France, terre d'immigration

Immigrés et descendants d'immigrés

S'agissant des français issus de l'immigration mahgrébine et africaine, il est interdit de parler d'intégration voire de dire qu'ils sont descendants d'immigrés mahgrébins ou africains. Cette posture est significative du malaise dont souffrent les membres de ces communautés.

Voir le point de vue (extrême?) d'Hélène Carrère d'Encausse.

Descendant moi même d'immigrés anglais à la fin du 19ème siècle (mes grand-parents sont venus en France en 1888, fuyant le smog du nord de l'Angleterre de l'époque), je suis totalement intégré à la société française, à sa culture, à son tissu économique et social. J'ai été éduqué dans les écoles de la République, j'ai poursuivi mes études supérieures jusqu'au niveau bacc + 5 en bénéficiant d'une bourse de l'État, j'ai fait mon service militaire pendant 2 ans lors de la guerre d'Algérie, et j'ai eu à la fin de mes études un emploi stable et bien rémunéré, bénéficiant de la situation économique très favorable des années 1960. Il en est de même de la plupart des descendants d'immigrés d'autres pays européens, polonais, espagnols, italiens, portuguais. Nous sommes tous disséminés sur l'espace géographique national et dans l'ensemble de la société française. On peut donc parler de diversité, de mixité, puisque nous sommes véritablement mélangés à la société, avec nos origines diverses, nos statuts sociaux différents. Nous sommes donc totalement "intégrés".

Beaucoup ont perdu le contact avec la culture des pays d'origine de leurs parents, grand-parents ou arrière grand-parents. Il s'agit d'abord de la langue. En ce qui me concerne, à cause des circonstances de la 2ème guerre mondiale, j'ai été réfugié avec mes parents anglais, en Angleterre de mai 1940 à janvier 1946 et j'ai gardé de ce séjour la langue anglaise, comme langue apprise lors de ma première scolarisation. Mais c'est un cas exceptionnel. Par la langue, je suis donc resté attaché à la culture de l'Angleterre; mais cela me donne le caractère de métissage dont a parlé Michel Siffre.

Il y a aussi la religion; mes grand-parents et mon père étaient protestants, d'obédience Méthodiste, mais mon père ayant épousé une catholique, je fus élevé dans la religion catholique. Les anglais vivant en France avaient des églises Anglicanes réparties sur le territoire. On y pratiquait le culte anglican en anglais. C'était le cas à Calais, ou l'église anglicane se trouvait rue du Moulin brûlé. Il y avait aussi une église méthodiste qui se trouvait rue du Pont neuf. On y célébrait le culte avant la guerre mais elle resta désaffectée après la guerre. Il y a aussi l'église anglicane à Paris sur les quai de Seine rive gauche. Il en était de même des polonais qui avaient, et ont encore leurs églises, où on célèbre la messe en polonais.

On me dira que tout cela est très différent de la situation des français descendants d'immigrés mahgrébins et africains. Je suis obligé de reconnaître que c'est vrai. Et je cherche les raisons de ces différences, lesquelles se traduisent aujourd'hui (novembre 2005) par des violences urbaines sans précédent dans les banlieues des grandes villes françaises.

Nous sommes donc totalement "intégrés" disais-je. Or il y a des conditions à l'intégration qu'il ne faut pas taire. C'est d'abord l'acquisition et la maîtrise de la langue et du langage; cela s'applique à tout le monde avant de s'appliquer, en particulier, aux immigrés et à leurs descendants. L'apprentissage de la langue, parlée d'abord et en priorité, écrite ensuite mais en second, se fait par l'éducation, en famille, et à l'école. Sans pratique maîtrisée de la langue, on reste un étranger, soit catalogué comme tel à cause de son origine récente, soit parce qu'on appartient à une communauté qui se distingue par son isolement de la communauté nationale dans son ensemble. L'école diffuse à tous les enfants, des memes (concepts, modes de pensée, normes etc...) de la communauté nationale, ce qui crée les mêmes liens entre tous, droits et devoirs, manières de se comporter en privé et en public, vis à vis des administrations, des entreprises, etc... L'éducation se poursuit ainsi jusqu'à son terme avec l'acquisition de savoirs et de compétences qui permettent d'avoir un emploi et une rémunération pour vivre de manière autonome, quittant ses parents et leur foyer, puis de fonder une famille et un foyer indépendant à son tour. Voir sur ce sujet de l'école, le point de vue de profs des banlieues.

Etre intégré dans la société, participer à la vie économique et sociale, contribuer à la production et avoir sa part de la production distribuée, donc de la consommation, nécessite d'abord d'avoir un emploi dignement rémunéré. Etre intégré dans la société, nécessite ensuite d'avoir un logement décent, décent au sens d'équivalent à ce qui existe dans l'ensemble du pays.

En ex-URSS et dans les pays satellites de l'URSS, tout le monde vivait dans des énormes immeubles collectifs, tous identiques, de plusieurs centaines d'appartements, construits autour d'un espace vert commun. La maison individuelle n'existait pas. Seuls les membres de la nomenklatura avaient une isba à la campagne. Donc tout le monde était à la même enseigne.

Ce n'est pas le cas en France. Il y a deux France; celle des maisons individuelles, des lotissements coquets, des villas cossues, toutes au centre des villes ou dans des quartiers favorisés; et celle des barres ou grands immeubles collectifs dans des quartiers défavorisés, où se concentrent les plus pauvres, les chômeurs, les exclus de notre société de consommation et en particulier les français issus de l'immigration. Cela fait plus de trente années que cette ségrégation s'est développée et elle s'est s'accentuée avec le chômage massif, triste spécificité française qui persiste depuis 20 ans.

Le développement de cet habitat que tout le monde en France qualifie d'inhumain en 2005, a son origine dans l'arrivée massive de travailleurs immigrés dans les années 1960, puis dans le regroupement familial dans les années 1970, sans oublier les harkis rapatriés d'Algérie au début des années 1960. Les villes nouvelles, nos banlieues d'aujourd'hui, furent construites pour loger tous ces immigrés à proximité de leur lieux de travail: les industries en plein essor de l'époque des 30 glorieuses, bâtiment, automobile, sidérurgie, mines, etc... Voir l'historique de cette période expliquée par Antoine Sfeir, Directeur de la revue "les cahiers de l'Orient".

Lors des 14 jours de violences urbaines qui viennent de se dérouler en France, la religion musulmane n'est pas apparue comme une des motivations des fauteurs de troubles. On ne peut que s'en réjouir. Néanmoins, être intégré nécessite d'avoir un profile culturel admis et accepté par l'ensemble de la communauté nationale. Il en va de la religion et de tous les comportements culturels qui y sont associés (pratique religieuse dans les mosquées, port du voile, respect du ramadan, viande hallal, etc...). En France, le catholicisme a été longtemps la religion de la majorité des gens et ceci a pour racines l'histoire du pays avec l'ancien régime, les guerres de religion, puis la révolution; catholiques et protestants se sont affrontés de manière barbare et sanglante par intolérance, refus des différences et intérêts politiques. En troisième lieu vient la religion juive. En 1905, après un siècle de conflits et d'affrontements ayant pour cause la main mise de l'église catholique sur la société par l'école religieuse, intervint la séparation de l'église et de l'État et l'instauration de la laïcité.

Aujourd'hui, les français musulmans constituent une proportion importante de notre société (4-5 millions, chiffre estimatif car on ne fait pas de statistiques en France sur l'appartenance religieuse). Il faut que nous les acceptions. Beaucoup d'entre eux sont issus de l'immigration mahgébine et africaine et leur religion n'est pas encore tout à fait intégrée dans l'espace culturel des français "de souche". Malgré tous les efforts de l'État et des autorités religieuses musulmanes, il n'est pas dans la tradition culturelle de l'Islam de se fondre dans la laïcité républicaine et occidentale. Cela prendra beaucoup de temps pour que cette intégration culturelle se fasse si elle se fait un jour, comme l'État le souhaite. Il est possible que l'Islam et sa pratique par un nombre de plus en plus grand de français imposera des changements dans notre culture nationale. Seul l'avenir le dira. Mais l'ambition généreuse de la France est que tous ces français d'origine diverse soient fondus dans le modèle républicain et que tous ensemble nous constituions une communauté unique aux origines diverses.

Voir le film la raison du plus fort, diffusé sur Arte le 22 Novembre 2005.

Mis à jour le 06/09/2013