Le parti socialiste le plus obsolète d'Europe

Ted Stanger; Figaro Magzine 17 juin 2006

Ted Stanger est l'auteur de Sacrés Français (Michalon 2003) et de Sacrés fonctionnaires (à paraître en octobre).

Quel dommage que tous ces étrangers dans la capitale française cet été se trompent de musée ! Au lieu de faire la queue des heures au Louvre, rendu enfin célèbre par notre Dan Brown, ils devraient plutôt frapper à une autre porte : un reliquaire politique qui se situe rue de Solferino.

Dans ce « sanctum sanctorum », on peut admirer le Parti socialiste le plus exceptionnel du continent – et le plus obsolète. Nous savons tous maintenant qu'une actrice française, Audrey Tautou, est la dernière descendante de Jésus. Mais cela n'est rien comparé à ces héritiers de Jaurès qui, par comparaison, font du Vatican et de l'Opus Dei des modèles de réformisme.

Dans un esprit de transparence, permettez-moi de dire que, quoique américain, je voterais pour Dominique Strauss-Kahn, ou pour Ségolène Royal, si elle finit par décrocher l'investiture de son parti. Sauf que la mairie m'informe que les Américains n'ont pas droit de vote en France. Outré, je prépare mon dossier auprès de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

Mais voter pour un parti si dévoué contre le changement en France ? J'hésite. Bien des choses ont changé depuis quarante ans : la mode, les moeurs, les sciences économiques, les monopoles, internet, la mondialisation. La France d'alors était paysanne et ouvrière. Aujourd'hui, elle vit des services. Et le PS? Pas tellement changé, en fait. Si le Parti socialiste était une voiture, ce serait une Panhard des années 50. Increvable, oui, mais jamais destinée à devenir un véhicule de performance.

Après une douzaine d'années d'observation de la politique française, je crois pouvoir dire qu'un socialiste français, c'est quelqu'un qui est facilement séduit par le romantisme de la gauche – et par sa propre rhétorique.

Les propriétaires d'une carte PS ne parlent jamais d'une « opinion », c'est trop banal. Ils parlent plutôt de leur « combat », comme s'ils bivouaquaient avec le Che dans les montagnes de l'Oriente, ou faute de mieux avec Pierre Goldman au Pérou. Mais en réalité, ils sont aussi antimilitaristes que les autres Français et ne savent aucunement distinguer une kalashnikov d'un M16. Et puis un deuxième porte-avions, ça coûte trop cher. Ce rêve révolutionnaire refuse de mourir, dans les esprits en tout cas. Ces derniers jours, les socialistes revivent les succès de 1936, et surtout les congés payés, comme une vieille clame qui regarde ses carnets de bal du tempsqu'elle était belle. Pourquoi pas ? Mais on pourrait aussi obtenir les avancées sociales en douceur en travaillant dur et efficacement comme pendant les Trente Glorieuses. Mais ce serait moins romantique. Non, le PS veut rester synonyme de percées victorieuses – une semaine de vacances de plus en 1981, les 35 heures en 1997 et le smic à 1 500 euros, s'il gagne en 2007.

D'accord, mais pourra-t-on encore cacher cette dyslexie toute mitterrandienne pour les finances ?

Le programme socialiste, au coût estimé entre 50 milliards d'euros (DSK) et 100 milliards (Thierry Breton) est peut-être ringard et sans innovation réelle dans son approche keynésienne, qui consiste à dépenser un maximum dans l'espoir que les problèmes s'effaceront à la longue. Mais le projet a au moins un grand mérite : il relativise le trou de la Sécu, qui surpassera pour une énième fois les 10 milliards. Le médecin vous le dira : n'importe quel cancer chassera la pire migraine.

L'exceptionnalisme du PS reste le plus marqué dans le domaine étatique. Au Canada, en Suède, et dans bien d'autres pays, on a compris qu'il faut réduire les dépenses publiques, et par conséquent le nombre de fonctionnaires, afin de laisser vivre le secteur privé. Ces deux pays ont rétréci leur secteur public de manière radicale, et ils ont donné un nouvel essor à leur économie.

Pour les socialistes qui n'ont jamais décelé le moindre sureffectif des serviteurs de l'Etat en France, qui a la plus grande fonction publique en Europe, il n'en n'est pas question. Depuis vingt-cinq ans, les politiques du PS ont créé quatre fois plus de postes que la droite. Presque tous les politiques français, il faut dire, aiment la fonction publique, mais le PS l'aime à la folie. Existe-t-il un socialiste pour décrier « on the record » le fait que 75 % des jeunes en France veulent travailler pour l'Etat ? Par contre, je n'ai pas encore rencontré un socialiste italien ou espagnol ou autre qui pense que de créer des postes de « conseiller stationnement » ou « médiateur municipal » soit une solution à long terme, que ce soit pour les jeunes ou pour une économie nationale. Franklin Roosevelt l'a fait, il y a soixante-dix ans, et dans un tout autre contexte. Maintenant l'Europe n'est pas si « vieille » que le pense Donald Rumsfeld. Même les socialistes grecs admettent qu'on ne peut plus utiliser un service public comme Olympic Airways.pour donner un emploi à tout le monde.

L'amour de la gauche révolutionnaire ! Il est toujours présent. Quel étrange spectacle de voir un François Hollande, cette antithèse du Che, cet enfant de Neuilly-sur-Seine devenu premier secrétaire du Parti socialiste, qui depuis la montée de sa compagne dans les sondages donne un nouveau sens au terme « cumul des mandats », se coucher devant Olivier Besancenot, jusqu'à dire qu'il « n'aurait pas de problème » pour voter LCR au second tour si jamais le postier militant y arrivait. Les socialistes français sont des hommes et femmes de principe sauf quand ils crèvent d'envie devant ces électeurs de l'extrême gauche au premier tour.

La France exceptionnelle ? A gauche, surtout ! Les autres gauches de l'Europe ont, d'une manière ou d'une autre, fait la paix avec l'économie du marché. Le Premier ministre espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, n'a pratiquement rien changé des réformes libérales de son prédécesseur conservateur. Et les sociaux-démocrates allemands ont signé pour une réforme qui fait mal, très mal, dans leurs rangs. Sans parler de blairisme en Grande-Bretagne, qui admet que le thatcherisme a rendu l'économie britannique bien plus dynamique.

Voter pour Besancenot ? C'est cela, le PS moderne et pragmatique dont je rêve, capable de traiter de vrais problèmes au lieu de toujours appliquer plus de couches de rhétorique ? Plus de redistribution, des renationalisations, généraliser les 35 heures... voilà la promesse PS qui fait penser à la rupture avec le capitalisme d'une autre époque. Il y a là presque une nostalgie pour une autre France, celle des poinçonneuses du métro. Comment se fait-il que les autres socialistes en Europe ne soient pas aussi portés sur le passé ? Le commentateur Alain Duhamel a voulu tancer M. Hollande l'autre soir sur France 2, en constatant que le leader socialiste se montrait « infiniment plus précis dans les manières de dépenser que de récolter de l'argent public ». Qu'on se rassure. Avec leur amour des impôts, les socialistes datent du siècle dernier. Qui veut parier que la taxe Chirac sur les billets d'avion échappera - et pas de justesse - à l'hécatombe dans la suppression des réformes de la droite, si le PS arrive au pouvoir?

Mais si je compte tout de même voter à gauche aux deux tours en 2007, c'est aussi parce que le Parti socialiste sait encore donner dans le spectacle, avec des actes pas tout à fait au niveau de la rhétorique. Dites-moi dans quel autre pays au monde peut-on voir un Premier ministre socialiste, anciennement trotskyste, privatiser (pardon, ouvrir le capital de) France Télécom, Air France, le Crédit lyonnais, Thalès, etc. ? Ça vaut le prix de la taxe d'habitation ! Avec le PS, on sait qu'il y aura du sport. Ef je ne parle pas de la Coupe du monde, mais plutôt de revisiter un musée qui s'appelle PS.

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Mis en ligne le 13 juillet 2006 par Pierre Ratcliffe Contact: (pratclif@free.fr)    site web: http://pratclif.free.fr