À propos d'un article d'Atlantico sur Florange

Je lis cet article d'Atlantico questions-réponses à 4 "experts" sur la situation de Florange "Florange : et maintenant, de quels moyens de pression le gouvernement dispose-t-il pour faire appliquer son accord avec Mittal?" [lien]

Ces 4 "experts" manquent d'éléments techniques essentiels pour comprendre et commenter de façon réaliste la situation. Après Gandrange, Florange est depuis 2011 un problème politique et social vu l'évolution cad. le déclin de la sidérurgie française depuis 30 ans. Mais c'est d'abord un problème industriel, Mittal ou pas Mittal. Les commentateurs, dont ces 4 "experts", se focalisent sur les hauts-fourneaux, jamais sur l'aciérie... et peu sur l'unité de laminage ex-Sollac, un des plus beaux outils de production que nos sidérurgistes aient conçus. Cette usine n'a pas de problèmes de débouchés; elle produit des produits de haute qualité pour l'industrie automobile, le secteur de la construction et des emballages métalliques que les consommateurs achètent; et tout porte à penser que ce sera le cas dans le futur prévisible, notamment avec le produit nouveau Usibor pour l'industrie automobile [lien].

Cette usine est un ensemble de trains de laminoirs successifs. En commençant à partir d'une brame d'acier produite par l'aciérie - un parallélépipède de 25cm d'épaisseur, 70cm de largeur et 10m de longueur (13.65 tonnes), L'usine de Florange produit des tôles de plus en plus fines.

De chaque train de laminoirs sort un produit qui peut être soit vendu à un client qui poursuivra lui-même le processus de laminage vers des produits plus minces, ou servir d'entrée à un autre train de laminoirs de l'usine qui continuera le processus d'amincissement jusqu'aux épaisseurs millimètriques. Ces trains de laminage peuvent inclure des procédés de traitement thermique pour en améliorer la qualité métallurgique et de revêtement, par galvanisation (zinc), étamage (étain), ou autres.

Le premier train de laminage est un train à chaud, cad. que les brames doivent être chauffées. Le laminage à chaud commence vers 1100°c et se termine à plus de 700°c. La température procure la malléabilité de l'acier et détermine l'effort à fournir pour le laminage. La capacité de l'usine est celle de son train à chaud; à Florange elle est de 3.2Mt/an.

Or l'aciérie alimentée par la fonte des 2 hauts-fourneaux de Florange n'a qu'une capacité de 2.4Mt/an de brames fixée par la capacité de production de la coulée continue. Pour que l'usine de laminage fonctionne à sa capacité nominale, il manque donc 0.8Mt qu'il faut faire venir d'autres usines du groupe, dont Dunkerque aujourd'hui - autrefois c'était d'autres aciéries de Lorraine.

Sur l'ensemble de la sidérurgie, Mittal ou pas Mittal, la production d'acier brut est excédentaire car les besoins des usines de transformation de l'acier en produits finis ont diminué de 25-30% à cause de la crise mais aussi de la diminution de consommation d'acier liée à l'innovation et à la qualité des produits; mais ce n'est pas le cas de Florange.

Lors de la conception d'ensembles sidérurgiques, les ingénieurs déterminent les capacités des différentes unités - hauts-fourneaux, aciéries, et usines de transformation - pour être équilibrées; dans cette conception, la situation du marché entre en jeu, la demande de produits sidérurgiques par produits et secteurs et les prévisions d'évolution, tous éléments incertains de l'avenir qui peuvent se révéler faux. Il est évident qu'un tel équilibre ne peut pas être inscrit dans le marbre et les industriels doivent s'adapter en permanence. C'est ce problème auquel nous sommes confrontés à nouveau aujourd'hui, comme lors des crises passées de la sidérurgie française. Empêcher les industriels de s'adapter par des postures politiques et sociales exacerbées ne résoudra pas le problème.

Quant au projet ULCOS, il est aussi très mal compris par la presse [lien], car il n'y pas que le choix du site et le financement européen en cause. Ce projet ne peut fonctionner que si l'ensemble hauts-fourneaux et aciérie fonctionnent cad. les 2HF, l'aciérie et sa coulée continue pour leur capacité de 2.4 Mt/an de brames. Il faut donc maintenir les 2HF et l'aciérie en état. Car ce serait économiquement impossible de faire fonctionner l'aciérie à moitié de sa capacité. Imagine-t-on un projet ULCOS faisant fonctionner un seul HF pour faire seulement un essai industriel de la captation-sequestration du CO2? Par conséquent le projet ULCOS ne résoud rien... il transfère seulement vers Bruxelles le dilemme industriel de Florange, Mittal ou pas Mittal.

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Mis en ligne le 04/12/2012