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Contents

  1. L'enjeu déborde largement le CPE
  2. l'occasion d'une brêche dans l'immobilisme économique français
  3. une bribe de liberté
  4. l'avis d'un juriste spécialiste du droit du travail


1. L'enjeu déborde largement le CPE

CPE: L'enjeu déborde largement le CPE. l'éditorial de Nicolas Beytout Figaro 8 février 2006

Que la mobilisation ait été faible, hier dans les rues, est assurément une bonne nouvelle. Que cela suffise pour dire que l'affaire du CPE est réglée serait une grave erreur. Car rien n'est gagné : lors de la bataille du «smic-jeunes», en 1994, l'agitation était allée crescendo pendant trois semaines après l'adoption du décret contesté. Aujourd'hui, nous en sommes au mieux à trois semaines du vote définitif de la loi. Et tout laisse à penser que la gauche, les syndicats, les mouvements lycéens et étudiants vont tenter de maintenir et de faire croître la pression.

Il va donc falloir tenir, ne pas relâcher l'attention. Car ce qui se joue en ce moment dépasse, et de loin, le seul enjeu du CPE. Depuis le XIXe siècle et l'apparition du droit du travail, la loi et les règlements ont principalement eu pour objet de régler le rapport de forces entre l'employeur et le salarié. L'un en situation de pouvoir, l'autre de besoin. Et depuis cette époque, le Code du travail s'est essentiellement préoccupé de définir des droits pour le salarié et des obligations pour le patron. Rien de critiquable en cela, pour peu que cette lourde construction ne se retourne pas contre ceux qu'elle est censée protéger.

Or c'est progressivement ce qui s'est produit en France : les seuils, les charges, les 35 heures et toute l'accumulation des procédures, des recours, des protections et des contraintes ont fini par nuire gravement à l'emploi. Avec les meilleures intentions du monde, nous avons bâti un des systèmes sociaux les plus figés qui soient. L'un des plus créateurs de chômage, aussi. C'est ce carcan qu'il faut desserrer. Cela fait des années qu'on le sait, et que tous les rapports les plus savants le proclament. Avec le CNE d'abord et le CPE ensuite, cela fait maintenant quelques semaines que le gouvernement le fait.

Grâce à ces contrats nouveaux, la France a donc une chance historique de déverrouiller son système social. Pas pour nier les droits du salarié, non, mais pour donner plus de chances à tous ceux qui cherchent un emploi. Longtemps, on a cru qu'en empêchant de licencier les plus de 50 ans on favoriserait l'emploi de seniors ; résultat : on a gelé l'embauche dans ces tranches d'âge. Longtemps, on a cru qu'en rigidifiant l'emploi des plus jeunes on favoriserait leur insertion ; résultat : une explosion de stages, de petits boulots, de CDD, pour assouplir dans les faits ce que la loi impose.

C'est tout cela qui se joue autour du CPE : l'adaptation d'un modèle social qui a échoué à force de générer du chômage et de produire des déficits.

Le moment est donc crucial. Pour l'économie et l'emploi, bien sûr. Pour l'opinion publique aussi, qui doit comprendre qu'assouplir nos règles nous permettra de sauver ce modèle auquel elle croit et qu'adapter un idéal ne signifie pas l'abandonner. Le moment est déterminant aussi pour la politique : unie sur le projet comme elle ne l'avait pas été il y a douze ans sur le CIP, la majorité détient la clef d'une réforme qui peut donner à la France une chance, avec le temps, d'aller vers le plein emploi. Qu'elle échoue, et le verrou se refermera sur un modèle social qui de moins en moins parvient à faire illusion.

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2. l'occasion d'une brêche dans l'immobilisme économique français

CPE : l'occasion d'une brêche dans l'immobilisme économique français d'après l'éditorial de Philippe Reclus Figaro 07 février 2006

La France vit depuis plus de vingt ans sur un double scandale : son taux de chômage des 18-25 ans est deux fois plus important que celui du chômage global, calé à près de 10%. Et lorsque le chômage global baisse, le pays est incapable de faire reculer celui des jeunes dans les mêmes proportions.

En vingt ans, aucun dispositif n'est parvenu à résoudre cette terrible équation. De «plans jeunes» en exonérations de charges, de contrats spécifiques dans le privé ou le public en primes à l'embauche, la plupart des parades élaborées par les gouvernements successifs se sont révélées impuissantes.

Pour avoir empilé les dispositifs au fil du temps sans s'attaquer au problème de la rigidité de son marché du travail, le pays a finalement fait le choix du chômage. Cet immobilisme a eu des effets encore plus pervers. Il a abouti à voir émerger une France du travail à deux vitesses, partagée entre des emplois surprotégés et une masse de postes servant de variables d'ajustement.

C'est bien cette spirale qu'il faut casser. Le contrat première embauche en est un des moyens.

La première précarité réside dans l'impossibilité d'avoir accès au marché du travail. Condamner par principe, et au nom d'une aggravation de cette précarité, l'introduction de plus de flexibilité dans le recrutement des jeunes pour leur mettre le pied à l'étrier revient à nier cette vérité toute simple. Pour être efficace, le CPE devra sans doute s'accompagner d'un véritable effort de formation, d'une sécurisation minimale du statut des jeunes qui y auront accès, afin de leur assurer l'accès au logement et au crédit, et enfin d'une régulation des systèmes de stages en entreprises qui, loin de servir de passerelles vers l'emploi, sont trop souvent devenus des leurres. Une fois remplies ces conditions, on ne voit pas ce qui empêcherait que ce nouveau contrat, ajouté au contrat nouvelles embauches et aux dispositifs en faveur des seniors, desserre le carcan du marché de l'emploi.

La condamnation du CPE par la gauche et par les syndicats ressemble donc plus que jamais à un combat idéologique qui n'a plus rien à voir avec le débat sur la lutte contre ce mal endémique qu'est le chômage. Personne ne doute que cette réforme leur offre un thème fédérateur après lequel ils courent pour replâtrer leur unité perdue en rêvant à un hypothétique «remake» du feuilleton du CIP d'Edouard Balladur.

Mais la vraie question est ailleurs. Elle est de savoir si la société française est mûre pour tirer les leçons de plus de vingt ans de politiques de l'emploi impuissantes. Pris sous cet angle, le CPE marque une étape cruciale. Par rapport au passé. Parce qu'il est à même de symboliser une véritable rupture dans la façon dont on aborde la question en France. Pour l'avenir. Parce qu'il permettra de dire si l'opinion est prête à s'engager sur la voie d'un changement radical, celui qui consiste non pas à jeter, d'un coup, l'ensemble du modèle social français, mais à parvenir, par touches successives, à lever méthodiquement les verrous qui barrent l'accès au marché du travail

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3. une bribe de liberté

Par Alain-Gérard SLAMA Figaro Magazine 16 février 2006

Que demandent a priori des jeunes en quête de travail ? Qu’on leur donne leur chance. Qu’on leur permette de faire leurs preuves. Que demandent a priori des employeurs ? Que leurs salariés aient le souci de ne pas scier la branche sur laquelle ils sont posés. Entre les deux, la rencontre devrait aller de soi, à condition que les premiers ne confondent pas leur salaire avec une rente et que les seconds consentent à former et à promouvoir. Il faut croire que notre pays est le dernier où une telle conjonction soit possible, puisqu’il faut entre huit et onze années de recherche et de stages aux jeunes Français de moins de 25 ans pour trouver un emploi stable à la sortie de leurs études, contre quatre à cinq années chez nos voisins européens.

Le chômage touche en France 40 % des jeunes sans qualification. De façon plus significative encore, d’après un rapport du Conseil économique et social, 21 % des jeunes de niveau « bac + 4 » demeurent au chômage neuf mois après leur diplôme. On ne saurait mieux démontrer le fossé qui s’est creusé entre le découragement d’une jeunesse assistée et la méfiance d’un patronat fragilisé. Pour sortir de cette paralysie, le gouvernement Villepin a tenté, avec le contrat première embauche, d’ouvrir une percée. En faveur des jeunes, il innove en inversant le rapport entre l’échec et la subvention : les emplois jeunes chers à M. Jospin créaient, sur fonds publics, des emplois sans rapport avec les besoins ; la subvention créait l’échec. Le CPE indemnise le jeune salarié et lui fournit un accompagnement personnel en cas de renvoi avant deux ans : la subvention ne crée pas l’échec, elle y remédie. Quant aux employeurs, la faculté de licencier s’accompagne de l’interdiction de recourir à des stages sans formation et non payés. Bref, voici la société civile mise au défi, de part et d’autre, d’assumer ses responsabilités. Certes, par rapport à l’ampleur des obstacles à lever, comme les 35 heures ou le seuil dirimant de l’âge de la retraite, ce n’est là qu’un petit morceau, une bribe de liberté. Mais on ne peut ignorer la contradiction entre la richesse des capacités humaines de notre pays et les ravages exercés par l’Etat providence sur ses mentalités. Il ne se passe pas de jour où notre société n’invente un nouveau code, une nouvelle norme, de nouveaux délits et de nouveaux instruments de surveillance, dont le dernier en date est le « testing », providence des caméras en quête de délation et de scandale. Rien, depuis trente ans, n’a tenté d’arrêter ce processus de contrôle généralisé, qui persiste à se développer sous la pression de demandes d’égalité et de sécurité par définition infinies. Il aura suffi que hier M. Raffarin et aujourd’hui M. de Villepin tentent, timidement, de desserrer quelques mailles de ce corset pour qu’aussitôt des cris s’élèvent dans la rue : rendez-nous notre air raréfié ! Depuis trente ans, nous avançons à reculons vers un ordre social dans lequel la règle est la contrainte et l’exception, la liberté.

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4. l'avis d'un juriste spécialiste du droit du travail

Le dimanche 19 mars 2006: publié sur le site blog de F2 par Eric

Allez, je vais vous donner mes arguments de juriste pour le CPE... L’introduction du « contrat première embauche » constitue le dossier phare de ce début d’année, mobilisant politiques, syndicats, jeunes…
Beaucoup d’arguments, pour ou contre ce nouveau contrat, sont avancés. Véritable contrat à durée indéterminée, nouvelles garanties apportées, chance de première expérience professionnelle pour ses partisans, le CPE est voué aux gémonies par ses détracteurs qui soutiennent que ce contrat précarisera les jeunes salariés principalement en ce qu’il autorise les licenciements sans motif durant une « période d’essai » de deux ans.

Dans un débat qui se focalise sur des arguments qui confinent souvent à l’irrationnel, le réflexe naturel du juriste est de se reporter aux texte proposé et de le rapprocher des dispositions actuellement en vigueur. Cet examen est riche d’enseignement et plutôt assez surprenant quand au caractère révolutionnaire du CPE…

En effet, la principale disposition du texte sur le CPE réside dans une dérogation de deux ans aux dispositions des articles L.122-4 à L.122-11, L. 122-13 à L. 122-14-14 et L. 321-1 à L. 321-17 du code du travail. Sous cette numérotation, se cachent les dispositions régissant la procédure de licenciement concernant les salariés titulaires d’un contrat à durée indéterminée et fixant les indemnités minimales ou maximales dues à un salarié selon la nature du licenciement intervenu, ainsi que la procédure applicable aux licenciements économiques.

Pour se limiter à la problématique des licenciements susceptibles d’intervenir sans motif, qui est mise en avant par les opposants au contrat première embauche, force est de constater qu’aujourd’hui un titulaire d’un CDI ayant moins de deux ans d’ancienneté qui est licencié dans de telles conditions n’a droit, en application des dispositions en vigueur du code du travail, qu’au délai-congé ou une indemnité couvrant celui-ci. Les dispositions des articles L.122-9 et L.122-14-5 du code du travail excluent ces salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté du bénéfice des indemnités de licenciement et des indemnités spécifiques pour inobservation de la procédure ou pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse. Par contre ils ont droit à des dommages-intérêts de « droit commun » en fonction du préjudice subi en cas de licenciement abusif.

Qu’en est-il pour un titulaire d’un CPE qui serait licencié sans motif avant le délai de deux ans ? Il apparaît à la lecture du texte proposé au vote du Parlement que le délai-congé est le même que pour un CDI pendant les deux premières années d’exécution du contrat. En sus, le titulaire d’un CPE bénéficie automatiquement d’une indemnité de 8 % des rémunérations perçues. Sa situation financière est donc meilleure que celle d’un salarié sous CDI en cas de licenciement avant le délai de deux ans. D’autant plus que les dispositions proposées n’empêchent bien évidemment pas le salarié en CPE abusivement licencié de saisir le Conseil des Prud’Hommes en application des règles classiques de la responsabilité civile pour obtenir des dommages-intérêts en réparation de la faute commise par l’employeur, au même titre que s’il était titulaire d’un CDI .

Notons qu’en cas de licenciement économique dans le délai de deux ans, le titulaire d’un CDI ne toucherait rien au titre de l’indemnité légale alors que le titulaire d’un CPE toucherait toujours son indemnité légale.

Hormis ces différences non négligeables, les seuls changements importants apportés par le CPE sont la simplification de la procédure de licenciement, beaucoup moins formelle puisque ne nécessitant plus d’entretien préalable, le raccourcissement des délais de prescription de l’action devant la justice et l’absence de remboursement par des indemnités chômage en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un salarié en CPE avant le délai de deux ans. Du double point de vue du salarié et de l’employeur, c’est un dispositif gagnant-gagnant.

Contrairement à ce qui est véhiculé, le CPE ne semble donc pas se présenter comme un vecteur de précarisation du travail, les droits à indemnité des salariés étant paradoxalement plus étendus avec un CPE qu’avec un CDI. C’est une conséquence du fameux seuil des deux ans bien connus des praticiens du contentieux prud’homal. Et il convient en sus de mettre au crédit du CPE les dispositifs annexes prévus pour les cautions locatives et les prêts bancaires en faveur des titulaires de ces nouveaux contrats. Dès lors, l’attractivité des contrats première embauche pour les employeurs résidera beaucoup plus dans une exonération des charges sociales que dans l’assouplissement proposé par le projet de loi qui, s’il est réel en terme de formalisme, est néanmoins très limité. Ce sont les critères relatifs à ces exonérations qu’il faudra jauger très précisément pour inciter les entreprises à embaucher les jeunes demandeurs d’emploi tout en évitant de créer un effet d’aubaine qui enferme les futurs jeunes cadres dans une période obligatoire de chômage, en attendant d’être « éligibles » à l’exonération des charges sociales.

Il faut aussi souligner qu'en l'état actuel du projet, les CPE restent protégés par les dispositions anti discrimination, ainsi que les protections des femmes enceintes, les interdictions de harcèlement, etc.

D'autre part, les conventions collectives s'appliquent aussi au CPE qui n'y déroge pas.

Voilà pourquoi le CPE est plus protecteur que le CDI, parce qu'il offre de meilleures garanties du fait que les CDI, avant deux années d'ancienneté, se retrouvent "à poil" en cas de licenciement.

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