Relier l'Alberta au Texas
En route vers un rapprochement des deux capitales nord-américaines du pétrole : l'Alberta et le Texas

Cet article est extrait de la revue des mines N°457 novembre-décembre 2011 par Joël Akowanou.

Trouver le moyen de transport sûr et efficace qui permettrait de relier les producteurs de pétrole avec les marchés, ou plus précisément avec les raffineries, a longtemps été au centre des préoccupations.

Généralités

Une étude économique récente a constaté que le Canada est devenu le premier fournisseur des États-Unis grâce à l'exploitation des sables bitumineux d'Alberta (Illustration 1). Car la moitié de la quantité de pétrole que les États-Unis importent du Moyen-Orient et du Venezuela lui revient actuellement.

Trouver des façons de produire ces huiles lourdes a pris près d'un siècle, mais aujourd'hui c'est une activité courante. Et l'un des facteurs économiques qui rend possible l'exploitation des sables bitumineux est qu'il n'y a pas de baisse de production au fil du temps (Illustration 2), contrairement aux développements classiques.

Mais il faut signaler que cette exploitation exige de grandes quantités de gaz naturel pour fonctionner, et produit un pétrole synthétique trop visqueux pour être pompé. Il est donc en général mélangé à du brut ordinaire pour être livré. De ce fait, des pipelines sont nécessaires pour acheminer le gaz, le diluant, et pour évacuer le produit fini. C'est ainsi que le projet de construction et/ou d'extension du réseau de pipelines a vu le jour. Ce projet permettra à terme de relier directement l'Alberta (Canada) au Texas (États-Unis).

Parlons un peu du Texas et de l'Alberta

Le Texas en particulier Houston est considéré comme la capitale mondiale de l'énergie. En effet les compagnies pétrolières et gazières se sont installées à Houston dans les années 70, quand l'embargo pétrolier arabe a touché le marché mondial des fournisseurs d'or noir. Aujourd'hui, le Texas n'est pas connu pour ses champs pétroliers, mais plutôt d'une part pour sa proximité avec le golfe du Mexique et d'autre part pour la présence des raffineries.

Par ailleurs, il n'y a aucun endroit comme l'Alberta. C'est l'une de ces rares contrées où l'énergie est abondante et durable avec des ressources naturelles de pétrole estimées à 176 milliards de barils de réserves prouvées. L'industrie pétrolière de l'Alberta fonctionne dans des conditions naturelles très variées et extrêmes (des températures extrêmes, le gel du pergélisol et des distances très vastes). Pour relever ces défis, les sociétés pétrolières et gazières développent de façon continue de nouvelles technologies afin d'améliorer chaque aspect du développement de l'énergie. En conséquence, les entreprises y opérant sont reconnues comme des leaders mondiaux dans des domaines tels que les sables bitumineux, les technologies du pétrole lourd et superlourds, les nouvelles technologies de forage et d'ingénierie réservoir sans oublier la géophysique et les méthodes de cartographie thermique par satellite. Ces développements sont faits tout en minimisant l'empreinte environnementale.

Le projet proprement dit et ses chiffres clés

Le tronçon existant permettait de transporter du pétrole brut depuis l'Alberta jusqu'aux marchés du Centre Ouest des États-Unis en Illinois (le projet Keystone en détail). Cette exploitation commerciale a une capacité nominale de 435 000 barils/jour. Ce réseau a connu une amélioration en s'étendant jusqu'à Oklahoma et on arrive donc à faire parvenir aux installations de distribution 591 000 barils/jour. Ce nouveau projet consiste à prolonger de 2700 km le réseau de pipeline existant entre l'Alberta et Oklahoma jusqu'à la côte américaine du Golfe du Mexique, Illustration 3. Cette figure montre aussi qu'une fois les marchés d'Oklahoma desservis, le réseau continuera par le biais d'un point de livraison vers les terminaux existants au Texas. Une fois terminé, ce dernier va augmenter la capacité du réseau de 591 000 barils/jour à environ 1,1 million de barils/jour.

Les chiffres recueillis auprès de l'Association Canadienne des Producteurs de Pétrole (CAPP) montrent que l'Ouest Canadien produit 2,8 millions de barils de pétrole brut par jour, avec un peu plus de la moitié soit 1,5 million de barils provenant des sables bitumineux. Les experts estiment que la production des sables bitumineux devrait doubler d'ici 2020 à 3 millions de barils/jour tandis que la production conventionnelle va décroître progressivement. On se retrouvera donc à une production totale estimée de 4,2 millions de barils d'ici la fin de la décennie. La capacité des raffineries au Canada et centre-nord des Etats-Unis est déjà maximale. Dans le même temps les raffineries de la côte sud américaine fonctionnent à bas régime. D'où l'intérêt de faire acheminer le pétrole vers ces raffineries. Notons également que via cette liaison directe, le Canada pourrait non seulement transporter le pétrole classique et le pétrole lourd, mais aussi récupérer le brut de certains producteurs américains le long du chemin.

Les principales raisons qui motivent ce projet sont les suivants :

  • les producteurs de pétrole de l'Alberta ont des acheteurs pour leurs produits dans le Texas,
  • la capacité de raffinage au Texas est adéquate,
  • les raffineries du Texas sont habituées à la manipulation du pétrole lourd provenant du Venezuela et du Mexique,
  • le pipeline est le moyen le plus économiquement rentable de déplacer de grands volumes de brut,
  • en cas d'accident les pipelines engendrent beaucoup moins de dégâts que les autres moyens de transport (ferroviaire ou routier ou maritime).

Quelques éléments de conception...

Lors de la conception et la construction des installations, de l'acier à haute résistance et un soudage spécialisé seront utilisés. De même, les techniques d'inspection développées spécifiquement pour les gazoducs à haute pression permettront d'opérer un contrôle adéquat. Tous les tuyaux seront livrés à partir de fabricants qualifiés qui auront respecté une résistance à la corrosion et un revêtement de protection. Il sera utilisé du matériel d'examen non destructif pour inspecter toutes les soudures et ensuite appliquer un enduit à la soudure pour la protéger de la corrosion. De plus, avant d'être mises en service, toutes les sections de pipeline seront de nouveaux testées avec de l'eau sous pression à hauteur de 125% de la pression de fonctionnement maximale admissible. Le pipeline sera enterré à une profondeur comprise entre 1 et 1,2 mètre selon la nature des terrains traversés.

Somme toute, la réalisation du projet utilisera les dernières technologies et techniques pour assurer une livraison sécuritaire et fiable de pétrole brut avec un impact environnemental minimal. La protection de l'environnement et la sécurité publique sont des éléments clés dans la planification de la construction du pipeline.

Cependant, les écologistes déplorent tout ce qui pourrait rendre plus facile la production et la commercialisation des huiles lourdes voire extra lourdes. D'une part, le raffinage des sables bitumineux laisse une facture très salée en matière d'émission de carbone. Car d'énormes quantités de gaz naturel doivent être brûlées pour chauffer le bitume épais de sorte qu'il puisse être séparé du sable, puis raffiné en pétrole brut léger. D'autre part le taux d'accidents de pipeline enregistrés ces dernières années est très élevé. De nouvelles préoccupations sont apparues avec la rupture d'un pipeline dans le Michigan cette année.

De nos jours, les pipelines restent pourtant le moyen le plus sûr sur le plan statistique pour le transport de pétrole. Les taux d'accidents de pipeline ont fortement chuté et les technologies ont permis de réduire le temps de réactivité lorsqu'il y a fuite et la capacité à les contenir.

Conclusion

Aujourd'hui, les demandes d'autorisations sont en cours et les décisions sont attendues très prochainement. Et la construction est supposée démarrer dès que les approbations réglementaires sont obtenues. Les premières livraisons de pétrole sont attendues vers la côte américaine du Golfe du Mexique à compter de 2013.

Cette nouvelle construction de pipeline d'une valeur de 7 milliards de $ devrait constituer aussi une bonne manoeuvre pour stimuler l'économie nord américaine. À long terme, ce projet améliorerait également la sécurité énergétique des États-Unis avec l'avantage d'avoir une source d'approvisionnement énergétique consistante et plus stable.

Abonnez vous au fil RSS


Partager |

Mis à jour 26/12/2020