Nouvelle mobilisation contre le gaz de schiste
Montauroux 3 avril 2012

Le collectif 83 contre le gaz de schiste organise mardi 3 avril 2012 une réunion publique d'information contre le gaz de schiste (cliquer sur l'image). Il s'agit en réalité d'une poursuite de la mobilisation contre les projets de recherche et d'exploitation de gaz de schiste, dont le projet - en cours d'examen par l'État - du permis de recherche dit de Brignoles (voir mon article précédent).

Voir article du Figaro du 12/4/2011.

Des élus ruraux du Var disent vouloir boycotter l'organisation des élections présidentielles dans leur commune, si l'État ne déclare pas qu'il n'attribuera pas le permis de recherche de Brignoles - une position qui me paraît inacceptable et anti démocratique. Le maire de Tourtour Pierre Jugy, par ailleurs candidat aux législatives 2012 pour la 8è nouvelle circonscription du Var, milite activement contre le gaz de schiste comme le montrent ses dernières prises de position et l'organisation d'une journée à Tourtour le 18 mars 2012 (lien).

Comme l'indique le tract, la réunion dite d'information est une nouvelle mobilisation CONTRE. La présence d'un Docteur en géologie est selon moi une imposture - celui-ci intervient en qualité de militant, non en qualité de scientifique. La sempiternelle projection du film GASLAND de Josh Fox est aussi une imposture car il a été prouvé que ce gaz était biogénique donc qu'il ne provenait pas de gaz de schiste qui est thermogénique; le gaz biogénique est lié à la traversée de couches riches en contenu organique proches de la surface; (voir ce lien) et celui-ci. Je n'entrerai pas dans la polémique avec les associations locales. Celle-ci résulte selon moi d'une incompréhension du public et des élus face à une technologie nouvelle, développée en Amérique du Nord depuis moins de 10 ans et que nous connaissons très mal en France. Il a fallu près d'un an à BRGM - INERIS et IFP énergies nouvelles pour sortir un rapport de connaissances sur le sujet sur base documentaire (lien: "Maîtrise des impacts et risques liés à l'exploitation des hydrocarbures de roches mères").

C'est pourquoi, je veux donner des éléments d'information pour faire comprendre ce qui est en jeu; tout ce qui est écrit ci-après est documenté dans les multiples liens listés à droite.

Pourquoi le gaz de schiste est né aux États-Unis

Il faut d'abord comprendre pourquoi et comment le gaz de schiste est né aux États-Unis. Là comme ailleurs, depuis la fin de la 2è guerre mondiale, s'ajoutant et se substituant au charbon - lequel avait remplacé le bois, le pétrole puis le gaz ont permis la poursuite de la croissance économique. Pétrole et gaz constituent depuis 6 décennies un processus de décarbonisation salutaire. Typiquement, en nombre d'atomes, le rapport carbone/hydrogène est de 10/1 pour le bois, 2/1 pour le charbon, 1/2 pour le pétrole (kérosène) et 1/4 pour le gaz CH4. Le gaz est une énergie très prisée des consommateurs en raison de sa souplesse d'utilisation, son haut pouvoir calorifique et le faible investissement nécessaire - plus de caves à charbon ni de réserves de fuel. De plus ses émissions de CO2 sont les plus faibles des combustibles fossiles. Mais les réserves de pétrole et gaz conventionnel exploitable - gaz de pièges (voir plus loin) - s'épuisent. De plus, les États-Unis sont très dépendants du charbon pour leur production d'électricité ce qui leur confère la position de 1er pollueur de la planète en matière d'émission de gaz à effet de serre - ils sont maintenant dépassés par la Chine. Le nucléaire ne représente que 20%, le charbon 45% et le gaz 22.7% de la production d'électricité (lien).

Trois problèmes donc; le gaz conventionnel comme le pétrole est en cours d'épuisement; le charbon est une source d'énergie sale et une menace pour le climat de la planète; les États-Unis sont sous pression de la communauté internationale pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ce qui implique chez eux la poursuite du remplacement du charbon par le gaz. NB: le pétrole n'est pas utilisé pour la production d'électricité.

Le gaz de schiste une énergie du futur abondante et présente presque partout.

C'est dans ce contexte que des ingénieurs pétroliers ont cherché à trouver des sources de gaz autres que le gaz conventionnel; celui-ci résulte de migrations dans des pièges. Le père du "shale gas" ou gaz de schiste est George Mitchell. Il a fallu près de 20 ans pour arriver à un résultat que tout le monde disait impossible et que Mitchell était fou. C'est la combinaison de techniques de recherche géologique avancée - notamment la géophysique et la micro-sismique, du forage horizontal guidé et de la fracturation des roches pour créer des conduits par où le gaz est canalisé, qui a permis ce résultat. Le premier gisement qui a donné du gaz en quantité abondante est celui de Barnett au Texas. Aujourd'hui c'est le gisement de Marcellus en Pennsylvania qui est le plus prometteur.

Le gaz résulte de la transformation thermogénique des matières carbonées organiques, accumulées au cours de centaines de millions d'années sous forme de boues - mélange d'argiles, de débris d'érosion et d'organismes morts - au fond des lacs ou des mers et océans. Le processus thermogénique résulte de l'enfouissement de ces dépôts en profondeur sous l'écorce terrestre, à la faveur des mouvements des plaques continentales. L'enfouissement profond résultant de la collision de deux plaques continentales, provoque une élévation de la pression et de la température telles que les matières organiques se transforment en gaz méthane, éthane, butane, propane et parfois hydrocarbure liquide. Le gaz est présent sous trois formes: libre dans les pores et les fractures naturelles de la formation - pores et fractures qui peuvent être plus ou moins fines; adsorbé par les minéraux de la roche cad. lié aux minéraux organiques ou stériles - ou dissous dans la matière organique. Dans certaines conditions, à la faveur de fissures produites par la collision et par la pression dans les couches et dans les roches encaissantes au dessus, gaz et liquide qui sont peu denses migrent vers la surface de l'écorce... et dans ce cas s'ils rencontrent des couches imperméables, ils se trouvent piégés et se concentrent alors dans ce qu'on qualifie un piège (image). C'est ce type de gisement qu'on a exploité jusqu'à présent et qui deviennent plus rares, ce que l'on a relié au concept de peak pétrolier et de gaz décrit par King Hubbert géologue de Shell dans les années 1960 (lien).

Je me rappelle, mes grands-parents nés en 1860, s'éclairaient à la bougie, un énorme progrès à l'époque. À la fin du 19è siècle, est apparue la lampe à pétrole... le pétrole venait de Roumanie (Ploesti), de Bakou, de Pennsylvanie, gisements épuisés aujourd'hui. Il faut aussi mentionner que tous les gisements miniers que nous avons exploité partaient d'affleurements visibles à la surface. On les suivait en s'enfonçant et en adoptant peu à peu des techniques pour pouvoir vivre, travailler et produire en sécurité.

Mais le gaz de schiste est présent à des profondeurs beaucoup plus grandes de 2000m et plus. La découverte relève donc de techniques de recherche géologique complètement différentes dont la nature est récente; il s'agit de techniques très pointues comme la géophysique, la sismisque et la micro-sismique. Le permis de Brignoles c'est cela! Y a t il des couches analogues à Barnett shale au Texas ou à Marcellus shale en Pennsylvanie, chez nous en France? Où, en quelle quantité, quelles possibilités et coûts d'extraction, quels risques et contraintes environnementales à maîtriser? Sur ce point, c'est la grande quantité d'eau nécessaire à la fracturation qui peut limiter le recours à ces techniques, de même le traitement de l'eau récupérée des sondages et de la fracturation(*). Mais aussi la disponibilité d'équipements de foration verticale et horizontale de grandes longueurs. Quant à l'impact sur les paysages, il est considéré comme moins déterminant car d'une part le chantier de foration ne dure seulement quelques mois et d'autre part sur une aire de chantier d'environ 1 hectare on creuse plusieurs trous verticaux et horizontaux, ce qui réduit le nombre de chantiers nécessaires pour avoir une production significative (lien).

(*) les boues de foration contiennent les débris de foration et de la bentonite, une argile; elles doivent être traitées en surface; il s'agit de traitements mécaniques (criblages) et l'eau est recylclée. Le fluide de fracturation contient typiquement 94% d'eau, 5% de sable ou billes de céramique pour maintenir ouvertes les fractures et 1% de produits chimiques; ce sont du dispersant, de l'antimicrobien, de l'acide chlorhydrique et de l'anticalaminant. Ces produits chimiques sont largement utilisés dans de nombreuses industries et même dans des applications domestiques. Mais plus que cela, les eaux se chargent de sel, car les formations sont souvent salines, les dépôts s'étant faits sous la mer. Les eaux récupérées en surface doivent donc être traitées chimiquement à l'instar d'eaux usées industrielles - ce que l'on sait faire. Il faut souligner que la fracturation hydraulique n'est pas toujours nécessaire en raison de la présence de réseaux de fractures et fissures naturelles dues à la subduction. Et aussi que le degré de fracturation varie en fonction de la nature de la roche. Quant aux risques que la fracturation provoque des seismes, ceux-ci sont peu mentionnés par les documents de connaissance mais par les militants anti-gaz de schiste américains (lien).

Pour avoir une idée de l'importance des gaz de schiste aux États-Unis depuis le milieu des années 2000, considérons seulement le gisement des schistes noirs de Marcellus en Pennsylvanie. Cette formation couvre 34 millions d'acres 137600km2 et s'étend sur les 4 états de Pennsylvanie, West Virginia, Maryland et New York (lien). La profondeur est de 2100m, l'épaisseur de 15m et la quantité de gaz en place est estimée à 500 milliards de pieds cubes soit 14160 milliards de m3 dont on estime qu'on en récupérera 10% (*). Pour indication la consommation de gaz primaire en France à été de 47.4 milliards de m3/an (2009).

(*) Ces estimations sont affectées d'une très grande incertitude car on ne sait pas, aujourd'hui, mesurer avec précision la quantité de gaz en place ni la part récupérable; une couche de charbon c'est telle épaisseur moyenne mesurée par des sondages sur telle surface totale donc une quantité plus facile à quantifier et avec moins d'incertitude; ensuite on estime quel pourcentage de la surface totale sera exploitée et quel pourcentage de celle-ci sera effectivement extraite. Rien de tel pour le gaz contenu dans une couche ou série de couches de schistes noirs (lien). On s'appuie donc sur l'expérience notamment celle des Barnett shales (d'où le taux de récupération de 10-20% retenu) et les courbes de débit des sondages dans le temps (lien).

Le gaz de schiste a déjà transformé l'économie de l'énergie aux États-Unis et au Canada comme le montre cette figure (lien). Le prix du gaz est désormais découplé du prix du pétrole; le prix du gaz est 4 fois moins cher que le pétrole. Les États-Unis s'organisaient pour importer du GNL du Qatar et d'ailleurs; ils sont maintenant en capacité d'exporter. Le gaz va pouvoir être utilisé pour produire de l'électricité à la place du charbon; les centrales charbon hors d'âge vont être remplacées par des centrales à gaz beaucoup moins chères en investissement et capables de cycles combinés augmentant leur rendement à 60% et plus au lieu de 37%.

Reste l'argument des énergies renouvelables. Celles-ci doivent intervenir dans le mix énergétique. Mais les énergies renouvelables sont intermittentes ou dépendent du climat - pluviosité, jour, nuit, vents, marées... elles ne peuvent pas bénéficier d'économies d'échelle, donc produire deux fois plus exige deux fois plus de surface et d'équipements - exemples le photovoltaïque et l'éolien; leur production spécifique par unité de surface est faible par rapport à une centrale thermique bénéficiant d'importantes économies d'échelle qu'elle soit à charbon ou à gaz ou nucléaire. La biomasse exige aussi de grandes surfaces; il n'y a pas d'économie d'échelle et elle concurrence la production agricole alimentaire. Mais comme on l'a vu cet hiver rigoureux, l'éolien a contribué à passer les pointes de consommation.


Partager |

Mis en ligne le 01/04/2012