Jacques Delors : « Aux Etats la rigueur, à l’Union l’expansion et le dynamisme »
Europolitique Quotidien des affaires eurpéennes vendredi 30 mars 2012

Voici un discours stimulant de Jacques Delors sur l'Europe, l'Euro, la rigueur et les moyens de redynamiser la croissance. J'en ai extrait les paragraphes suivants pour donner envie de le lire in extenso.

L'Euro a bien marché jusqu'en 2007

...... jusqu’en 2007, cela a bien marché. Voilà où nous en sommes. Et après la crise internationale, il y a la crise de l’euro qui n’est pas seulement une crise de l’endettement, qui est une crise de conception de l’Union économique et monétaire. Et d’ailleurs, pour faire une confidence, quand j’allais aux Etats-Unis et qu’on savait que j’étais chargé de ce groupe, on me disait toujours : « Mais vous croyez vraiment qu’une monnaie européenne est possible ? Rappelez-vous les expériences précédentes. Vous croyez que c’est possible sans le fédéralisme ? » Si j’avais proposé une solution fédérale, je me serais fait envoyer au bain parce que ce n’était pas possible. Mais je me rappelle que, non pas des adversaires au Département d’Etat de la puissance de l’Europe et de l’euro, non, des universitaires me disaient : « Est-ce que c’est possible sans un minimum de fédéralisme ? » J’ai retenu ça pour la suite. Sans aller plus loin, parce que je sais que c’est très compliqué. Donc voilà les leçons que je tire du passé, y compris à mes propres dépens. Tout en sachant maintenant quelle est la puissance de l’Allemagne et tout en étant absolument affligé quand j’entends des économistes qui ne sont pas dans cette salle parler de compétitivité à l’identique comme si on parlait de l’Allemagne, de la Grèce ou du Portugal ou ailleurs. Ridicule ! L’Europe est fondée sur la diversité. Est-ce qu’elle peut vivre sur cette diversité, ou est-ce qu’elle doit accepter une domination implicite de l’Allemagne ? That is the question.

Laméthode communautaire

..... La méthode communautaire ne nous demande pas de nous substituer aux gouvernements, elle demande qu’il y ait des institutions qui pensent tous les jours à l’Europe et qui laissent aux gouvernements, le Conseil européen dans ses grandes orientations, le Conseil des ministres dans des décisions législatives, de prendre le nécessaire. Nous sommes en train de nous faire travestir la méthode européenne pour nous faire avaler je ne sais quelle méthode qui est le retour au congrès de Vienne et au nationalisme des gouvernements. Avec des chancelleries qui ne brillent que par leur cynisme et par leur concept du rapport de puissance. Si l’on fait ça, c’est que l’on veut tuer l’Europe, c’est qu’elle n’existe plus. Elle n’aurait même pas dû exister, puisque les gens qui ont voulu faire l’Europe ont voulu ce combat, ce nationalisme étroit, cette vision des choses qui fait que je gagne quand l’autre Européen perd, alors que nous perdons tous les deux dans le monde actuel. Voilà pourquoi il faut défendre la méthode communautaire mais ramener les choses à son temps.

L'euro, espace économique unique et la liberté de circulation des personnes et des biens...

Où en serions-nous de la liberté de circulation des personnes, qui est une formidable liberté dont on ne dit jamais les avantages par rapport aux inconvénients. Où en serait l’euro s’il avait fallu attendre l’accord de la Grande-Bretagne pour le faire ? La différenciation n’est pas la division de l’Europe, elle est le dynamisme de l’Europe. C’est pour ça qu’à mon sens, la zone euro aurait dû être une coopération renforcée avec ses propres instruments. Et c’est ça qui nous a manqué. Faute de moyens. Bien sûr, rien n’excuse les tromperies de la Grèce, rien n’excuse les folies de l’Espagne et de l’Irlande, je vous ai expliqué qu’on aurait pu les voir. Mais, pour le reste, il ne peut y avoir de zone monétaire unique sans avoir des instruments de transfert raisonnables. Pourquoi ? Parce que le seul instrument qu’a un Etat national pour résister à une baisse de compétitivité, c’est la dévaluation. Or la dévaluation est interdite. Fort heureusement d’ailleurs parce que, me rappelant l’expérience de la France, ça n’a jamais été bien réussi.

ON NE PEUT AVOIR UNE MONNAIE UNIQUE QUE PAR UNE UNION DE TRANSFERTS

Voilà ce qu’il faut voir pour tirer les leçons du passé. (…) Il ne peut y avoir d’Union économique et monétaire que dans un équilibre entre l’économique et le monétaire.

J’avais proposé une coordination des politiques économiques en 1997, je n’étais plus président de la Commission, rassurez-vous, j’étais un simple citoyen français dans son coin mais je l’avais proposé comme conséquence du rapport que nous avions fait. Cela n’a pas été suivi, on a simplement rajouté « Pacte de stabilité et de croissance ». Cela, c’est tout-à-fait français. Excusez-moi pour les non-Français, mais les Français adorent les formules. Ils sont revenus chez eux tranquilles parce qu’on avait ajouté « croissance ». Quelle absurdité ou quelle folie ou quelle irresponsabilité ! Mais enfin, nous en étions là. Rien n’est possible sans un rééquilibrage entre l’économique et le monétaire. Là où le problème s’est compliqué, il fallait donner aux ministres des Finances la responsabilité de coordonner les politiques économiques et ils ne l’ont pas fait. Et il y a une chose que j’ai sous-estimée pour ma part, je le reconnais, parce que, sachant qu’on ne pouvait pas aller plus loin dans le fédéralisme, j’ai cru à la coopération. J’ai dit tout à l’heure : compétition, coopération et solidarité. J’ai cru à la coopération. Et là, je me suis trompé. Car, pendant cette période, le marché unique, avec une monnaie unique, a amené une diversification de plus en plus grande, une spécification des activités productives au profit de certains pays, dont l’Allemagne, et aux dépens des autres. Que les autres aient fait des bêtises, ça ne change rien. Cela veut dire qu’en termes économiques, on ne peut avoir une monnaie unique que par une union de transferts. Union de transferts raisonnables, il ne s’agit pas de payer les bêtises de tout le monde, mais une union de transferts. Et ça, c’est la leçon à mes dépens, puisque je ne l’avais pas vu venir, que j’ai retenu de cette période.

Voilà ce qui est important aujourd’hui en matière institutionnelle, à partir d’une claire conception de la méthode communautaire : des transferts de souveraineté qu’on accepte, voire le reste. Par exemple, dans le traité budgétaire, cette usine à gaz, il manque en plus de son complément sur la croissance, le nouveau modèle de développement, ce qui expliquerait déjà de le récuser.Mais dans cette usine à gaz, qui est constituée là, on ne voit plus clairement qui va décider de quoi. Essayez. Moi, j’ai mis en sept pages le traité budgétaire, le six-pack et le reste, pour me dire comment ça va marcher. Parce que moi, qui suis un esprit simple, il faut que je sache comment ça marche. Parce que how to proceed est pour moi autant important que faire. Et bien, je me dis qu’il ne se passera pas grand-chose, et que, par conséquent, il faut revoir cela. Je sais d’un autre côté qu’il y a la menace des marchés, mais il faut quand même trouver un système simple. Vous savez, la démocratie, c’est la démocratie parlementaire, puis c’est le dialogue social, c’est la simplicité. Etre inventeur de simplicité, c’est permettre aux citoyens de mieux comprendre ce qui se passe. On n’a rien de cela pour l’instant.

Lire le document in extenso sur le site Europolitique.


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Actualité présidentielle 2012

Mis en ligne le 15/04/2012