LA PRÉSENCE ANGLAISE ET CANADIENNE PENDANT LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

Ce texte est extrait de "La Manche, lien dans l'histoire du Kent et du Pas de Calais" Actes du Colloque de Wimille 30 mai 2008 (*) auteur Rosalind Pelletier-Wilkins pages 73-76. Les liens et ajhouts sont de moi.

Le village de Tilloy-les-Mofflaines se trouve à 3 kilomètres d'Arras, sur la route de Cambrai. Au début de la guerre 1914-1918 le village a vu les troupes Françaises se retirer vers Notre-Dame de Lorette et l'arrivée des troupes allemandes par l'est et le nord. Ces troupes allaient occuper le village pendant 32 mois.

En octobre 1914, le front à travers l'Artois et le Pas-de-Calais était quasiment stabilisé avec les premières lignes allemandes au-devant de Tilloy entre le village et Arras et, à travers le village, les deuxièmes lignes très fortifiées.La recherche historique sur le village, à travers des cartes postales, cartes d'état-major, carnets de routes ou le vécu des régiments, a fourni une très bonne moisson documentaire pour une exposition de deux jours lors des commémorations de la bataille d'Arras et de Vimy en 2007 où plus de cent photos et documents divers ont été présentés. À la fin de la guerre, le village était un champ de ruines [lien], mais la reconstruction a été rapide, et les bâtiments reconstruits existent encore aujourd'hui.

Toute cette recherche, et mon travail de guide conférencière sur les champs de bataille, m'ont fait prendre conscience qu'il manquait un document de synthèse sur l'histoire de ce front dans le Pas-de-Calais sous la forme d'un livre simple destiné aux touristes anglais ou français ou à la population locale. J'ai donc écrit ce livre en 2007.

Intitulé The forgotten Front – Artois 19l4-1918 – Le Front oublié, c'est le seul ouvrage qui retrace simplement "histoire du front d'Artois, à part les Guides « Michelin » sur l'ensemble des fronts de guerre publiés en 1919. Mon livre se limite au front d'Artois, entre Loos-en-Gohelle et le sud d'Arras. Il est à noter par ailleurs qu'il n'y a pas de villages, dans l'ouest du département, qui n'aient vu passer et/ou s'arrêter des troupes britanniques ou du Commonwealth au cours de ces quatre années de guerre. À l'est du département, occupé jusqu'en septembre 1918, c'est en libérateurs que les troupes alliées passent très (trop) rapidement. On trouve souvent la mémoire d'un ou de plusieurs régiments qui se sont arrêtés et qui ont élu domicile dans certains villages. C'est l'histoire locale qui souvent pérennise le souvenir. À noter également la présence des camps de pionniers chinois ou maouris ou indiens employés comme main-d'oeuvre non combattante. Leur travail s'effectue en arrière des lignes et consiste à construire des voies d'accès vers le front (chemin de fer léger, dit « Decauville ») et à aménager des dépôts de vivres et de munitions, ainsi que des baraquements pour les camps d'entraînement et de repos, des hôpitaux, etc. C'est l'histoire militaire en détail.

Dans bien des cas, les villages ignorent la présence militaire et ce n'est qu'en lisant les carnets de route des régiments que l'on apprend la présence d'un régiment pendant une période plus ou moins longue avec parfois des photos d'archives militaires intéressantes pour la localité.

Les soldats britanniques et du Commonwealth ne passaient pas tout leur temps dans les tranchées. Par exemple, un bataillon d'infanterie (entre 900 et 1 000 hommes) était au front pour six mois mais ce dernier était divisé en plusieurs sections. Les hommes de ces sections ne passaient que dix jours successifs en première ligne face à l'ennemi, les deuxièmes et troisièmes sections étant derrière en deuxième ligne et réserve. Les sections permutaient régulièrement d'avant en arrière suivant Ies exigences du moment. Les détails statistiques pour un officier en 1916 sont 101 jours au front dont 65 jours en première ligne. Il a passé 120 jours en réserve et 73 en repos. Les semaines restantes étaient réparties comme suit : 10 jours d'hôpital, 17 jours en permission, 23 jours en voyage et 21 jours en stage. Cet emploi du temps permet de se faire une idée du mouvement continu des hommes positionnés à l'avant ou à l'arrière, quelquefois à plusieurs kilomètres du front. Le soldat de « quatorze » marche et creuse, et puis se bat, et marche à nouveau, laissant au suivant le soin de continuer à améliorer (ou réparer) les tranchées.

Dans le Pas-de-Calais, la première guerre mondiale a eu un effet dévastateur sur la moitié est du département, avec un front le traversant du nord-ouest au sud-est par Loos-en-Gohelle, les coteaux d'Artois à Lorette et Vimy, contournant Arras par l'est, pour continuer vers la Somme et Bapaume. À l'est de cette ligne, le département est aux avant-postes et les villes de Lens, Liévin et le bassin minier seront totalement pillées et détruites. En arrière de cette ligne, les villes et villages souffriront de la retraite allemande à la fin de 1918, mais souffriront aussi pendant l'occupation allemande (un excellent musée à Harnes retrace la vie sous l'occupation de 1914 à 1918).

Arrivant en France surtout par Le Havre et Rouen, ou Boulogne, les alliés sont dirigés vers le front par chemin de fer (Hazebrouck ou Saint-Omer sont les grands centres ferroviaires de l'époque) par des lignes passant par Abbeville et Doullens vers Arras, ainsi que par Hesdin et Saint-Pol vers Arras. Mais surtout les troupes devront marcher ! La ligne directe entre deux points, par des grandes et des petites routes, les amènent dans tous les villages à l'arrière du front. Ce sont des villages presque détruits, des centres de repli, de premiers secours des blessés, de ravitaillement (comme Tilloy pour les Allemands). Aujourd'hui, le front se distingue par les cimetières du Commonwealth dans ces villages.

Un peu plus en retrait encore se trouvent les villages de cantonnement que les régiments utilisent pour le repos et la douche qui libère les soldats (pour peu de temps) du fléau des poux et de la gale. La désinfection des uniformes et des personnes est un moment très attendu par les troupes. C'est le lieu où l'on prend un peu de détente, mais le front reste audible et le stress est continu. L'artillerie se fait entendre à plusieurs kilomètres et, la nuit, les flashes de lumière sont bien visibles à l'horizon.

Plus loin du front se trouvent des villages ou bourgs pour prendre un vrai repos mais le soldat est toujours astreint 1a formation, à l'entraînement l'entretien physique et moral.

Les troupes se croisent, avancent et reculent au gré des attaques, mais le front d'Artois est très stable, large de 2 à 3 km avec un no man's land entre les ennemis, souvent de moins de 500 mètres. Les grandes « avancées » de 1915 sur le front de Lorette et Souchez se comptent en centaines de mètres, 1 ou 2 kilomètres au plus vers Écurie. En 1917, après la bataille d'Arras et Vimy, les avancées sur le front de bataille long d'environ 20 kilomètres, sont de quelques kilomètres à l'est et au sud d'Arras, au prix de centaines de milliers de morts et de blessés.

Le réseau Transmanche Kent-Pas-de-Calais pourrait peut-être se pencher sur l'histoire des régiments du Kent qui ont forcément participé à ces événements et, à la lecture des carnets de route et autres documents, on retrouvera des liens plus profonds avec différents villages du département. Les jumelages informels après la guerre sont aussi très intéressants. Les traces de ces faits peuvent être constatées dans les comptes rendus des réunions de conseil municipal.

Le village de Tilloy, à proximité d'Arras, a été occupé en continu pendant 32 mois. Les photos et cartes postales allemandes de cette période montrent la lente destruction du village due aux tirs d'artillerie alliés depuis Arras. La bataille d'Arras et Vimy, en avril 1917, a libéré Tilloy. Les régiments énumérés ci-dessous furent les premiers à atteindre Tilloy, dans la matinée du 9 avril

  • 1st Northumberland Fusiliers [lien]
  • 4th Royal Fusiliers[lien]
  • 12th West Yorkshire Regiment[lien]
  • 13th King's Liverpool Regiment[lien].

Le village, ayant subi de violents bombardements pendant les semaines précédentes, a été aplati. Les derniers mois de guerre ont vu la perte des gains de terrain au-delà de Tilloy. Les alliés ont reflué jusqu'aux abords du village en mars 1918, où la ligne a tenu jusqu'à l'offensive finale de septembre 1918. La trace des troupes canadiennes présentes à cette époque se trouve dans une cave avec un caribou « Canada » très émouvant. L'après-guerre voit la commémoration des morts dans les villages, et les monuments dédiés aux disparus pour les alliés. Il est à noter que tous les régiments britanniques commémorent au moins un soldat, et souvent bien plus comme au Mémorial britannique du faubourg d'Amiens à Arras, où les noms de 35942 hommes « disparus, présumés morts » sont inscrits.


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Mis en ligne le 24/06/2013