Comprendre l'économie (suite): Il n'existe pas de vérité absolue en matière d'économie.

Il n'existe pas de vérité absolue en matière d'économie. Tout est question de culture, de comportements individuels et collectifs, d'équilibre entre le secteur public et le secteur privé ou marchand, bref des choix de la société. L'économie est seulement une forme d'organisation sociale, comme les lois, la justice, les règles de vie en société y compris le langage. C'est pour cela que chaque pays adopte des solutions propres, en fonction de son histoire et de sa culture et de l'époque. Et dans chaque pays, les problèmes et les solutions varient d'une époque à l'autre. La question est la suivante: l'organisation et les choix de société auxquels l'économie nous conduit sont-ils raisonnables et durables? Durable est le nouveau mot du jour. Pour ma part je préfère le terme soutenable. Voir dossier sur le développement durable. Ceux qui se préoccupent d'écologie se préoccupent en fait de la relation entre l'économie et l'environnement. Où nous mène cette économie de croissance exponentielle pour tous partout et indéfiniment? Ceux qui se préoccupent de développement veulent accompagner la croissance de la population en un lieu donné, par de la croissance économique. Est-il possible de concilier les deux objectifs?

Depuis 1900, et surtout depuis la fin de la deuxième guerre mondiale (1945), sous l'influence prédominante des Etats-Unis qui ont été les premiers à adopter ce modèle, le monde s'est installé dans un processus de croissance continuel de la production et de la consommation de biens et de services et de leur valeur monétaire associée qui assure l'adéquation entre producteurs et consommateurs. Ce processus consiste à transformer des ressources naturelles, renouvelables et non renouvelables, en biens durables - infrastructures, bâtiments, équipements - et en produits de consommation et services. Le processus utilise de l'espace cad. la terre, des ressources humaines, de la technologie, des infrastructures, des équipements et du savoir faire, et en accumulant des capitaux de production par de l'épargne et des investissements. L'accumulation des capitaux, des savoirs et des savoir-faire, permet d'accroître l'efficience du couple travailleurs-machines - c'est la productivité; elle permet de faire croître la production à une époque donnée en fonction des ressources disponibles.

Ce processus qui a commencé en Europe occidentale il y a 300 ans avec la révolution industrielle - grâce à la machine à vapeur puis la maîtrise de l'énergie - est tout à fait nouveau et récent dans l'histoire de l'humanité. Jusqu'alors, malgré les nombreuses innovations techniques - Homo.sapiens est capable d'innovation et d'ingénuité depuis toujours - le progrès vers plus de bien-être pour tous et pas seulement pour une petite élite, était limité par le manque de ressources naturelles disponibles dans chacun des pays où apparaissaient les innovations, suivies de leur diffusion dans tous les pays voisins. L'innovation se heurtait contre un mur et ne profitait qu'à un petit nombre! Pour pallier au manque de ressources, les pays d'Europe occidentale - Venise, Portugal, Espagne, Pays Bas, Angleterre et France, dans l'ordre chronologique - ont eu recours à la colonisation de territoires lointains. Ils furent suivis à la fin du 19è siècle par l'Allemagne, la Belgique et l'Italie. L'industrialisation, le développement économique et la production de richesses partis de l'Europe occidentale ont été limités durant tout le 19è siècle par l'insuffisance des ressources naturelles. Les peuplements, dans la 2è partie du 19è siècle, de l'Amérique du Nord et d'autres parties tempérées du monde où le mode de vie et de production des européens pouvaient être transplantés (Australie, Nouvelle-Zélande), étaient motivés par l'attrait de ressources plus abondantes dans ces régions du monde. Puis, à mesure que le progrès s'est accéléré notamment après la 2è guerre mondiale, nous en sommes arrivés à la situation d'aujourd'hui. Voir l'histoire de l'évolution économique.

Mais ce processus a aussi eu pour résultat une croissance exponentielle de la population mondiale, des pollutions et des déchets de tous ordres, l'épuisement de ressources naturelles renouvelables et non renouvelables, et maintenant le réchauffement climatique et la crainte que tout cela s'effondre un jour. Comme pour tout accroissement exponentiel, la croissance d'une grandeur variable, de x% d'une année sur l'autre, conduit au bout de n années à une multiplication de cette grandeur par (1+x)n. Par exemple, 3% de hausse sur 30 ans conduit à un multiplicateur de 2.43, et 10% de hausse à un multiplicateur de 17.45. Et sur 300 ans le multiplicateur est de 7098 pour 3% et de 2617 milliards pour 10%. Une croissance aussi faible que 0.5% par an conduit à une multiplicateur de 4.46 sur 300 ans et de 146 sur 1000 ans. Il est clair qu'une croissance exponentielle d'une grandeur physique est un déséquilibre qui n'est pas durable indéfiniment. Il doit forcément exister des conditions qui s'opposent à la croissance; et au fur et mesure qu'elle se développe, le déséquilibre qu'elle engendre rencontre de plus en plus d'antagonismes de sorte qu'un nouvel équilibre s'instaure. Le processus impose l'obligation de s'adapter, sinon le retour à l'équilibre est imposé par la contrainte des circonstances ou par la force. Si la limite de croissance de l'économie en volume est atteinte, il faut remplacer la croissance en volume par une autre croissance, en valeur ou en qualité.

Un film projeté par Arte en février 2011 a bien expliqué le processus de développement parti des États-Unis (lien).

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la production et la consommation de biens et services a été multipliée par 4 à 5 dans la plupart des pays occidentaux n'appartenant pas au bloc des pays communistes sous influence de l'ex URSS; il s'agit des USA, Canada, pays de l'Europe de l'Ouest, Australie, Nouvelle-Zélande et Japon. Depuis un siècle, dans ces pays, la production mesurée par la production intérieure brute (PIB) a été multipliée par 9, si bien que la quasi totalité des habitants des pays développés vivent mieux que les plus riches il y a cent ans. Cette croissance a été rendue possible par la conjugaison de quatre causes principales,

  1. l'énergie - pétrole, charbon et gaz - abondante quasi illimitée, en croissance continue et bon marché,
  2. les progrès technologiques,
  3. l'accumulation de capital productif
  4. et l'efficience de leur application à la production par le travail, efficience liée à l'éducation et à la formation.

Les quatre facteurs conjugués ont permis la croissance de l'utilisation des ressources naturelles et leur transformation en produits industriels et de consommation de masse. Les quatre causes sont étroitement liées à l'épargne et à l'investissement productif, à l'innovation technique, à l'éducation et à la formation des travailleurs.

Par les progrès des sciences et leur application à la technique et à la technologie, par l'éducation, les hommes d'aujourd'hui en 2011 savent faire de multiples choses que leurs équivalents ne savaient pas faire avant 1950 et plus encore avant 1900. Nous savons fabriquer des moteurs électriques de toutes tailles et puissances, produire de l'électricité en centrales thermiques à combustibles fossiles et nucléaire, doper des semi-conducteurs pour y implanter des millions de transistors, base de toutes les techniques d'information et de télécommunication, transmettre des signaux sur des fibres optiques, fabriquer des avions à réaction et dépasser le mur du son, fabriquer des moteurs à combustion interne, construire des structures et des bâtiments en béton armé et en charpente métallique de très grande hauteur résistant aux tremblements de terre, suivre les événements qui se déroulent dans le monde en direct par la télévision, enregistrer des programmes sur cassettes vidéo, sur disques DVD, communiquer partout dans le monde avec des téléphones mobiles sans fils ni réseau téléphonique câblé, lancer des satellites qui diffusent des programmes de télévision et de radio, captent des données terrestres, et permettent d'avoir à tout moment latitude, longitude et altitude du lieu où qu'on se trouve, fabriquer des semences hybrides; la médecine guérit des maladies autrefois mortelles, peut remplacer des organes vitaux par greffes, assister à la reproduction, etc. etc.

La formation accroît l'efficience du travail c'est à dire les savoirs faire et le niveau d'éducation des travailleurs, leur aptitude à faire fonctionner les machines et les systèmes complexes par lesquels l'économie moderne fonctionne, dans ses entreprises et ses institutions, produisant tous les biens et services que nous consommons. Ce sont tous ces développements qui constituent l'activité économique d'aujourd'hui, l'accumulation de patrimoines et la production marchande ou monétaire de produits et de services. Leur continuation, leur perfectionnement, l'apparition de nouveaux développements, et leur diffusion à travers la planète entière, constituent la croissance économique globale et dans chaque pays en particulier.

L'accumulation de capital productif que nécessitent ces développements technologiques est le deuxième facteur important de la croissance économique. Plus le "travailleur moyen" de notre économie dispose de capital productif, plus sa productivité est élevée et plus il produit de biens et de services que tous les "consommateurs" utilisent pour leur bien-être.

Deux facteurs déterminent l'accumulation de capital dans l'économie d'un pays; c'est d'abord l'effort d'épargne de la collectivité, c'est à dire "le surplus" ou la part produite et non consommée en produits à courte durée de vie, mais utilisée pour augmenter le stock de capital productif - produits à longue durée de vie - par l'investissement.

C'est ensuite la demande d'investissements de l'ensemble de la société, ménages, entreprises et État. La réalisation de cette demande par les entreprises de production conduit à l'accroissement du stock de capital productif, ce qui contribue à la croissance des produits et services offerts en volume, en valeur et en qualité:

L'indicateur de l'activité économique adopté par tous les pays - malgré un certain nombre de critiques - est le produit intérieur brut, le PIB. Le pib mesure l'activité de tous les agents économiques; c'est la somme de toutes les valeurs ajoutées des produits et services marchands. La valeur ajoutée est le prix de vente de la production moins les coûts des produits finis que l'entreprise a achetés à d'autres producteurs pour réaliser sa propre production: par exemple les matières premières ou des produits intermédiaires, de l'énergie, du transport, des assurances, des frais financiers, et les services de l'État sous forme de taxes, charges sociales et autres prélèvements, etc. Comme les produits et services de l'État ne sont pas "marchands", mais gratuits pour la majeure partie d'entre eux, on ajoute à la somme de toutes les valeurs ajoutées des produits et services marchands, la part des services de l'État mesurée en salaires versés aux personnels de l'État; et c'est la somme des deux qui constitue le PIB. La production marchande dont il est question plus haut est donc une partie du PIB, et les salaires versés par l'État à ses personnels l'autre partie. La production marchande de l'économie est réalisée par toutes les entreprises sous la forme de l'aggrégat de leurs valeurs ajoutées. Les biens et services consommés sont produits, soit sur le sol national, soit par l'étranger sous forme de produits et services importés.

Le PIB est donc l'aggrégat des valeurs ajoutées des agents économiques:

Valeur ajoutée = Ventes - coûts des produits des autres entreprises utilisés
PIB = production nationale + exportations - importations

et la demande c'est l'aggrégat:

demande = consommation des ménages + investissements des entreprises + dépenses de l'État + importations nettes (importations - exportations)

Voir ce lien vers définition PIB par l'INSEE.

Mais après des décennies de ce processus on commence à réaliser que les valeurs ajoutées négatives - destructions, casse, insécurité des villes, décharges et traitement des déchets et pollutions, plus toutes celles qui ne sont pas comptabilisées comme l'impact du tout voiture, les routes et les autoroutes et leurs accidents, la pollution des villes, les trajets domicile-lieu de travail,... augmentent d'année en année. Si ces valeurs étaient comptées en négatif donc diminuant le PIB au lieu d'être comptées positives donc accroissant le PIB, on aurait un indicateur PIBréelplus représentatif de la progression du bien-être qu'on peut désigner par PIBréel (Indicateur Réel de progrès). Il est certain qu'un tel PIBréel montrerait une croissance moindre voire une décroissance. Le site US a fait cet analyse et son résultat est éloquent. Voir ce point à la fin de mon essai sur le PIB. Les américains appellent ce PIBréel ou PIBr, le "Genuine Progress Indicator" ou "Indicateur de Progrès Réel". D'un autre côté, le PIB tient compte que de veleurs marchandes, cad. ayant donné lieu à une transaction monétaire; il ne tient pas compte d'autres facteurs comme les activités bénévoles, ou d'aide intra-familiale. Voir "Le loisir et la culture, sont des éléments de notre "richesse".

Comme indiqué plus haut, l'application de la technologie à l'amélioration des produits et services, ainsi qu'à la fabrication de produits nouveaux plus performants, de meilleur qualité et de prix plus compétitifs, a pour résultat d'accroître la productivité de l'ensemble des facteurs de production, dont celui de la main d'oeuvre. S'il n'y a pas, en même temps, d'augmentation de la demande de production en volume, la conséquence est une substitution de main d'oeuvre par du capital. Pour que l'équilibre se fasse au niveau de l'économie du pays, il faut que les réductions de main d'oeuvre des uns soient compensées par des accroissements de main d'oeuvre des autres, c'est à dire d'entreprises qui doivent produire plus ou d'entreprises nouvelles qui se créent pour produire les produits nouveaux appelés par le développement technologique. C'est à dire qu'il faut qu'il y ait croissance de l'offre de produits et de services en réponse à une croissance de la demande de produits et de services. En l'absence de cette croissance, l'économie va mettre des personnes au chômage et produira moins que ce qu'elle pourrait puisqu'une partie de ses facteurs de production sera inutilisée.

D'autre part, à cause de la pression concurrentielle et particulièrement la mondialisation, il se crée un déséquilibre entre les secteurs qui doivent et peuvent augmenter leur productivité par la technologie, à savoir le secteur marchand, et les secteurs de services où la productivité ne peut pas augmenter, santé, éducation, justice, administrations publiques, ou seulement de façon moindre. Le secteur marchand est contraint d'augmenter sa productivité, et s'il n'y a pas d'augmentation de production en volume, il doit réduire le personnel employé. En revanche, les personnels des secteurs publiques ne sont pas affectés en nombre et ils continuent d'exercer une demande en produits et services de consommation. Comme cette demande ne peut pas être satisfaite par une augmentation de production en volume par le secteur marchand, il y a déséquilibre qui se manifeste sous la forme du déficit budgétaire et de la dette. Pour assurer l'équilibre, ou du moins ne pas l'aggraver au point que l'État serait en banqueroute, notre société combine alors deux moyens:

Le résultat c'est la dégradation de la qualité des services publics, pour préserver la consommation individuelle voire accroître la richesse patrimoniale d'un petit nombre, c'est à dire ceux qui ont un emploi. Ce modèle qualifié de "néoliberal" par certains devient alors notre perspective pour le futur: des services publics minables, des transports publics insuffisants ou inexistants, des centres de ville et des banlieues en décrépitude et sans sécurité, des hôpitaux surchargés, des séniors avec des revenus en baisse, une éducation nationale en crise, non motivée et aux résultats contestés, une culture et une recherche scientifique négligées. Tous les gouvernements des pays développés sont dans ce dilemme; il se préoccupent en premier lieu de maintenir ou d'accélérer la croissance, en espérant ainsi obtenir les finances qui leur permettent de préserver les dépenses publiques et de prendre en charge cette nouvelle pauvreté. Cette politique a marché dans le passé, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui car chaque nouveau pas dans la croissance exponentielle, produit son lot de biens et de services mais aussi les éléments négatifs qui l'accompagnent, compensations et réparation de casse et de dégâts, traitement des déchets et contrôle de la complexité croissante de la société.

Plus important encore, la croissance de la production et de la productivité consomme toujours plus de ressources naturelles et la consommation produit toujours plus de déchets de tous ordres. Or la consommation de ressources n'est pas prise en compte dans le modèle économique en vigueur. Les ressources naturelles renouvelables et non renouvelables sont considérés comme indéfiniment disponibles, certaines gratuites ou d'autres comptant des coûts externes non comptabilisés; il en est ainsi de l'air, de l'eau, des matières des carrières, et de la plupart des ressources minières.

  1. Voir John Raulston sur la globalisation
  2. Qu'est ce que le néolibéralisme
  3. le néolibéralisme est mort

L'exemple contemporain par excellence est dans ces pays qui souffrent de la guerre, guérillas, dictatures, où l'industrie des armements prospère, et où une fois installée la paix, viennent alors les démolisseurs, les rebâtisseurs, les agences de conseil internationales avec leur cortège d'entrepreneurs et de reconstruction. Quand, après 20-25 années de reconstruction, le pays a retrouvé son état d'avant la guerre, aucun progrès de bien-être de la population n'a été atteint; mais le PIB a progressé de manière considérable.

Tel est le destin des sociétés qui dépassent les limites de leur environnement. Cela signifie que ces pays ont mis en oeuvre des politiques économiques et financières qui conduisent leur pays à l'effondrement. Les cas bien documentés maintenant sont les polynésiens de l'Île de Pâques, les indiens Anasazi du Nouveau Méxique, les Maya de la péninsule de Yucatan et les Vikings du Groënland. En savoir plus.

Il faut donc inventer une nouvelle forme de croissance. C'est l'objet de la suite...


Partager | Suivez moi sur twitter @pratclif

Mis à jour le 09/10/2016 pratclif.com