens "consommateurs locaux", il est tout à fait possible d'imaginer une installation paysanne très progressive, sans aucun endettement. Cela signifie qu'en quelques années, vous pouvez reussir le tour de force d'avoir crée et financé votre modeste logement, d'être capable de génerer 50% de votre nourriture, tout cela en ayant tissé des liens étroits avec les voisins interessés par vos pratiques, mais aussi avec des amis en quête d'alternatives communes. Une ferme peut devenir le point d'appui de coopératives alimentaires, de systèmes de trocs a l'echelle locale, de caisses de solidarité, de réseaux d'échanges de savoir, de potagers collectifs, de lieux de formation, de collectifs de soutien aux mouvements sociaux, de centre d'accueil de personnes en difficultés... L'éventail des possibles ne dépend que de notre imagination et de notre capacité à construire patiemment des organisations collectives solidaires et efficaces. Cela signifie qu'en quelques années, il est possible de moins dépendre de l'Etat, du salariat, de la monnaie, des entreprises et de toutes les superstructures qui, sous couvert d'exister pour nous, agissent la plupart du temps contre nous. Face aux crises économiques, écologiques et politiques que nous connaissons actuellement, renforcer notre autonomie paysanne me semble l'une des principales urgences des années a venir, une urgence raisonnable et possible. |
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