Désindustrialisation, délocalisations; pour une politique industrielle.

Cet article m'est inspiré par ce graphique publié dans Alternatives économiques de février 2010 et cet article de Lean-Louis Levet. Le graphique interpelle parce qu'il suggère la désindustrialisation de la France depuis 1980 en 3 décennies; une désindustrialisation que l'on associe aux évènements récents comme Caterpillar, Continental, 3M, Total; mais aussi les disparitions des industries textiles - Boussac, DMC, Albert Frères, chaussures et gants... de la machine outil, des Charbonnages, mines de fer de Lorraine, mines de potasse, de Metal Europe ex Pennaroya, Tréfimétaux à Lens (étirage du cuivre), de Péchiney, d'Eternit, de Moulinex, de la restructuration de la Sidérurgie, des délocalisations notamment de l'automobile, etc. etc. Ça fait beaucoup!

L'article évoque la désindustrialisation et la nécessité d'agir renforcée par la crise financière économique et sociale depuis 2007 - pôles de compétitivité, Grand Emprunt, Etats généraux de l'industrie: "La France a connu une désindustrialisation rapide, un mouvement plus accentué que dans beaucoup d'autres pays comparables. Les importantes pertes d'emplois industriels (- 27% depuis 1990) ont provoqué une baisse de la diversité des emplois; avec moins de diversité des emplois, les emplois peu qualifiés et moins bien rémunérés se sont développés. Depuis 1995, la France perd constamment des parts de marché et sa balance commerciale est déficitaire (75 G€ en 2011). Au bout du compte, on constate que cette perte de substance industrielle menace la prospérité du pays du fait de ses effets induits sur le reste des activités donc les emplois."

Des mutations suivies de déclin voire de cessations de certaines activités industrielles sont une certitude, comme la fin des charbonnages, la restructuration de la sidérurgie, la fin de l'amiante (Eternit) dans les secteurs du bâtiment et de la construction, la mutation des industries textiles; et aujourd'hui les délocalisations et les mutations dans l'automobile. Ces mutations sont constantes et imposent à toute époque des adaptations des industriels pour sauvegarder autant que possible leur capital productif, continuer d'exercer leur savoir faire, brefv poursuivre l'activité, maintenir production, consommation et emplois. Mais plusieurs autres éléments interviennent dans le diagnostic et le débat: ce sont:

  • la tendance à la tertiarisation: confier des services internes de l'entreprise à des sociétés de services extérieures dans le cadre d'une nouvelle division du travail - plutôt qu'une intégration verticale.
  • la poursuite de gains de productivité en utilisant les techniques nouvelles, l'organisation et la gestion, les ordinateurs et les communications dans le cadre de la mondialisation et d'une nouvelle division internationale du travail.
  • les changements de produits et de services offerts aux consommateurs comme les produits et services informatiques et de communication.

Commençons par examiner les statistiques que l'INSEE nous offre sur la production industrielle. La situation est représentée ici pour les 2 périodes 1980-1990 et 1990-2003 (lien). Ils montrent que durant cette période la désindustrialisation a été modérée, tant en pertes d'emplois, qu'en part relative de l'industrie dans la production en valeur et en volume. Mais alors comment comprendre la fréquence et l'intensité des évènements qui ont marqué ces 3 décennies et qui sont une dure réalité pour tous ceux, patrons et salariés que cette évolution touche. Parce que les statistiques indiquent bien que le phénomène est relatif, il vaudrait alors mieux parler de mutations industrielles que de désindustrialisation; et cela relève alors d'une politique d’accompagnement et d'aménagement du territoire. La DATAR dans son rapport de 2004 et le CAE dans celui de 2005 préconisent de promouvoir la création et le renforcement de pôles de compétitivité regroupant les entreprises, les réseaux technologiques conjuguant la recherche publique et privée ainsi que les établissements d’enseignement et de recherche.

J'ai commencé à travailler à la fin des années 1950 dans une France qui se relevait de la 2è guerre mondiale. Une guerre mondiale commencée en 1939 après une période d'entre deux guerres 1918-1939 où l'on connut la grande crise économique de 1929. Après la guerre qui avait dévasté la France, il a fallu reconstruire puis l'essor économique a commencé avec une formidable croissance du niveau de vie et de bien-être. Cette essor a vu la modernisation des industries du pays, l'application de nouvelles technologies, l'emploi de nouvelles méthodes d'organisation et de gestion. C'est ainsi que la production de biens de consommation, de l'électro-ménager, de l'automobile, de biens intermédiaires pour tous les produits industriels, a été multipliée par 5 durant 30 ans de 1945 à 1975, une période qu'on a appelée "les trente glorieuses". Charbonnages, Sidérurgie, production d'énergie, chimie et pétrochimie, infrastructures routières et ferroviaires, aérodromes et transports aériens, infrastructures portuaires, téléphone et télécommunications, construction, automobile, équipements électro-ménagers, etc.... tout cela a donné aux français qui avaient vécu la guerre 14-18, la période d'entre deux guerres, la guerre 39-45, et à ceux de ma génération, un formidable accroissement de bien-être. Il n'y avait pas de problèmes d'emploi; pas de chômage; l'industrie manquait de main d'oeuvre et on pratiquait une politique d'immigration - aux polonais d'avant guerre s'ajoutaient les italiens, portugais et espagnols; puis les algériens et les marocains.

La croissance des emplois industriels liés à cette évolution d'après guerre apparaît bien sur ce graphique qui représente les emplois en France dans l'industrie de 1945 à 2009. Au cours des "trente glorieuses" on a reconstruit un pays dévasté et on a développé le pays. On a construit une sidérurgie intégrée à Dunkerque puis à Fos sur Mer utilisant des minerais importés, des plateformes pétrolières pour la production de pétrole et de gaz, des routes et autoroutes dans toute la France, des réseaux téléphoniques... toutes les entreprises travaillaient pour fournir à ce processus de développement, les produits et les services nécessaires, par exemple les services d'ingéniérie.

A partir de 1975, et après la première crise du pétrole et l'embargo de 1973, les emplois industriels ont commencé à décliner. Le graphique montre que depuis 30 ans, les emplois industriels déclinent. Voir la partie du graphique de 1975 à 2009. On notera que les emplois agro-alimentaires sont restés stables - car les besoins d'alimentation sont inélastiques. Ce sont les emplois pour la production de biens de consommation et de biens intermédiaires qui ont le plus décliné relativement. La croissance de la productivité par l'emploi de techniques nouvelles ainsi que des techniques d'organisation de gestion et de l'informatique et des communications explique en partie ce déclin, car on peut produire autant voire plus et mieux, avec moins de ressources y compris de main d'oeuvre.

Une première explication de la baisse relative des emplois industriels dans l'emploi total est l'externalisation de services que les entreprises assuraient elles-mêmes. Autre fois, les Charbonnages et la sidérurgie assuraient tous les services de manière autonome - entretien des équipements, réseaux téléphoniques internes, gardiennage et sécurité, santé et même assurances... Ces services ont été sous traités à des sociétés des services externes - comme de nettoyage des bureaux. C'est un mouvement spécialisation, de tertiairisation et d'accroissement de la diversité des emplois par un développement du tissus industriel. Au total on attribue 20-25% de la baisse des emplois industriels à l'externalisation des services.

Une deuxième explication est dans la hausse de la productivité globale intervenue durant la période; les hausses de productivité peuvent se traduire par plus de production ou par la même production avec moins de personnel. C'est le deuxième cas qui semble avoir été déterminant.

La troisème explication est dans la mondialisation; le déplacement de la production dans les pays à bas coûts de main d'oeuvre, de protection sociale et environnementale, sont une autre cause avancée pour la désindustrialisation, particulièrement relayée par les média dans l'opinion publique, notamment lors d'évènements d'opposition aux fermetures et restructurations de sites industriels. Si la globalisation des échanges a apporté de réels avantages à tous en matière de disponibilité de produits de consommation et de baisses de prix, comme en matière de possibilités d'exporter les produits par nos industries, l’ensemble de notre secteur productif subit l'inconvénient d'être confronté aux grands pays émergents (Chine, Inde, Brésil...), où prévaleront pour des années encore, des bas coûts de main d'oeuvre, une protection sociale et des contraintes environnementales faibles. Sauf à rétablir du protectionisme - ce qui ne peut se faire de manière uni-latérale, notre système de production/consommation n’évitera pas des destructions d’emplois face à ces grands pays émergents. Il faut donc que notre industrie tente d’y faire face en créant d'autres emplois, en conservant de l’avance technologique grâce à l’innovation, la R&D et les TIC, l’amélioration des qualifications, et des efforts intensifiés de formation initiale et continue de notre population active. C'est le but de la création des pôles de compétitivité (71 à ce jour) en certaines parties du territoire où des compétences spécifiques et historiques existent, où le degré d'urbanisation le permettent ainsi que les infrastructures collectives - transports, réseaux et systèmes éducatif et de santé. On trouvera ci-après des extraits significatifs du rapport du Conseil d'Analyse Économique de 2005 (CAE) sur "Désindustrialisation et délocalisations".

Voir ces deux articlers qui résumént bien la question:

Les indicateurs économiques de la situation sont la balance commerciale et la balance des paiements, cette dernière est établie par la Banque de France et inclue la première (voir "La balance des paiements et la position extérieure de la France en 2010"). C'est la balance commerciale cad. le solde des exportations et des importations qui est la principale faiblesse de la France, ce qui traduit un manque de compétitivité par rapport aux pays concurrents sur les marchés mondiaux en développement rapide. Les pays émergents se développent et s'équipent comme nous l'avons fait durant les 30 glorieuses; ce sont les pays développés qui sont en mesure de leur fournir les équipements dont ils ont besoin. À cet égard la comparaison de la situation de la France avec l'Allemagne est significative (Commerce extérieur, balance commerciale). Enfin, dans la balance commerciale (biens), il faut tenir compte de la structure des échanges, quels biens et avec quels pays se font les échanges (INSEE Taux de couverture par groupe de produits).


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Mis à jour le 23/01/2012