Programme du parti socialiste

François de Closets Journaliste et écrivain; Figaro magazine 17 juin 2006

Le programme, c'est la plaie de la politique. I1 assure la mauvaise gouvernance et la sanction électorale.

Le Parti socialiste s'est doté d'un "programme". A quelle fin? Le premier secrétaire l'a proclamé haut et fort : « Ce programme engage les candidats. Ce n'est pas un projet sur lequel on pourra prendre des libertés. » Comprenez qu'il doit moins unir le parti que ligoter le futur Président issu de ses rangs.

Ainsi, pour briser la chevauchée de Ségolène Royal et rétablir la glorieuse incertitude du sport, les éléphants du PS n'ont rien trouvé de mieux que la vieille recette du turf : coller un handicap au crack afin de redonner leurs chances à ses adversaires. Rien qu'une manoeuvre politicienne, mais qui, à terme, pourrait remettre en selle la IV' République et le régime des partis.

Qu'une formation politique s'interroge sur l'action qu'elle entend mener, c'est bien naturel. Qu'elle dresse des années à l'avance un catalogue de mesures, c'est bien imprudent. Qu'elle fasse de la loi du parti celle du Président, c'est dangereux. La France n'a rien à gagner dans ce coup de force politicien.

Tout le monde voit le piège tendu à Mme Royal. Depuis des mois, ces messieurs du Parti socialiste regardent avec consternation la naïveté populaire céder aux charmes du ségolisme. Dans un premier temps, ils ont dénoncé la tricherie d'une candidate qui "la joue perso" et, dédaignant la panoplie du socialiste en campagne, fait don de sa personne à des foules captivées. Ils pensaient même avoir trouvé l'argument qui tue en dénonçant son absence de programme.

Pas de programme, pas d'idées, les hiérarques du PS se faisaient fort de crever cette bulle médiatique à la première confrontation. Et voilà bien la surprise, la mauvaise surprise, les Français semblaient intéressés plus que déçus par ce flou programmatique. Plutôt que de s'en tenir aux engagements référencés, Ségolène pique des idées par-ci par-là, à droite à gauche, et cette confusion des genres, loin de scandaliser, étonne et séduit. Inutile donc de souligner qu'elle ne présente pas un vrai programme gravé en langue de bois socialiste, c'est cela précisément sa marque de fabrique. Celle qui fait vendre.

Qu'à cela ne tienne ! Puisque la dame prétend s'affranchir des programmes, on va lui en imposer un et des plus écrasants, celui du PS. Transformée en femme-sandwich, affublée d'un énorme panneau d'affichage, le chevau-léger Royal perdra sa singularité. La suite de la campagne pour l'investiture ne devrait plus être qu'une comédie. Les candidats, transformés en acteurs, débiteraient le texte sacré de meeting en meeting. Pour terminer, ils se retrouveraient tous réunis dans un choeur psalmodiant les litanies socialistes avec tirage au sort du vainqueur à l'issue de la cérémonie. Un rêve d'apparatchik ! Le programme élaboré par le Parti socialiste est-il bon, est-il mauvais ? Les propositions de Ségolène Royal sont-elles pertinentes ? Je laisse aux spécialistes la charge d'en débattre. Il existe pour moi une question préjudicielle. Faut-il que le futur Président, de quelque horizon politique qu'il vienne, ne soit que l'exécutant d'un programme partisan ?

Un instant reportons-nous en 1958. La France se trouvait confrontée à la tragédie algérienne mais aussi, on l'a parfois oublié, à une grave crise financière. L'impotente IV' République gérait les affaires courantes mais était incapable de relever ces deux défis. Le général de Gaulle ne put en venir à bout qu'en changeant de République. Quel était donc son programme lorsqu'il revint au pouvoir en mai 1958 ? Bien malin qui aurait pu le dire. Le chef de la France libre affirmait des convictions, fixait des objectifs, rien de plus. Pour le reste, qui vivra verra. De fait, le général n'a cessé de surprendre la population par ses initiatives et, s'il excellait à inscrire son action dans une grande pensée, il savait aussi improviser des solutions dans une démarche toute empirique. Il put le faire précisément parce qu'il avait gardé les mains libres. S'il avait dû appliquer le programme d'un quelconque RPF, il aurait évidemment échoué.

Pourquoi rappeler cet épisode ? Parce que la Vè République court à la catastrophe financière. Pour plus d'informations, se reporter au rapport Pébereau publié à la fin de l'année dernière et jamais contesté. Il suffit de confronter ce document au programme socialiste pour voir qu'en aucun cas une politique préfabriquée dans les instances partisanes ne pourra faire face à une crise majeure.

Le programme d'un parti n'est pas, ne peut pas être, le programme de la France. Il reflète les luttes d'influences internes, les soucis électoralistes et fort peu la situation réelle du pays. Chaque disposition résulte d'alliances et d'arbitrages entre les ambitions des uns et des autres. Il en résulte, au mieux, une machine à gagner les élections.

Dans la V° République, le chef de l'Etat n'est pas, ne peut pas être, un chef de parti. Il se présente seul aux suffrages des Français. Certaines formations le soutiennent, d'autres le combattent, mais c'est lui qui sera élu, pas le parti dont il peut être issu. Ayant reçu le sacre du suffrage universel, il n'a pas à suivre sa majorité parlementaire mais à l'entraîner.

Cette suprématie va de soi lorsque le candidat, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, dispose d'un parti à sa dévotion. Mais aucun leader du PS n'occupera jamais une telle position dominante. Et ce n'est pas plus mal. Pour autant que le rapport des forces ne s'inverse pas, que ce ne soit pas le Président, corseté par un programme, qui soit à la dévotion du parti. Imagine-t-on cela ? Le chef de l'Etat devant rendre compte semaine après semaine de sa fidélité aux engagements socialistes ? Devant appliquer les solutions préfabriquées aux situations nouvelles et imprévues ?

Depuis trente ans, les majorités arrivent au pouvoir avec une plateforme électorale en guise de politique. Elles entreprennent de l'appliquer de façon précipitée, doctrinaire et mécanique. L'échec est conforme aux espérances de l'opposition. Elles doivent alors changer de politique. C'est le tournant socialiste de 1983 corrigeant les aberrations du programme commun de 1981. Le bon peuple dit alors que « la gauche fait la politique de la droite et réciproquement ». On peut même ajouter qu'elle la fait mieux. Car le changement correspond toujours à un passage du dogmatisme au pragmatisme.

Ainsi, un candidat à la présidence de la République, quel qu'il soit, ne saurait-il recevoir un mandat impératif et programmatique d'un parti. Jamais plus que des incitations, des propositions et des suggestions qui laissent au chef de l'Etat l'autorité et la liberté indispensables à sa charge. Qu'il s'agisse de Nicolas, de Ségolène, de Dominique ou de Jack, la règle est la même.

La sacralisation du « programme pour Ségolène » n'intervient pas par hasard. Le financement public des campagnes confère aux partis un véritable droit de contrôle sur la vie politique. Faute d'en passer par eux, les candidats ne disposent plus des moyens matériels pour se présenter. D'où la tentation de les faire passer sous les fourches Caudines, d'en faire les simples exécutants des appareils. Fort heureusement, dans ce poker menteur, tous les coups sont permis et les engagements d'avant-campagne ne pèsent pas plus lourd au lendemain de la victoire que les testaments des rois au lendemain de leur mort. Un programme ? A la rigueur, s'il n'est pas appliqué.

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Mis en ligne le 13 juillet 2006 par Pierre Ratcliffe Contact: (pratclif@free.fr)    site web: http://pratclif.free.fr