Déficits de l'état; dette; stagnation économique et chômage

Mon propos n'est pas d'ajouter un énième et énième article sur le sujet du déficit et de la dette publiques, qui constituent deux des facteurs économiques fondamentaux de l'économie et qui par leur conjugaison avec les autres - PIB, épargne, investissement, productivité, taux de chômage, etc.-, ont pour résultat la situation du pays. Je veux seulement mettre l'accent sur la relation entre le déficit et la dette et les emplois - vertueux ou non - de ceux-ci, avec la croissance économique atone du pays et les conséquences sur l'emploi et la prospérité en général.

Il est surprenant de voir que pratiquement tous les dirigeants de ce pays savent quelle est l'origine des maux qui nous accablent et quels sont les remèdes qu'il faudrait appliquer. Le meilleur indicateur de ce diagnostic partagé - parce qu'il largement consensuel, non partisan et non idéologique - est la Cour des Comptes qui dans ses rapports successifs depuis des années, montre les dysfonctionnements de l'économie, identifie les causes et suggère les remèdes.

J'en déduis donc que le problème est ailleurs. Il est politique. Nos politiques de gauche comme de droite, depuis des années, n'ont pas su obtenir l'adhésion du pays aux changements nécessaires. Il s'agit d'un déficit d'explication, de pédagogie, de dialogue, de sorte que seules les réformes auxquelles les acteurs économiques et sociaux sont les moins sensibles ont pu être mises en oeuvre. C'est que les politiques sont partagés entre des idéologies opposées et les minoritaires ne sont pas les moins virulents à s'opposer à une réforme qui leur déplait, y compris les syndicats. Le sondage virtuel suivant de 5950 internautes au 26 mai 2006 sur l'élection présidentielle de 2007 illustre bien, je crois, ce propos. Face à l'opposition de minorités politiques influentes qui s'expriment dans la rue, les gouvernements de gauche comme de droite ont toujours tendance à reculer et à renoncer aux réformes proposées. Et voir l'article d'Alain Duhamel.

J'en viens maintenant à mon propos: déficit et dette des finances publiques.

L'endettement de l'État a connu une forte croissance depuis les années 1980, en raison d'un excès structurel et durable de ses dépenses par rapport à ses recettes. En 2004, le déficit est de 59.8 milliards d'€ et l'endettement de 1066 milliards € soit respectivement 3.7% et 65.6% du PIB. Voir article. Et si l'on ajoute les engagements de l'État non provisionnés à savoir les retraites des personnels, cet endettement est de 700 milliards d'€ de plus et le % du PIB de 120%. La situation est encore plus alarmante si l'on compare le déficit publique, non pas au PIB, mais aux recettes de l'État puisque le déficit atteint certaines années jusqu'à 25% des recettes, autrement dit les recettes ne couvrent que 75% des dépenses.

Le mode de financement de la dette a changé. Elle est aujourd'hui assurée, non plus par l'émission de monnaie comme dans les années 1970, sans qu'il y ait toujours une contrepartie équivalente de production ce qui provoquait l'inflation, mais par l'emprunt sur les marchés financiers. Ces emprunts sont grèvés d'un taux d'intérêt annuel et ils doivent être remboursés à leur date d'échéance ce qui pèse sur l'économie et les générations futures. C'est le service de la dette. C'est le paiement des intérêts des emprunts en cours dont la moyenne pondérée est l'intérêt moyen de la dette, plus le remboursement des prêts arrivés à l'échéance et que l'État finance souvent par des nouveaux emprunts (lien)

Les comportements des marchés financiers en rapport avec le financement du déficit annuel et l'accumulation de la dette sont importants aussi, tant pour ceux qui fournissent les fonds à l'État en achetant des bons du trésor, que pour les institutions financières qui alimentent l'économie en ressources monétaires dont elle a besoin pour fonctionner, c'est à dire pour se moderniser, s'adapter à la concurrence, prendre des parts de marché, suivre le progrès technique ou augmenter la production et la productivité. Tous ces aspects sont à la base de l'économie et de l'emploi.

L'endettement de l'État est d'autant plus délicat quand il ne sert pas seulement à financer des investissements publics militaires et civils mais à financer des dépenses de fonctionnement, gonflées par le coût de la solidarité qu'impose le traitement d'un chômage de masse. Le niveau des investissements publics est à son niveau le plus bas en France; en 2003 il représente 28.8 Mds€ sur 236.8Mds€ de dépenses totales, soit #10% des dépenses. Voir données Cour des comptes et note2.

Le déficit et l'endettement dûs à l'excès structurel et durable des dépenses par rapport aux recettes, s'accompagnent donc d'une baisse des investissements publics; ceci entraîne aussi à la baisse, les investissements privés, par effet d'éviction, car une partie de l'épargne disponible est captée par l'État pour couvrir son déficit structurel et assurer le service de sa dette. Cet argument est cependant contesté, car l'État réinjecte dans l'économie la totalité des fonds levés sur les marchés.

Le fait que l'emploi des fonds d'emprunts soit en majeure partie consacré à des dépenses de fonctionnement plutôt qu'à des investissements rend inutile la recherche du montant du déficit et de la dette supportables pour l'économie. Supportables c'est à dire tels que l'ensemble des paramètres fondamentaux de l'économie soit en équilibre c'est à dire croissent en même temps et au même rythme. Il existe en effet plusieurs corrections à faire pour que le déficit et la dette soient correctement évalués; ce sont la prise en compte du taux d'intérêt réel (après déduction de l'inflation). On peut estimer que les critères de Maastricht répondent à cette question, en fixant déficit et dette à 3% et 60% du PIB respectivement. Et 60% comprend le coût de la solidarité et les dépenses non provisionnés comme les retraites des personnels des entreprises d'état et des entreprises parapubliques, SNCF, RATP, EDF. On en est très loin. Voir autre document sur les critères de Maastricht.

Si les investissements publics et privés sont en baisse, la croissance est aussi en baisse et l'économie ne produit pas à son potentiel permis par son niveau de capital productif et de sa main d'oeuvre! Le ralentissement de la croissance, dans l'environnement économique national, européen et international - ces derniers étant particulièrement concurrentiels -, conduit à une baisse de l'activité donc de l'emploi avec maintien d'un taux de chômage élevé. Cela est dû aux fermetures d'usines, ou à leur non développement. Cette situation est exarcerbée par la préférence des consommateurs pour les produits importés plus concurrentiels d'où un excès d'importations par rapport aux exportations qui s'équilibre par l'appropriation croissante d'actifs industriels et immobiliers par l'étranger. Ce contexte engendre alors un accroissement des dépenses sociales de l'État - car il faut bien prendre en charge le chômage de masse et le faible pouvoir d'achat qui en résultent pour toute une partie de la population, ce qui creuse encore les déficits et aggrave l'endettement. Un cercle vicieux donc.

Pour sortir de ce cercle vicieux qui conjugue déficit structurel, endettement croissant, ralentissement stagnation voire récession économiques, chômage de masse persistant et pouvoir d'achat en baisse pour les classes moyennes et les catégories sociales les plus défavorisées, la seule solution réside dans la baisse des dépenses non indispensables de l'État dont la Cour des Comptes souligne grande la difficulté en raison de l'"irréalisme des prévisions de croissance", la "pesanteur des dépenses", et de l'"insuffisance des recettes due aux nombreux dégrèvements d'impôts". Mais d'autres pays l'ont fait avec succès - c'est à dire croissance retrouvée -, Suède, Canada, Nouvelle Zélande, Danemark en sont des exemples. Au lieu de cela, les gouvernements successifs s'entêtent depuis des années à proner son "modèle social", une "économie sociale de marché", et le maintien du privilège d'emploi à vie de centaines de milliers de hauts, moyens et petits fonctionnaires non indispensables dans l'appareil de l'État. Et lire aussi cet article d'un Canadien sur la situation de la France. Et l'enquête IFRAP.

Pour couvrir les dépenses correspondant à ces personnels non indispensables pour assurer ses fonctions incompressibles dites "régaliennes", l'État ne prélève pas assez d'impôts; il ne veut pas en prélever davantage car il sait que cela ne serait impopulaire et que cela ralentirait encore plus l'économie. Mais le mode de financement du déficit non soutenable par l'emprunt, conduit strictement au même résultat. Si rien ne change, les marchés financiers cesseront un jour de financer le déficit par leurs achats de bons du trésor ou exigeront des taux d'intérêt plus élevés que le taux du marché pour couvrir ce qu'ils percevront comme un risque accru, à savoir la possibilité d'une défaillance de l'État dans le service de sa dette. Il en résulterait alors une aggravation des intérêts du service de la dette - le cercle vicieux - voire la situation extrême qu'à connue l'Argentine.


Notes

  • (source rapport de la cour des comptes 2004) En 2003, les dépenses en capital se sont élevées à 28,8 Md€ et le poids des dépenses militaires a continué de s'accroître. Ainsi, par rapport à la loi de finances initiale pour 2002, la hausse des crédits militaires a été deux fois plus rapide que celle des crédits civils. Les investissements de l'Etat ont également été touchés par la régulation budgétaire, qui a joué, non seulement sur le niveau des crédits de paiement et leur disponibilité dans le temps entraînant des reports de charges, mais également sur les autorisations de programme, ce qui peut laisser présager que des difficultés apparaîtront dans les prochaines années pour respecter le rythme des engagements prévus par les contrats de plan Etat-régions.
  • Cour des comptes rapport préliminaire 2005: La France enregistre, depuis plusieurs années, comme l'Allemagne, les plus forts déficits de la zone euro et de l'UE-15 (Grèce mise à part). Sa dette publique, longtemps plus faible que celles de la plupart de ses partenaires, n'est plus dépassée, désormais, comme celle de l'Allemagne, que par celles de trois Etats de l'Union (Grèce, Italie, Belgique). Sa dette, de surcroît, est, avec celle de l'Allemagne, l'une de celles dont la croissance est la plus rapide. La France partage enfin, avec son plus important partenaire, la particularité, d'avoir depuis 2002, un déficit primaire. Les dix nouveaux adhérents ont tous un ratio inférieur au ratio français. Il existe cependant, dans le cas français, plusieurs caractéristiques additionnelles:



    - la présence, depuis deux ans, selon les calculs de la Commission et de l'OCDE, d'un déficit structurel plus élevé qu'en Allemagne

    - le financement, par voie d'emprunt, non seulement d'opérations d'équipement, mais de dépenses courantes et même de transferts sociaux ;

    - l'accentuation, enfin, en matière de poids des dépenses publiques par rapport au PIB, d'une position de plus en plus différente de celle de la quasi-totalité de ses partenaires puisque l'Allemagne, sur ce dernier point, est toujours restée peu éloignée, voire légèrement en dessous, de la moyenne communautaire.



    Le cumul de toutes ces particularités ne semble pas pouvoir être durablement tenu sans que ne se développent des inconvénients de plus en plus sérieux dans de multiples domaines : gestion du budget, fiscalité, compétitivité, niveau de l'emploi et des créations d'emploi, degré de confiance des ménages et des entreprises envers l'avenir, etc. Il n'est pas compatible, en particulier, avec l'objectif affiché de la recherche, au niveau européen, d'une plus grande harmonisation de certains impôts, qui se traduira par des pertes de recettes.
  • Voir Cour des comptes rapport preliminaire sur le budget 2004: TITRE 3 - La nécessité d'un assainissement durable des finances de l'État, dont voici des extraits:



    - L'analyse au fond et comparée de l'exécution du budget montre l'urgence d'un assainissement sérieux des finances publiques. La tâche est incontestablement difficile: la pesanteur des dépenses et les prévisions ne poussent pas à l'optimisme. Une plus grande prudence s'impose. Elle dicte, d'une part, d'asseoir les prévisions économiques à moyen terme plutôt sur le taux moyen de croissance observé, en France, sur longue période, de l'ordre de 2%, et non sur des taux de croissance potentielle très rarement atteints, et, d'autre part, de faire des choix.

    - Cette augmentation des dépenses est due pour l'essentiel aux dépenses civiles ordinaires, qui ont crû de 9,1 %, soit 20 Md€. Pour leur part, les dépenses militaires, ordinaires et en capital, ont progressé plus rapidement, de 13,5 % et 17,7 % respectivement, augmentant leur part dans le total des dépenses de 10,4 % en 1999 à 10,9 % en 2004. La hausse des dépenses civiles en capital a été de 24 %, la moitié de cette progression ayant eu lieu en 2004 (Cette hausse est due notamment à la réforme du mode financement de RFF ; hors cette modification du périmètre, l'augmentation des dépenses civiles en capital est ramenée à 6,6 %).

    - Les charges de la dette ont bénéficié de la baisse des taux et progressé seulement de 3,4 Md€, soit 9,8 %, passant de 34,7 Md€ en 1999 à 38,1 Md€ en 2004, mais la dette de l'Etat a augmenté, pendant la même période, de 30,6 %, pour atteindre plus de 935 Md€. Si la part des charges de la dette dans les recettes de l'Etat a progressé seulement de 15,2 % en 1999 à 15,5 % en 2004 (après un maximum de 16,9 % en 2003), cette croissance modérée est évidemment temporaire et soumise à l'aléa d'une future hausse des taux.

    - Les dépenses de personnel et de fonctionnement civiles et militaires (titre III) ont progressé plus rapidement que l'ensemble des dépenses (de 15,6 %52). Il faut noter, à cet égard, que les crédits ouverts par la LFI 2004 au titre III ont été insuffisants, ainsi que l'avait prévu la Cour dans son précédent rapport préliminaire. La hausse de 0,5 % du point de la fonction publique au 1er janvier 2004, pourtant annoncée en novembre 2003, n'était notamment pas prise en compte dans la LFI pour 2004.

    - L'augmentation des charges de la dette et des dépenses de personnel et de fonctionnement (61 % des dépenses du budget général, incompressibles à court terme), explique les quatre cinquièmes (79 %) de l'augmentation des dépenses (22 Md€ sur 27,7 Md€), sur la période.



    Les dépenses en capital fournissent le solde (5,5 Md€), tandis que les dépenses d'intervention, telles qu'elles ressortent du budget général, sont stables en valeur nominale. Cependant, la stabilité ainsi affichée des dépenses d'intervention masque l'évolution réelle des transferts de l'Etat, qui se traduit notamment par une forte hausse des prélèvements sur recettes, qui ont progressé de 50 % pendant cette période. Si l'on prend en compte le total des interventions du titre IV et des prélèvements sur recettes, la progression entre 1999 et 2004 atteint 22,6 Md€53.

    - Ces évolutions illustrent le degré de contrainte qui pèse sur le budget, et les difficultés de maîtrise et, a fortiori, de réduction de la dépense.

    - La différence d'évolution des dépenses, largement contraintes à court terme, et des recettes, plus fluctuantes, appelle une autre action sur les recettes, sous peine de ne pouvoir résorber les déficits. La loi de finances pour 2005 prévoit une évolution des recettes un peu moins favorable qu'en 2004, malgré une prévision de croissance plus élevée : elle serait de 6,8 %, soit 19,8 Md€ par rapport à la LFI 2004 (au lieu de 10,8 % cette année là). En effet, le dynamisme des recettes fiscales est freiné par les nouvelles mesures d'allègement (-2 Md€) et la montée en puissance des dépenses fiscales.

    - L'utilisation accrue de mesures fiscales dérogatoires, qui se traduisent par des remboursements et dégrèvements d'impôts et des dépenses fiscales, est préoccupante. Le recours à la fiscalité pour mener des politiques publiques ciblées sur des populations ou des situations particulières est une tendance de long terme, qui se reflète en partie dans la croissance continue des remboursements et dégrèvements et, en partie, par une moindre croissance des recettes brutes.

    - La Cour relève, depuis plusieurs années, que l'imputation, dans la catégorie des remboursements et dégrèvements d'impôts, d'une partie de la prime pour l'emploi (2,3 Md€ en 2003, 2,4 Md€ en 2004 et 2,9 Md€ en 2005), qui est, en réalité, une dépense d'intervention, est habile, car elle diminue à la fois le niveau des prélèvements obligatoires et le total des dépenses nettes, mais masque les évolutions réelles.

    - S'agissant des crédits d'impôt, l'exécution 2005 supportera les mesures fiscales de la LFI déjà prises en 2004 (la réforme du crédit d'impôt recherche entraînera une dépense fiscale supérieure de 230 M€ en 2005 par rapport à 2004), et l'effet des dépenses fiscales largement déployées cette année (Sur un montant de mesures nouvelles d'allègement fiscal de 2 Md€ inscrites en LFI 2005, plus de la moitié (1,1 Md€) doivent être assimilées à des dépenses fiscales, car elles ne sont pas destinées à alléger la charge fiscale pour l'ensemble des contribuables mais s'inscrivent dans une politique publique particulière. C'est ainsi le cas du crédit d'impôt apprentissage (coût : 500 M€ en 2005), de la revalorisation du calcul du montant de la prime pour l'emploi (coût : 230 M€ en 2005 et 410 M€ au total en tenant compte de la revalorisation des seuils en fonction de l'inflation), du crédit de taxe professionnelle pour le maintien d'activités dans les zones exposées aux délocalisations (coût : 330 M€ par an à partir de 2005).

    - Les réductions et crédits d'impôts ont notamment pour caractéristique de ne pas compter dans l'augmentation des dépenses, l'objectif de stabilisation des dépenses est ainsi plus facile à réaliser, mais il ne porte que sur une partie des interventions (dépenses hors dégrèvements et remboursements d'impôts et, a fortiori, hors dépenses fiscales) et l'objectif de réduction du déficit n'est pas pour autant atteint.
  • Voir le site de l'AFT "Agence France Trésor"; l'AFT a pour mission de gérer la dette et la trésorerie de l'État au mieux des intérêts du contribuable et dans les meilleures conditions possibles de sécurité.


Mis à jour d'un billet de 2006, le 30/07/2011