L’agriculture bio-locale, de la mode aux réalités

Par Jacques Ady, agriculteur bio en Rhône-Alpes
extrait de la revue "Traverse"

Marchés de producteurs, AMAP, Biocoop... L’agriculture bio-locale suscite un engouement croissant. Pourtant, sous la pression de l’urbanisation, des politiques publiques et de la spéculation foncière, la disparition des fermes et du métier de paysan se poursuit. Comment expliquer cette situation ? Quelles en sont les conséquences humaines, économiques et politiques ? Quelles sont les solutions possibles ? Jacques Ady, paysan bio en Rhône-Alpes, nous présente son point de vue.

Depuis quelques années, l’écologie est à la mode. On ne compte plus les émissions sur le changement climatique, la chute de la biodiversité ou la crise agricole. Tous les ans sort un nouveau documentaire implacable sur les ravages des pesticides, de la malbouffe ou de l’industrie agro-alimentaire : We feed the world, Notre pain quotidien, Alerte à Babylone, Le Monde selon Monsanto, Mondovino, Nos enfants nous accuseront, Solutions locales pour un désordre global... Dans tous ces films, en opposition à l’agriculture industrielle, on vante les bienfaits d’une agriculture paysanne, à échelle humaine, solidaire, respectueuse de l’environnement, biologique, en faveur des circuits locaux de distribution, produisant une nourriture saine et de qualité.

Cet appel pour une agriculture durable semble entendu. Principalement inquiètes pour leur santé, de plus en plus de personnes découvrent et s’intéressent à ce type d’alimentation. En témoigne le succès des Biocoop, des marchés de producteurs ou encore des AMAP 1. De nombreuses communes lancent ou aimeraient voir la création d’un marché bio ou de producteurs dans leur localité, tandis qu’un peu partout en France se créent des magasins de producteurs associés, avec bien souvent le soutien des collectivités locales. Quant aux grandes surfaces, elles consacrent désormais de vastes rayons aux produits bio. Et ce n’est qu’un début. D’après les sondages, plus de 40% des Français et Françaises déclarent consommer du bio régulièrement, et plus de 80% sont favorables à ce type d’alimentation. Le bio et l’image d’une agriculture paysanne ont le vent en poupe !

Quand la demande ne crée pas l’offre

Qu’en est-il alors, en France, de l’évolution de ce secteur agricole ?

L’agriculture biologique stagne autour des 2% des surfaces agricoles cultivées, sans progression significative depuis 7 ans 2. Si le nombre de fermes cultivant en bio reste relativement stable (environ 14 000), la disparition globale du métier de paysan continue. De 1950 à nos jours, la population agricole a été divisée par 20, passant de 7 millions à moins de 350 000 paysannes et paysans. Chaque année, on recense environ trois départs pour une seule installation.

Conséquence logique, l’offre agricole bio-locale peine à satisfaire la demande. De nombreuses AMAP ne trouvent plus de producteurs disponibles près de chez elles. Quand une commune veut installer un marché de producteurs et bio, elle est souvent surprise de constater qu’il n’y a aucun producteur local pouvant répondre à cette demande. Au final, la croissance de la consommation bio en France repose avant tout sur les importations de pays étrangers. Il suffit de regarder les étiquettes dans les magasins : actuellement, plus de la moitié des fruits, des légumes et de l’épicerie sèche bio proviennent de nos voisins européens, du Maroc, de la Turquie, voire de beaucoup plus loin.

Comment expliquer ce paradoxe ? La majorité de la population souhaite un territoire avec des fermes produisant de la nourriture de qualité, non polluantes, pourtant rien ne semble stopper le mouvement de disparition de la paysannerie. Contrairement au dogme libéral, la demande d’agriculture bio-locale ne crée pas l’offre correspondante.

Cinquante ans d’éradication paysanne

Les causes de l’éradication paysanne ne tombent pas du ciel. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les gouvernements favorisent systématiquement le productivisme, l’agro-alimentaire, la concentration des exploitations, les biotechnologies et l’industrialisme. 50 ans plus tard, nous connaissons le résultat de ces choix économiques et politiques : la dégradation des sols, la pollution des eaux, une nourriture insipide, l’exode rural, une situation économique catastrophique pour la plupart des fermes, la dépendance au pétrole, des produits qui voyagent sur des milliers de kilomètres, une chaîne agroalimentaire qui dépense 10 kilo-calories pour fournir 1 kilo-calorie alimentaire dans nos assiettes 3, nos corps qui accumulent entre 300 et 500 produits chimiques industriels différents stockés dans le sang, les urines, le lait maternel, les tissus adipeux et d’autres organes 4.

Et ce n’est pas fini. Aujourd’hui encore, et malgré certains discours de façade en faveur du bio et des petits producteurs, les chambres d’agriculture, les SAFER 5, les syndicats dominants -FNSEA en tête- favorisent avant tout les grosses exploitations conventionnelles, considérant généralement avec mépris les petites installations bio-locales. Au niveau européen, la dynamique est similaire : les aides continuent d’encourager la concentration et l’agrandissement des fermes, environ 80% des subventions profitant à seulement 20% des fermes les plus productives.

À la campagne, ces politiques créent un gigantesque Monopoly rural, une guerre foncière qui, dans le contexte de crise économique, atteint son paroxysme. Les grosses exploitations agricoles guettent et raflent les terres à louer ou à vendre. La spéculation foncière est terrible. De nombreux propriétaires se crispent sur leurs terres agricoles dans l’attente de les voir passer en terrains constructibles 6. Dans de telles conditions, il est extrêmement difficile de louer ou d’acheter des terres cultivables, ou alors à des prix exorbitants. De nombreux jeunes souhaitant devenir paysan-ne-s en font la cruelle expérience, obligés d’abandonner leur projet faute de terres, ou de se surendetter pour démarrer leur métier. Nous pouvons inverser cette tendance Cette situation n’est pas une fatalité. D’autres organisations économiques et politiques de la société sont possibles.

Si nous ne voulons pas voir l’agriculture paysanne disparaître, si nous voulons une alimentation saine, nous pouvons agir de multiples façons. Nous pouvons consommer bio-local, bien sûr. Mais on l’a vu, cela n’est pas suffisant : nous devons également agir à d’autres niveaux. Nous pouvons soutenir des organisations syndicales et politiques, à commencer par la Confédération Paysanne qui, au-delà de ses limites et de certaines contradictions, mène une action tenace et souvent exemplaire en faveur de l’agriculture paysanne. Nous pouvons rejoindre ou imaginer de nouvelles formes d’initiatives politiques, à l’image de la Chambre d’Agriculture indépendante du Pays Basque français 7, qui depuis 2005 organise la résistance des consommateurs et des producteurs de la région en marge de la Chambre d’agriculture officielle, ou encore l’association Terre de liens 8, dont l’une des actions consiste à acquérir du foncier agricole pour la création de fermes agro-écologiques.

Nous pouvons également aider directement des paysans et des paysannes à s’installer près de chez nous, en leur louant des terres si nous en avons, en cherchant des terres disponibles auprès de notre entourage, en les mettant en contact avec des paysans que nous connaissons, en les soutenant financièrement, en faisant pression auprès de nos mairies, de la SAFER ou de la chambre d’agriculture. Il suffit de contacter la Confédération paysanne pour connaître la liste des paysannes qui cherchent à s’installer mais ne trouvent pas de terres. Dans un contexte médiatique favorable à l’agriculture bio-locale, ne négligeons pas la force du bouche-à-oreille ou des démarches collectives ! Surtout au niveau local, où nous avons davantage de pouvoir et de prises sur la réalité. Enfin, nous pouvons nous-mêmes reprendre ou créer des fermes bio de proximité. Cette proposition peut paraître étonnante, tant l’image du paysan est généralement associée aux difficultés économiques et sociales, à l’isolement, à un mode de vie harassant. Bien au contraire, face aux crises économiques, écologiques et politiques que nous connaissons actuellement, la multiplication des petites exploitations agricoles est une solution de premier plan. Pourquoi ? Comment ? Suite...

Mis en ligne le 26/06/2011