A propos du "modèle social français"

Le modèle social français est basé sur la redistribution par l'impôt, c'est à dire l'aide aux plus défavorisés, chômeurs sortis du système d'assurance chômage, handicapés, et les services publiques, dont principalement éducation nationale, le tout pour assurer le plus possible l'égalité des conditions de vie et des chances. Ce sont les modalités d'application qui font problème.

Si l'on parle tant de "modèle social français" c'est bien parce que nous sommes l'exception au sein des pays de l'OCDE et que bien des commentateurs fustigent ce modèle en invoquant le déficit et la dette de l'État, le chômage de masse atteignant 10% de la population en âge de travailler et ce depuis maintenant plus d'une décennie, la montée des RMistes (1.2 millions en 2005) et des emplois précaires insuffisamment rémunérés, des restaurants du coeur (plus de 3 millions de repas servis en 2004), et de la violence urbaine liée au chômage des jeunes issus de l'immigration. Par comparaison avec les autres pays de l'OCDE et en utilisant ces mêmes critères, nous sommes dans le peloton de queue des pays de l'OCDE (18ème sur 23). Le dernier en date de ces critiques se trouve dans Newsweek du 5 septembre 2005.

Par modalités d'application il me semble qu'il faut entendre ceci: dans l'ensemble de l'activité telle que mesurée par le PIB, lequel ne reflète que la richesse monétaire produite, (voir mon essai sur le PIB), quelle est la part de notre "pouvoir d'achat" que nous affectons au secteur marchand pour l'achat de produits et de services de consommation et celle que nous affectons par obligation, puisque imposé par l'État, au secteur public? Les français sont farouchement attachés à leur modèle de protection sociale et à leurs services publics, mais ils ne réalisent pas assez qu'ils doivent en payer le prix, sous la forme d'une part plus importante de leur pouvoir d'achat affectée au secteur public et une part moins importante affectée à la consommation. Depuis quelques années, les français de toutes catégories voient leur pouvoir d'achat stagner voire diminuer. Or il s'agit bien du pouvoir d'achat de biens et de services marchands. Les causes en sont l'État providence, la hausse de la fiscalité locale, la globalisation, et plus récemment la hausse du prix de l'énergie et d'autres encore.

On peut s'interroger sur les modalités d'application du modèle social notamment en ce qui concerne l'indemnisation du chômage. Compte tenu que les prélèvements de l'État en France sont parmi les plus élévés des grands pays de l'OCDE, et que le chômage y semble relié, il est impératif de faire la chasse aux gaspillages et de rechercher une meilleure utilisation des ressources consacrées aux services publics. Et pourquoi pas ne pas prendre en considération ce que l'OCDE, parmi d'autres, nous dit, à savoir que les conditions d'indemnisation trop généreuses, le manque d'incitation à la recherche d'emploi, contribuent à maintenir les gens dans le chômage. Il est bon de lire toutes les recommandations du rapport OCDE sur la question, de même que celui sur l'État de la France en 2005. L'OCDE ne critique pas le "modèle social" redistributif ni les services publiques. Elle questionne ses "modalités d'application".

Force est de constater que depuis 20 ans, la France a créé et entretient les conditions d'un chômage persistant, qui correspond à l'exclusion de l'économie de toute une catégorie de français et à la prise en charge de leurs besoins par les cotisations sociales de ceux qui ont un emploi et par la solidarité de la collectivité nationale par les prélèvements fiscaux.

Mais dans les conditions actuelles du monde, il faut aller plus loin dans l'analyse de notre situation et remonter dans l'histoire récente.

Commençons d'abord par l'évolution vers la globalisation. Il s'agit d'un phénomène récent qui date de la fin des années 1980 et qui s'est accentué au cours des années 1990 et plus encore maintenant en 2005. Pour comprendre de quoi il s'agit il faut remonter avant l'effondrement de l'ex-URSS en 1989, effondrement qui fut suivi en 1990 par la chute du mur de Berlin et la réunification de l'Allemagne.

Avant l'effondrement de l'URSS, le commerce mondial des produits industriels était principalement concentré entre le trio des pays d'Europe de l'Ouest, l'Amérique du nord (Canada et USA) et le Japon. Cette situation résultait de l'après guerre mondiale 1939-1945, de la reconstruction des pays belligérants européens dévastés par la guerre notamment la reconstruction de l'Allemagne et du Japon, le tout avec la participation massive des États-Unis. Tandis que l'URSS, poursuivant la voie du marxisme leninisme et de l'économie planifiée s'isolait derrière le rideau de fer. Cette période d'antagonisme des pays occidentaux avec le bloc soviétique était la guerre froide et beaucoup de pays tiers, en Afrique et en Asie, choisirent l'idéologie de l'un ou de l'autre camp comme modèle pour assurer leur développement. Ainsi en Inde à cette époque, la politique était "l'import substitution"; tout devait être fabriqué en Inde sans recours à l'étranger; ils étaient aidés par les soviétiques dans cette démarche. En Chine, la politique était "la révolution culturelle de Mao".

Dans les pays du camp occidental, les différences de compétitivité entre ces pays étaient dûes aux taux de change, aux structures différentes des charges sociales et des dépenses publiques. Mais ces différences de compétitivité étaient relativement tolérables, de sorte que les producteurs pouvaient produire sur leur propre territoire et exporter vers les pays voisins. Ils compensaient les écarts de compétitivité par des avantages de qualité ou de position locale.

Au cours de la fin de la décennie 1980, l'union soviétique s'effondra entraînant la fin de la guerre froide. Et tous les pays qui avaient suivi le modèle de développement marxiste léniniste se tournèrent vers l'économie de marché pour assurer leur développement et leur progrès économique et social. C'est alors que la décennie des années 1990 vit émerger, en plus du Japon, d'autres pays du sud-est asiatique (Corée du Sud, Hong-Kong, Taiwan, Thailande, Singapour, Indonésie, Philippines ..) qui commençaient à produire et à exporter des biens de consommation et des produits high-tech: téléviseurs, magnétoscopes, radios, et équipements informatiques. Dans ces pays, les coûts de main d'oeuvre étaient très inférieurs (7 à 10 fois plus faibles) à ceux de l'Europe à cause de charges sociales très inférieures; cette main d'oeuvre se satisfaisait de niveaux de consommation bien inférieurs à ceux des européens car le PIB de ces pays était encore très faible. Mais cette main d'oeuvre était relativement bien qualifiée et dévouée, de sorte que les producteurs européens et américains délocalisèrent très vite les productions de ce genre de produits afin de maintenir des prix compétitifs sur les marchés internationaux.

Voir les différences de coûts de main d'oeuvre tels que donnés par le Bureau of Labor des Etats Unis. Le bas du tableau montre les différences régionales significatives et explique la pression des productions provenant des pays émergents et en voie de développement, sur les économies des pays développés. Le cas de la Chine est plus difficile car les données statistiques manquent. Une étude de consultants (pages 25-33) faite pour le bureau of labor américain indique cependant une estimation de l'ordre de 2.0-2.5US$/heure, soit 10 fois moins qu'en Europe des 15 et plus de 10 fois moins qu'en France.

Nous devons aussi partir de l'observation que le changement climatique est là, que la terre se réchauffe et que des signes inquiétants sont présents dans tous les domaines, fusion des glaces, élévation du niveau de la mer, déforestation, dégradation des sols, baisse des niveaux des nappes phréatiques, perte de biodiversité, et augmentation de la fréquence et de la violence des événements climatiques extrêmes. L'ouragan katrina en est peut-être la manifestation la plus récente. Dans ces conditions, il est en train d'émerger une prise de conscience que l'économie et la population ne peuvent plus continuer à croître indéfiniment et que nous atteignons sans doute les limites environnementales de la planète. La planète ne peut plus renouveler les ressources que nous prélevons sur elle ni assurer ses services et absorber les déchets que nous produisons; à commencer par les gaz à effet de serre dont le CO2, produit de la combustion des combustibles fossiles. L'économie néoclassique (je préfère ce terme à "libérale"), nous a appris que l'oxygène de l'air utilisé dans la combustion du carbone était illimité et gratuit et qu'on n'avait pas à en tenir compte. Il apparaît qu'on ne peut plus raisonner ainsi, que l'air n'est pas gratuit et que si nous ne tenons pas compte d'un coût de dégradation de l'environnement dans le prix de l'énergie, afin d'en réduire l'utilisation, nous allons vers le déclin de l'humanité.

Ceci me ramène au "pouvoir d'achat" des français. Commençons par le prix du pétrole. Il y a le court terme et le long terme. Pour le court terme, il faut aider les les secteurs qui dépendent le plus du pétrole pour leur activité. Oui, mais comment? Il est clair que toute aide a un coût que la collectivité doit supporter, en y consacrant une partie de son "pouvoir d'achat"; il s'agira donc d'impôts supplémentaires. Dans les circonstances présentes, il faut que tous les segments de la société supportent les coûts accrus liés au réchauffement climatique. Cela fait bien partie des fondements du "modèle social". Plus précisément, ce sont les transporteurs routiers, les pêcheurs, les agriculteurs.... Ils doivent répercuter sur leurs clients, intégralement, les hausses de prix du pétrole, qu'elles soit à court terme ou à long terme. Cela pourrait être appliqué par une formule indicielle, par exemple en disant que X% de leurs coûts sont du pétrole et qu'en conséquence X% de leurs prix varieront en fonction d'un indice officiel publié sur les prix du pétrole. Ce genre de variation des prix existait du temps de l'inflation à deux chiffres pour toutes les entreprises.

Pour le long terme, le prix du pétrole continuera sans doute d'augmenter, mais surtout, à cause du réchauffement climatique nous devrons nous adapter. Puisque l'économie ne peut plus continuer d'augmenter indéfiniment, il faut que nous autres pays du "Nord" stabilisions notre consommation, que nous trouvions des alternatives au pétrole, des modes de production plus économes en ressources, que nous modifions notre façon de consommer en mettant plus l'accent sur le qualitatif que sur le volumique, sur le recyclage et le traitement des déchets. Tout ceci impliquera probablement plus de services publics et pas moins. Vous nous avez informé au printemps du livre de Jeremy Rifkin. Il est bon de le rappeler. Quant aux pays du "Sud" ils sont responsables aujourd'hui de la hausse de la population, deuxième terme du facteur d'échelle consommation/capita par population, qui nous fait atteindre les limites de la planète. Ils doivent contrôler la croissance de leur population, sinon le réchauffement climatique les y amènera de force. Nous devons réaliser que les 85% de la population mondiale qu'ils représentent, ne pourront pas accéder au même mode de consommation que les 15% dont les français font partie. Ils doivent trouver des modes de développement qui leur assurent le bien-être mais plus économes en ressources et plus adaptées à leur nombre.

En conclusion, nous devons changer de paradigme économique et social.

Voir l'amérique: une société de gaspillage et du "tout jetable"

Voir aussi le dossier le Sursaut un nouvelle croissance pour la France: rapport du groupe de travail dirigé par Michel Camdessus, ex Directeur Général du FMI (2004).

Créé le 03/09/2005 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr)